Introduction
« La Constitution française est
représentative : Les représentants sont le Corps
législatif et le roi »13
Le fait que la disposition constitutionnelle cite d'abord le
Corps législatif, (organe proclamé comme représentant de
la totalité des citoyens) n'est pas anodin et encore moins fortuit. Ceci
peut être confirmé par le fait que les prérogatives du chef
de l'exécutif, dans leur mise en application, ne se sont
révélées que des fonctions purement symboliques. Les deux
principales attributions royales étaient le veto suspensif à
l'encontre des lois adoptées par le souverain et la mise en oeuvre de la
coopération internationale. S'agissant du droit de veto, son effet
n'était que de renvoyer la loi litigieuse « aux législatures
subséquentes »14 en vue que celles-ci
prononcèrent le verdict final auquel le roi devait s'accommoder car il
était irrévocable. Comme à l'accoutumée ou encore
vieille survivance en ce qui a trait à la conduite de la politique
étrangère, les conventions et autres actes internationaux conclus
par le roi devaient être ratifiés par le parlement pour
intégrer l'ordre juridique. Le début de l'article 3 de la
Constitution relatif au pouvoir judicaire prohibe toute intrusion de celle-ci
dans les prérogatives du seul « vrai bénéficiaire du
système représentatif », en l'occurrence le corps des
députés, en annonçant de manière grandiloquente.
« Les tribunaux ne peuvent ni s'immiscer dans l'exercice
du Pouvoir législatif, ou suspendre l'exécution des lois sous
peine de forfaiture ».
Les juges, quels qu'ils soient, n'avaient d'autre fonction que
de mettre en application les lois adoptées par le pouvoir
législatif sans même prétendre à aucune forme de
contrôle sur l'oeuvre du détenteur fictif mais puissant de la
souveraineté populaire. Quant à l'appareil administratif, quoique
élu, la constitution le campait au rôle de subalterne du roi tout
en prenant le soin de l'interdire aussi de « s'immiscer dans l'exercice du
pouvoir législatif »15
En effet, en faisant l'exégèse de la
constitution de 1791 et de la déclaration des droits de l'homme et des
citoyens qui l'a précédée de 2 ans, l'on peut conclure que
l'exclusivité de la représentation nationale était
réservée à l'assemblée nationale. Si l'on ne peut
contester la légitimité des députés
postrévolutionnaires dont certains faisaient d'ailleurs partie de
l'Assemblée nationale de 1789 et de l'Assemblée constituante de
1791, en revanche il est loisible de se questionner sur les justifications du
« caractère exclusif de leur représentativité ».
Les titulaires de fonctions diverses autres que le législateur «
n'atteignaient pas la vertu représentative », ils étaient
considérés comme de simples agents ou fonctionnaires donc
dénués du pouvoir de « parler et de vouloir pour la nation
». Nous répétons, après Carré De Malberg, qui
eut à préciser, à juste titre que :
« Le système représentatif que la
révolution a érigé en partant du principe de la
souveraineté nationale, s'analyse, en définitive, en un
système de souveraineté parlementaire ».
13 Ibid. p.18
14 CARRE DE MALBERG, op.cit., p.19
15 Ibid.
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Introduction
Allant au bout de notre réflexion, nous pouvons
confirmer qu'en plus d'être « supérieur aux autres pouvoirs
», l'Assemblée des parlementaires jouissait même d'une forme
d'autonomie par rapport au peuple ou vis-à-vis du corps des citoyens
qui, après tout, constitue le souverain originaire. En effet, par haine
de toute forme de mécanismes de démocratie directe ou même
semi-directe, il était prévu l'indépendance des
députés par rapport à leurs mandants, une fois les joutes
électorales terminées. Sieyès affirmait que le seul devoir
du représentant « c'est d'être libre ». En ce sens, les
publicistes français confirmaient une fois de plus la clairvoyance de
Jean Jacques Rousseau qui écrivit au grand dam des admirateurs de
l'Angleterre considéré comme le berceau du parlementarisme.
« Le peuple anglais pense être
libre, il se trompe fort ; il ne l'est que durant l'élection des membres
du parlement, sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est
rien »16
Comme rappelé ci-dessus, cette idéologie,
faisant la part belle aux mandataires du peuple, domine l'histoire
constitutionnelle française pendant très longtemps si on excepte
les régimes non-républicains. Les régimes
républicains ont toujours mis en exergue la toute-puissance du parlement
face aux autres pouvoirs plus ou moins relégués au second plan.
