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Justice constitutionnelle en France et démocratie

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par Jean- Baptiste KLEBERSON
Université de Bretagne occidentale de France - Master 2 en droit public 2011
  

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Introduction

« La Constitution française est représentative : Les représentants sont le Corps législatif et le roi »13

Le fait que la disposition constitutionnelle cite d'abord le Corps législatif, (organe proclamé comme représentant de la totalité des citoyens) n'est pas anodin et encore moins fortuit. Ceci peut être confirmé par le fait que les prérogatives du chef de l'exécutif, dans leur mise en application, ne se sont révélées que des fonctions purement symboliques. Les deux principales attributions royales étaient le veto suspensif à l'encontre des lois adoptées par le souverain et la mise en oeuvre de la coopération internationale. S'agissant du droit de veto, son effet n'était que de renvoyer la loi litigieuse « aux législatures subséquentes »14 en vue que celles-ci prononcèrent le verdict final auquel le roi devait s'accommoder car il était irrévocable. Comme à l'accoutumée ou encore vieille survivance en ce qui a trait à la conduite de la politique étrangère, les conventions et autres actes internationaux conclus par le roi devaient être ratifiés par le parlement pour intégrer l'ordre juridique. Le début de l'article 3 de la Constitution relatif au pouvoir judicaire prohibe toute intrusion de celle-ci dans les prérogatives du seul « vrai bénéficiaire du système représentatif », en l'occurrence le corps des députés, en annonçant de manière grandiloquente.

« Les tribunaux ne peuvent ni s'immiscer dans l'exercice du Pouvoir législatif, ou suspendre l'exécution des lois sous peine de forfaiture ».

Les juges, quels qu'ils soient, n'avaient d'autre fonction que de mettre en application les lois adoptées par le pouvoir législatif sans même prétendre à aucune forme de contrôle sur l'oeuvre du détenteur fictif mais puissant de la souveraineté populaire. Quant à l'appareil administratif, quoique élu, la constitution le campait au rôle de subalterne du roi tout en prenant le soin de l'interdire aussi de « s'immiscer dans l'exercice du pouvoir législatif »15

En effet, en faisant l'exégèse de la constitution de 1791 et de la déclaration des droits de l'homme et des citoyens qui l'a précédée de 2 ans, l'on peut conclure que l'exclusivité de la représentation nationale était réservée à l'assemblée nationale. Si l'on ne peut contester la légitimité des députés postrévolutionnaires dont certains faisaient d'ailleurs partie de l'Assemblée nationale de 1789 et de l'Assemblée constituante de 1791, en revanche il est loisible de se questionner sur les justifications du « caractère exclusif de leur représentativité ». Les titulaires de fonctions diverses autres que le législateur « n'atteignaient pas la vertu représentative », ils étaient considérés comme de simples agents ou fonctionnaires donc dénués du pouvoir de « parler et de vouloir pour la nation ». Nous répétons, après Carré De Malberg, qui eut à préciser, à juste titre que :

« Le système représentatif que la révolution a érigé en partant du principe de la souveraineté nationale, s'analyse, en définitive, en un système de souveraineté parlementaire ».

13 Ibid. p.18

14 CARRE DE MALBERG, op.cit., p.19

15 Ibid.

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Introduction

Allant au bout de notre réflexion, nous pouvons confirmer qu'en plus d'être « supérieur aux autres pouvoirs », l'Assemblée des parlementaires jouissait même d'une forme d'autonomie par rapport au peuple ou vis-à-vis du corps des citoyens qui, après tout, constitue le souverain originaire. En effet, par haine de toute forme de mécanismes de démocratie directe ou même semi-directe, il était prévu l'indépendance des députés par rapport à leurs mandants, une fois les joutes électorales terminées. Sieyès affirmait que le seul devoir du représentant « c'est d'être libre ». En ce sens, les publicistes français confirmaient une fois de plus la clairvoyance de Jean Jacques Rousseau qui écrivit au grand dam des admirateurs de l'Angleterre considéré comme le berceau du parlementarisme.

« Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l'est que durant l'élection des membres du parlement, sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien »16

Comme rappelé ci-dessus, cette idéologie, faisant la part belle aux mandataires du peuple, domine l'histoire constitutionnelle française pendant très longtemps si on excepte les régimes non-républicains. Les régimes républicains ont toujours mis en exergue la toute-puissance du parlement face aux autres pouvoirs plus ou moins relégués au second plan. Il s'agissait de la perpétuation de ce que Roger Priouret appelle « la république des députés ». Carré de Malberg, dans son livre précité unanimement reconnu par les publicistes française, note cette dite perpétuation mise en oeuvre par l'organisation politique issue de la logique révolutionnaire. Expliquant le système politique de la longue troisième république française sous l'égide de la loi fondamentale de 1875, le maitre de Strasbourg écrivit :

« La constitution de 1875 a obéi, sur ce point, à la tradition venue de la Révolution : elle a traité le pouvoir législatif des Chambres comme un pouvoir identique à la souveraineté »

