Introduction
« La plupart des désordres » qu'ont connus
les cités démocratiques antiques peuvent être
attribués à leur manière de délibérer. Le
peuple délibérait sur place » 8
Les révolutionnaires de 1789 ont joué sur deux
tableaux simultanément : celui de discréditer et de combattre la
légitimité du pouvoir monarchique et aristocratique, au sens
premier du terme, et celui de dénoncer vertement l'incapacité et
l'inintelligence politique du peuple à se gouverner lui-même afin
de tenir à l'écart toute éventuelle velléité
de démocratie directe. La conséquence logique de cette
stratégie discursive est que le titulaire du pouvoir, inapte à
l'exercer, doit choisir d'une manière ou d'une autre des
délégués ou des représentants pour le faire
à sa place. Les penseurs politiques du 18ème
siècle, avec la même intelligence, se sont servis de leur aura et
de leur plume pour légitimer et remplir d'éloges ces derniers.
Les propos les plus appropriés à cet état de fait sont
attribués à un pasteur américain nommé James
Belknap dans le livre de Bertlin de Laniel9. Le
ministre des cultes eut à dire :
« Tenons comme principe que le gouvernement tire son
origine du peuple, mais qu'on enseigne au peuple qu'il n'est pas apte à
se gouverner lui-même »
Il va sans dire que ce travail de promotion du système
représentatif a été aussi lucidement et merveilleusement
orchestré dans l'hexagone. Montesquieu prétendait dans son
maitre-ouvrage (L'Esprit des lois) que « le grand avantage des
représentants, c'est qu'ils sont capables de discuter des affaires. Le
peuple n'y est point du tout propre : ce qui forma un des grands
inconvénients de la démocratie », confondant à
l'image des hommes de sa génération le système
démocratique à la forme de démocratie directe.
L'imaginaire collectif ou la société tout entière
finissaient par s'imprégner de cette façon de concevoir la bonne
gouvernance défendue par ses élites. En dépit de cette
dite imprégnation sociale, la démocratie « sous sa forme
pure » ou sans intermédiaires a eu ses défenseurs. Jean
Jacques Rousseau, contrairement à une idée reçue,
n'était pas l'un des chantres de la démocratie
représentative malgré le fait qu'il acquiesça à
l'idée identifiant la loi à la volonté
générale. En plus de contester l'argument démographique
avancé par les promoteurs du régime représentatif,
l'auteur « Du contrat Social », réfuta catégoriquement
la délégation du pouvoir souverain par le peuple à ses
représentants. Lui comme certains d'autres marginaux, en termes de
proportion, voyaient comme un mythe la souveraineté nationale et son
principal corollaire, l'identification absolue du peuple à ceux qui
siègent dans les assemblées parlementaires. Il écrivit
dans le contrat social10 que « la souveraineté ne peut
être représentée, par la même raison qu'elle ne peut
être aliénée ». En d'autres termes, le concept
souveraineté populaire n'est qu'un leurre si le peuple est privé
de son pouvoir au détriment du mandataire, fût-ce il
auréolé de l'onction électorale. Le parallélisme de
la révolution française avec celle de la
8Cité par L. Cornu, « l'idée
moderne de la république : émergence du mot,
élaboré de l'idée en 1791 », La Révolution
française et la philosophie : échanges et conflits, CRDP, 1990,
p.7879
9 B.LANIEL « Le mot « democracy » aux Etats-Unis
de 1780à 1856 », Publications de l'Université de
Saint-Etienne, 1995LANIEL, « le mot «
10 ROUSSEAU, « Du contrat social », Livre III, chap.
XII
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Introduction
république étoilée est bien probant en ce
sens. En effet face à l'effort sans ménagement fourni par les
tenants de la démocratie représentative ou plus
précisément de la démocratie parlementaire aux USA, des
auteurs et acteurs politiques ont manifesté une certaine
résistance. L'un des précurseurs de la révolution
américaine, John Cotton, démocrate convaincu, pasteur, signifia
son désaccord à la position et l'opinion dominantes en
déclarant que « le gouvernement n'est pas démocratique s'il
est administré non par le peuple mais par des gouverneurs ». En
novembre 1776, les radicaux de Caroline du Nord donnèrent l'instruction
à leurs délégués élus pour rédiger la
constitution que celle-ci devait être « une simple démocratie
» et qu'ils devaient « s'opposer à tout ce qui tendrait vers
l'aristocratie ou le pouvoir entre les mains des riches et des personnes en
situation d'autorité habitués à opprimer les pauvres
».11 Sans surprise aucune, le discours de la
souveraineté populaire mué en « souveraineté
parlementaire » l'emporta conformément aux vues des acteurs
politiques comme Sieyès et Brissot des auteurs comme Montesquieu au
grand dam des penseurs politiques comme Jean Jacques Rousseau. L'agora, place
publique servant de lieu ou les citoyens athéniens se
réunissaient pour prendre les décisions relatives à la
cité, n'est pas choisi comme le siège du pouvoir par les
pères de la révolution française. Commence dès lors
le règne presque sans partage, hormis pendant les tentatives de
rétablissement de la monarchie, de la démocratie parlementaire
dont le fondement est une osmose entre la nation et ses représentants
élus. Ce régime a prévalu pendant les différentes
républiques sauf celle qui est en cours, en l'occurrence la
5ème république. Le parlement s'est trouvé
investi d'une puissance illimitée se fondant sur le fait qu'il
équivaut au titulaire de la souveraineté ou encore qu'il est
devenu lui-même, grâce à la légitimité
électorale dépositaire de celle-ci. Ce pouvoir sans borne du
corps législatif est ainsi exprimé par Carré de Malberg
dans son livre intitulé, la loi l'expression de la volonté
générale :
« Le parlement est capable d'étendre son pouvoir
législatif à tout objet quelconque sur lequel il entend
s'attribuer et se réserver la faculté de statuer à
l'exclusion de toute autorité »12
Contrairement à la thèse rousseauiste
d'inaliénabilité et d'indivisibilité de la
souveraineté, le peuple français a dû admettre la «
réflexion » de la sienne sur la personne de ses
délégués.
Le système politico-administratif, érigé
suite à la révolution française par la constitution
de1791, en outre d'assimiler les délibérations des
députés à la volonté populaire, laissait entrevoir
avec clarté le parti pris pour une organisation verticale des pouvoirs.
Les constituants postrévolutionnaires affichaient avec condescendance la
prévalence du pouvoir législatif sur toutes les autres
sphères de pouvoir y compris l'exécutif. La voix de la
Législature prédominait ou devrait l'être aux dépens
de toutes les autres structures institutionnelles. L'article 2 de la charte
fondamentale, nous rappelle le maitre de Strasbourg prescrivait :
11 DUPUIS-DERI, op.cit.,
12 CARRE DE MALBERG R, « La Loi, expression de la
volonté générale », 1ère édition,
Paris, Economica, 1984, p. 14
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