Introduction
« Dans notre plan, les citoyens font plus ou moins
immédiatement le choix de leur députés à
l'assemblée législative, la législation cesse d'être
démocratique et devient représentative »1
écrivit Sieyès, figure de proue de la révolution
française. Son confrère Brissot poursuivit dans la même
lignée en écrivant :
« Les républicains de France ne veulent point de la
démocratie pure d'Athènes »2
Ces passages dénotent deux faits historiques de grande
valeur. D'abord, à cette époque de l'histoire, le concept
démocratie était confondu par la classe politique
française particulièrement avec celui de démocratie
directe. Le 2ème aspect et non le moindre est cette forme
d'antipathie des révolutionnaires pour l'expérience
athénienne de vie démocratique. En effet, fidèle à
Voltaire qui considérait « le peuple comme la canaille
»3, l'élite politique française qui se parait des
habits de démocrates répugnaient toute forme de gouvernement ou
le peuple prendrait directement ou effectivement les décisions
concernant « la res publica ».Les raisons justificatives
avancées par les acteurs politiques et les penseurs pour dénigrer
« la pure démocratie »sont multidimensionnelles et de divers
ordres. Cependant, toutes sont conformes à l'idée voltairienne
exprimée ci-dessus4.En premier lieu, ils
estimaient le peuple pas assez vertueux pour proposer, débattre, adopter
des lois en un mot pour assurer sans intermédiaires la gouvernance
nationale comme cela était pratiqué dans « l'agora
athénienne ». Le peuple est facilement manipulable et se laisse
entraîner par ses passions, avançaient certains, pour
prévenir la faiblesse « du gouvernement du peuple, par le peuple et
pour le peuple »5. D'où
l'émergence des idées « d'aristocratie naturelle » ou
d'aristocratie « représentative » présentes chez les
penseurs politiques américains et français6. Selon,
les membres de l'élite politique des deux côtés de
l'Atlantique, « eux seuls détiendraient la compétence et le
savoir pour penser, identifier, défendre et promouvoir le bien commun
alors que les gens (du petit) peuple ne sont motivés que par leur
intérêt immédiat et personnel »7. Ils
dénoncent la démocratie directe avec la même vigueur qu'ils
répudient les régimes monarchiques et oligarchiques. A l'argument
d'incapacité politique du peuple, ces derniers ajoutaient le manque
d'autonomie d'esprit de la classe populaire lié à ces
conditions
1Voir Yves DURAND, « les républiques
au temps des monarchies », PUF, 1973
2Cité in J. MADIOSON et A. HAMILTON §
J.JAY «The federalist Papers», Penguin books,
1990,p.78-79
3Voir la lettre de Voltaire à Damilaville du 19
novembre 1765
4Ibid.
5Définition attribuée au concept
démocratie par l'ancien président Abraham LINCLON
6DUPUIS-DERI F « l'esprit
antidémocratique des fondateurs de la « démocratie
»moderne »,Agone, n°22, septembre 1999,
p.99
7Ibid., p.10
Kléberson JEAN BAPTISTE 2
Introduction
matérielles d'existence. En effet l'idée
était véhiculée que seuls les gens jouissant d'une
autonomie financière peuvent avoir une pensée rationnelle et un
libre arbitre donc étaient à la hauteur de participer au
processus décisionnel relatif aux affaires étatiques. John Adams
écrivit péremptoirement :
« Telle est la fragilité du coeur humain que
seulement quelques hommes qui n'ont pas de propriété
possèdent un jugement qui leur soit propre ».
Rejetant d'un revers de main la démocratie sous sa
forme directe, les révolutionnaires n'ont jamais dénié, en
revanche, que tout pouvoir vient du peuple. La nation est unanimement
acceptée comme détenteur authentique de la souveraineté
sans qu'on accepte qu'elle exerce elle-même les attributions qui en
découlent. Rappelons que la souveraineté implique une
autorité qui est au-dessus de tous les pouvoirs, qui les contrôle
tous sans pouvoir lui-même être contrôlée car elle est
la source de tout pouvoir. Personne, hormis les monarchistes et les oligarques,
n'a contesté cette souveraineté populaire. Le problème,
comme on vient de l'expliciter plus haut, est qu'on estime que le
détenteur de cette omnipotence, en l'occurrence le peuple, ne saurait
l'exercer sans conduire à des méfaits inimaginables. L'inculture
de la masse populaire, sa pauvreté d'esprit, entre autres l'auraient
empêché d'être à la hauteur de cette mission de
gouvernance. Les hommes politiques doivent essayer de trouver un palliatif
à ce dilemme« pour que la cité ne soit pas ingouvernable ou
mal gouvernée ». Cette réflexion a été
déjà entamée par les philosophes anglais John Locke
(1632-1704) et Thomas Hobbes (1588-1679). Ces deux auteurs,
réfléchissant sur l'origine de l'état, ont
élaboré la théorie du contrat social qui dénie tout
fondement théocratique au pouvoir politique. En effet selon ces derniers
l'état est né à la suite d'un contrat conclu entre les
individus acceptant de limiter leurs droits individuels et leur pouvoir
originaire pour les « transférer à une instance neutre et
unique chargée de les gouverner ». Nous voyons déjà
poindre l'idée du système représentatif qui
connaîtra sa confirmation ou ses lettres de noblesse au
18ème siècle français dénommé
« Siècle des Lumières ». Les écrivains de ce
siècle dont les idées seront traduites dans la révolution
française et sa congénère, en l'occurrence la
révolution américaine, ont quasiment tous abondé dans le
sens de la démocratie représentative qui sera effectivement
adoptée par préférence à la démocratie
directe considérée par les pères de ces deux glorieuses
révolutions comme le « règne de la populace
»susceptible d'entraîner l'anarchie ou le chaos. James Madison, un
des pères de la constitution américaine, à l'image de ses
homologues français s'exprime ainsi à propos de la vie
démocratique de la Grèce antique
« Si chaque citoyen d'Athènes avait
été un Socrate, chaque assemblée athénienne aurait
été malgré tout une cohue »
En France, dans cette même lignée, on lisait sous
la plume du girondin Brissot, l'un des meneurs de la lutte
révolutionnaire de 1789 :
Kléberson JEAN BAPTISTE 3
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