La 3ème république, à l'instar de la 1ère et de la 4ème n'a pas dérogé à l'omnipotence du parlement découlant du seul fait que ses membres exclusivement portent en eux l'intérêt général car ses décisions sont assimilées aux désirs de la nation française. Le parlementarisme absolu ainsi mis en oeuvre exclut toute forme de restriction à la puissance législative indépendamment de l'origine et de la forme de celle-ci. Ce fait explique, entre autres, l'insuccès du projet de l'abbé Sieyès d'instaurer une « jurie constitutionnaire », conçue comme une assemblée collégiale regroupant surtout des personnalités politiques. La supériorité hiérarchique parlementaire a toujours manifesté sa révulsion pour des limitations de ce genre à travers l'histoire constitutionnelle française. La doctrine constitutionnaliste française n'a pas passé sous silence le poids « des remontrances des parlements de l'ancien régime » contre les ordonnances royales comme justification de l'échec de tous les projets ayant pour visée d'astreindre à un quelconque contrôle l'activité du parlement « souverain ». Cependant là n'est pas la raison principale du refus renouvelé des acteurs et penseurs politiques face à l'encadrement juridictionnel ou institutionnel de l'oeuvre de l'assemblée souveraine. Les causes de cet entêtement dans le refus doivent être cherchées dans les

16 ROUSSEAU op.cit., livre III, chap.15

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Introduction

finalités d'un tel projet. Sieyès exposait clairement les fonctions qu'il entend attribuer à cette dite « jurie constitutionnaire » dans un discours de circonstance. Il y déclara :

« C'est un véritable corps de représentants que je demande, avec mission spéciale de juger les réclamations contre toute atteinte qui serait portée à la constitution »

En effet, il était inconcevable, vu les implications de la théorie représentative, d'exercer la moindre surveillance sur les délibérations législatives. Le propre du souverain c'est de n'avoir aucune volonté au-dessus de la sienne. Ses décisions sont irrévocables en soi indépendamment de leur contenu ou de la forme par laquelle elles sont exprimées. Compte tenu de cet ordre d'idées, il était manifeste que le projet de Sieyès était « a priori » condamné au rejet qu'il a essuyé auprès de l'assemblée législative. Les arguments des parlementaires face à cette proposition reflètent évidemment l'idée de ne céder la moindre portion de terrain à toute instance de quelque nature qu'elle soit dans leur hégémonie. L'obstination de l'élite politique issue de la lutte révolutionnaire à maintenir ou renforcer la mainmise du pouvoir législatif ne laissait aucune chance à l'ambitieux projet de l'abbé. Les parlementaires de l'époque ont exprimé plus précisément que seul le souverain a le pouvoir de s'autolimiter. Antoine Claire Thibaudeau, l'un des députés les plus influents de l'époque, l'adversaire la plus farouche du contrôle de constitutionnalité, prononça à la tribune de l'assemblée nationale que « les gardiens les plus sûrs et les plus naturels de toute constitution sont les corps dépositaires des pouvoirs, ensuite tous les citoyens ». En d'autres termes, le projet de l'abbé a été jugé nul et non avenu par ses pairs à cause de son manque d'irrévérence à l'égard du pouvoir législatif. L'assemblée nationale, incarnation de la souveraineté populaire, ne saurait souffrir de limitations dans l'exercice de ses prérogatives d'où qu'elles viennent. Cette « exception de non-recevoir » de l'instauration d'un « juge de l'activité » législative autre que le législateur lui-même a été respectée par les acteurs politiques pendant les deux empires. La lourde tâche de veiller au respect de la constitution de l'an 8 et celle de 1852 a été conférée au sénat. Il en est résulté nul progrès en ce sens car les « pères conscrits » ne se sont jamais émancipés du pouvoir exécutif représenté en la personne de l'empereur. Quant au pouvoir judiciaire, il lui était toujours défendu par les lois des 16 et 24 aout 1790 de faire écran au déploiement et à la mise en oeuvre du pouvoir législatif ou, pour reprendre les termes consacrés, de s'immiscer dans le travail du législateur sous peine de « forfaiture ».

Aucune institution, aucun pouvoir et encore moins le pouvoir judiciaire n'ont réussi à tenir tête réellement à l'idéologie prépondérant faisant de l'assemblée législative l'autorité suprême et incontestable jusqu'à l'avènement de la 5ème république. Le comité constitutionnel de 1946, malgré son apport symbolique en ce sens, n'a joué qu'un rôle de figurant. Composé à l'origine par des membres déterminés par les assemblées parlementaires, son attribution ne consistait, selon les termes de la constitution du 26 octobre 1946, qu'à examiner « si les lois votées par l'assemblée nationale supposent une révision constitutionnelle ». Dépourvu de tout pouvoir effectif de faire ombrage à la souveraineté parlementaire, ce dit comité ne pouvait que signaler, à l'intention des assemblées parlementaires, l'opportunité d'une éventuelle révision constitutionnelle précédent l'adoption d'une loi. En outre, il n'a eu à intervenir qu'une unique

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand