Conclusion
Sous l'effet de la justice constitutionnelle, en France comme
ailleurs, toutes les branches du droit ont été
constitutionnalisées. La constitution, jadis «
réservée » aux professeurs de droit et au juge
constitutionnel, devient l'un des livres de chevet de tous les avocats. La
création de la nouvelle voie de droit qu'est la question prioritaire de
constitutionnalité a renforcé ce phénomène de
juridictionnalisation de la norme fondamentale puisqu'elle oblige tous les
acteurs du monde juridique français indistinctement à la pratique
de la justice constitutionnelle à un titre ou à un autre. Tous
les juges peuvent de nos jours au moins analyser le bien fondé d'un
dossier de contentieux constitutionnel pour le renvoyer ou non à la Cour
de cassation ou au Conseil d'état.
Au lieu de constituer un échec à la
démocratie, la justice constitutionnelle fait partie intégrante
des techniques et usages qui permettent de mesurer le niveau d'engagement
démocratique des décideurs ou des gouvernants contemporains.
L'expansion de la justice constitutionnelle d'une nation est proportionnelle
à son niveau d'avancement sur le plan démocratique. Plus personne
ne peut avancer sérieusement la thèse qui oppose radicalement et
totalement la justice constitutionnelle et la démocratie
représentative. Le Conseil constitutionnel français, à
l'instar des autres juridictions constitutionnelles dans le monde, est une
institution importante de régulation de la vie politique et de
renforcement permanente du processus démocratique par sa jurisprudence.
Il est également une structure institutionnelle vitale pour la bonne
marche de la société française au même titre que le
Conseil d'état et la Cour de cassation malgré sa relative
jeunesse face à ces deux cours suprêmes de la hiérarchie
judiciaire française. En dépit des efforts continus du Conseil
constitutionnel, il reste des avancées dans le sens de la
juridictionnalisation du contrôle à priori. Si la question
prioritaire de constitutionnalité respecte tous les canons
procéduraux, le contrôle abstrait souffre encore de la pesanteur
des premières années du Conseil constitutionnel. Le mode de
nomination des conseillers constitutionnels peut également être
amélioré pour que le Conseil constitutionnel réduise la
marge qui le sépare d'une cour constitutionnelle comme la Cour de
Karlsruhe de la république fédérale d'Allemagne.
Malgré le désaccord du doyen Vedel sur ce sujet, nous pensons que
le Conseil constitutionnel remplira encore mieux sa fonction pédagogique
s'il accepte de publier les opinions dissidentes et concurrentes des
conseillers au même moment que la décision officielle à
l'instar de la Cour Suprême des Etats-Unis. Il va de soi que cette
pratique porterait atteinte au devoir sacro-saint de réserve auquel sont
astreints les membres de la fonction judiciaire française. Cependant, ce
« reniement » constitue l'une des voies privilégiées si
le Conseil constitutionnel veut être l'émule des plus respectables
et rayonnantes juridictions constitutionnelles du monde contemporain. Sans
faire écho à la notion polémique de « gouvernement
des juges » introduite par Edouard Lambert dans la littérature
juridique française, nous condamnons, après la doctrine
majoritaire, toutes formes d'activisme
Kléberson JEAN BAPTISTE 74
Conclusion
juridictionnel qui franchiraient les bornes de la justice
constitutionnelle pour permettre aux juges d'imposer leur vision du monde ou
leur sensibilité politique. Tout compte fait, si la perversion de la
justice constitutionnelle est préjudiciable à la
démocratie, une justice constitutionnelle, « resserrée
» dans les limites selon la formule de Tocqueville ne peut qu'être
un mécanisme au service des droits humains et de la démocratie
partout où elle est ainsi pratiquée.
Kléberson JEAN BAPTISTE 75
Bibliographie
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