Il s'agissait de la perpétuation de ce que Roger Priouret appelle «
la république des députés ». Carré de Malberg,
dans son livre précité unanimement reconnu par les publicistes
française, note cette dite perpétuation mise en oeuvre par
l'organisation politique issue de la logique révolutionnaire. Expliquant
le système politique de la longue troisième république
française sous l'égide de la loi fondamentale de 1875, le maitre
de Strasbourg écrivit :
« La constitution de 1875 a obéi, sur ce point,
à la tradition venue de la Révolution : elle a traité le
pouvoir législatif des Chambres comme un pouvoir identique à la
souveraineté »
La 3ème république, à l'instar
de la 1ère et de la 4ème n'a pas
dérogé à l'omnipotence du parlement découlant du
seul fait que ses membres exclusivement portent en eux l'intérêt
général car ses décisions sont assimilées aux
désirs de la nation française. Le parlementarisme absolu ainsi
mis en oeuvre exclut toute forme de restriction à la puissance
législative indépendamment de l'origine et de la forme de
celle-ci. Ce fait explique, entre autres, l'insuccès du projet de
l'abbé Sieyès d'instaurer une « jurie constitutionnaire
», conçue comme une assemblée collégiale regroupant
surtout des personnalités politiques. La supériorité
hiérarchique parlementaire a toujours manifesté sa
révulsion pour des limitations de ce genre à travers l'histoire
constitutionnelle française. La doctrine constitutionnaliste
française n'a pas passé sous silence le poids « des
remontrances des parlements de l'ancien régime » contre les
ordonnances royales comme justification de l'échec de tous les projets
ayant pour visée d'astreindre à un quelconque contrôle
l'activité du parlement « souverain ». Cependant là
n'est pas la raison principale du refus renouvelé des acteurs et
penseurs politiques face à l'encadrement juridictionnel ou
institutionnel de l'oeuvre de l'assemblée souveraine. Les causes de cet
entêtement dans le refus doivent être cherchées dans les
16 ROUSSEAU op.cit., livre III, chap.15
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finalités d'un tel projet. Sieyès exposait
clairement les fonctions qu'il entend attribuer à cette dite «
jurie constitutionnaire » dans un discours de circonstance. Il y
déclara :
« C'est un véritable corps de représentants
que je demande, avec mission spéciale de juger les réclamations
contre toute atteinte qui serait portée à la constitution
»
En effet, il était inconcevable, vu les implications de
la théorie représentative, d'exercer la moindre surveillance sur
les délibérations législatives. Le propre du souverain
c'est de n'avoir aucune volonté au-dessus de la sienne. Ses
décisions sont irrévocables en soi indépendamment de leur
contenu ou de la forme par laquelle elles sont exprimées. Compte tenu de
cet ordre d'idées, il était manifeste que le projet de
Sieyès était « a priori » condamné au rejet
qu'il a essuyé auprès de l'assemblée législative.
Les arguments des parlementaires face à cette proposition
reflètent évidemment l'idée de ne céder la moindre
portion de terrain à toute instance de quelque nature qu'elle soit dans
leur hégémonie. L'obstination de l'élite politique issue
de la lutte révolutionnaire à maintenir ou renforcer la mainmise
du pouvoir législatif ne laissait aucune chance à l'ambitieux
projet de l'abbé. Les parlementaires de l'époque ont
exprimé plus précisément que seul le souverain a le
pouvoir de s'autolimiter. Antoine Claire Thibaudeau, l'un des
députés les plus influents de l'époque, l'adversaire la
plus farouche du contrôle de constitutionnalité, prononça
à la tribune de l'assemblée nationale que « les gardiens les
plus sûrs et les plus naturels de toute constitution sont les corps
dépositaires des pouvoirs, ensuite tous les citoyens ». En d'autres
termes, le projet de l'abbé a été jugé nul et non
avenu par ses pairs à cause de son manque d'irrévérence
à l'égard du pouvoir législatif. L'assemblée
nationale, incarnation de la souveraineté populaire, ne saurait souffrir
de limitations dans l'exercice de ses prérogatives d'où qu'elles
viennent. Cette « exception de non-recevoir » de l'instauration d'un
« juge de l'activité » législative autre que le
législateur lui-même a été respectée par les
acteurs politiques pendant les deux empires. La lourde tâche de veiller
au respect de la constitution de l'an 8 et celle de 1852 a été
conférée au sénat. Il en est résulté nul
progrès en ce sens car les « pères conscrits » ne se
sont jamais émancipés du pouvoir exécutif
représenté en la personne de l'empereur. Quant au pouvoir
judiciaire, il lui était toujours défendu par les lois des 16 et
24 aout 1790 de faire écran au déploiement et à la mise en
oeuvre du pouvoir législatif ou, pour reprendre les termes
consacrés, de s'immiscer dans le travail du législateur sous
peine de « forfaiture ».
Aucune institution, aucun pouvoir et encore moins le pouvoir
judiciaire n'ont réussi à tenir tête réellement
à l'idéologie prépondérant faisant de
l'assemblée législative l'autorité suprême et
incontestable jusqu'à l'avènement de la 5ème
république. Le comité constitutionnel de 1946, malgré son
apport symbolique en ce sens, n'a joué qu'un rôle de figurant.
Composé à l'origine par des membres déterminés par
les assemblées parlementaires, son attribution ne consistait, selon les
termes de la constitution du 26 octobre 1946, qu'à examiner « si
les lois votées par l'assemblée nationale supposent une
révision constitutionnelle ». Dépourvu de tout pouvoir
effectif de faire ombrage à la souveraineté parlementaire, ce dit
comité ne pouvait que signaler, à l'intention des
assemblées parlementaires, l'opportunité d'une éventuelle
révision constitutionnelle précédent l'adoption d'une loi.
En outre, il n'a eu à intervenir qu'une unique
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