B. De la démocratie représentative
à la démocratie constitutionnelle
Le professeur Dominique Rousseau résume de la
manière suivante la transmutation de la démocratie :
Kléberson JEAN BAPTISTE 69
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
« L'ancienne représentation de la
démocratie pouvait se résumer par la formule « la
démocratie par la loi, la nouvelle peut s'exprimer par la formule la
démocratie par la Constitution »72.
Fidèle à cette démarche comparative, nous
pouvons affirmer que la démocratie constitutionnelle est à la
fois la rupture et l'approfondissement de la démocratie
représentative telle que théorisée par les pères de
la révolution. Elle rompt définitivement et
irrémédiablement avec le dogme de l'infaillibilité de la
loi. Le respect de la loi n'est plus absolu mais conditionné.
Conséquemment, la nouvelle forme de démocratie nie toute
assimilation de la volonté parlementaire à la volonté
générale. Les parlementaires sont considérés comme
les délégués élus donc les subalternes du peuple
souverain et non son « égal ». Le juge constitutionnel, l'un
des acteurs influents de la démocratie constitutionnelle, vérifie
continuellement si le travail législatif, les
délibérations législatives sont en conformité
à la volonté du souverain exprimée non plus dans la loi
mais dans le « pacte social » fondateur qu'est la Constitution.
Les divergences entre l'ancienne et la nouvelle forme de
démocratie vont au-delà de ces considérations
précitées. La démocratie constitutionnelle n'est pas
exclusive à l'instar de sa devancière. Elle n'est pas
monopolistique en ce sens qu'elle intègre trois acteurs dans le
processus d'énonciation de la volonté générale au
lieu d'en donner l'exclusivité aux députés et
sénateurs élus. Elle n'est ou en tout cas ne doit être ni
la dictature ni le gouvernement des juges. A la majorité parlementaire
et l'exécutif bien souvent monolithiques et confondus à cause du
bipartisme ou des alliances politiques conjoncturelles, la démocratie
constitutionnelle ajoute le juge constitutionnel qui sert d'ultime filtre
à l'oeuvre des élus. Celle-ci ne fait pas de l'élection
l'alpha et l'oméga de tout. Les pouvoirs des élus sont
bornés et encadrés par une constitution formelle donc
écrite à laquelle se réfère le Conseil
constitutionnel pour garantir les droits des citoyens, des associations et des
regroupements de citoyens. Stéphane Pinon, l'un des juristes promoteurs
de la démocratie par la constitution encore appelée
démocratie constitutionnelle affirme nonobstant les controverses :
« L'élection n'est pas, en soi ou
nécessairement, le principe unique et exclusif, suffisant et distinctif
de la démocratie ; elle n'a pas été et elle n'est pas le
seul mode de participation populaire à l'exercice du pouvoir, le seul
ressort de la légitimité démocratique
»73.
La démocratie constitutionnelle conformément
à sa dénomination ne se fonde pas exclusivement sur des arguments
politiques. Ceux-ci sont confrontés aux raisonnements juridiques et
sociologiques. Le juge constitutionnel vérifie toujours l'acuité
juridique des textes législatifs par rapport à des principes non
teintés de juridisme mais alliant la réalité
socio-anthropologique, les acquis jurisprudentiels et le pur droit au sens
kelsénien de la
72 D ROUSSEAU, « Droit du contentieux constitutionnel
», op.cit., p.489
73 Cité par S PINON, « La notion de
démocratie constitutionnelle dans la doctrine française »,
op.cit, p.452
Kléberson JEAN BAPTISTE 70
Kléberson JEAN BAPTISTE 71
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
notion. La délibération du juge, dans un
régime de démocratie constitutionnelle, se fait après un
échange argumentatif entre la majorité et l'opposition et en
tenant compte de l'avis du savant au sens que Max Weber donnait à cette
notion c'est-à-dire l'intellectuel ou plus précisément la
doctrine désintéressée, libre donc objective dans leur
analyse et leur critique. La décision issue de cette pratique
délibérative engageant divers acteurs n'est pas pour autant
figée et irrévocable. Elle reste éternellement objet de
questionnements et de discussions et peut être modifiée si les
paramètres factuels et juridiques varient sous l'influence du temps. Ce
phénomène est appelé revirement jurisprudentiel par les
spécialistes.
Il va sans dire que le peuple souverain, à
défaut de participer en bloc à toutes les
délibérations, est mieux protégé dans un
régime de démocratie constitutionnelle. Ses membres peuvent
individuellement défendre leurs prérogatives à
défaut de pouvoir participer en tant que corps constitué à
toutes les décisions et délibérations les
intéressant dans un régime de démocratie
constitutionnelle. Il n'est pas osé de prétendre de ce fait que
la démocratie constitutionnelle est une sorte de «
démocratisation de la démocratie ». Elle résiste
à toutes formes de tentatives réductionnistes de la
liberté populaire ou de l'espace privé des citoyens et à
toutes manoeuvres confiscatoires du pouvoir du peuple par ses
délégués élus. En dehors des périodes
électorales, elle offre à la population « un droit de regard
» et de critique sur l'usage que font ses représentants ou ses
« commis » de son pouvoir. « La logique de la démocratie
constitutionnelle, expliquent ses adeptes, n'est pas de donner le pouvoir
décisionnel (...) à la ou aux minorité(s)! Elle est de
leur offrir la faculté de continuer à intervenir, entre deux
moments électoraux, dans le processus de formation de la volonté
générale en contraignant la majorité à prendre au
sérieux leurs points de vue, à en délibérer et, le
cas échéant, à les intégrer dans la décision
finale »74.
La démocratie constitutionnelle ne s'inscrit pas non
plus dans une dynamique révolutionnaire au sens commun du terme. Elle ne
vise pas à un renversement de toutes les structures institutionnelles et
de tous les mécanismes de gouvernabilité mis en place par la
démocratie représentative. Autrement dit, sa vocation n'est pas
d'ériger en lieu et place du parlement une autre institution dominante
ou une autre structure détentrice à elle seule de la
capacité de parler au nom du souverain. Elle est de
préférence un mode de gouvernance décentralisée et
réformiste. Elle reconnaît à l'instar de la
démocratie représentative la légitimité
incontestable des représentants élus à proposer, à
réformer en un mot à diriger le pays. Le seul tempérament
qu'il porte à cette faculté d'autodétermination des
représentants élus est la prééminence de la
Constitution ou du bloc de constitutionnalité telle que
l'interprète en dernier ressort le juge constitutionnel ou le Conseil
constitutionnel s'agissant du cas de la France. En ce sens, l'on peut affirmer
que la démocratie constitutionnelle est également un
approfondissement de la démocratie représentative ou de la
démocratie parlementaire. La définition suivante tirée des
écrits du précurseur tout au moins du défenseur
infaillible de cette forme de démocratie réactualisée en
l'occurrence, le professeur Dominique Rousseau, corrobore nos propos :
74 Ibid., p.452
La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
« La démocratie constitutionnelle définit
un au-delà de la représentation non parce qu'elle la supprimerait
mais parce qu'elle la transforme et élargit l'espace de participation
populaire en inventant des formes particulières permettant à
l'opinion d'exercer un travail politique : le contrôle continu et
effectif, en dehors des moments électoraux, de l'action des gouvernants
»75.
75 D ROUSSEAU, « La justice constitutionnelle en Europe
», 3ème édition, Paris, Montchrestien, 1998,
p.154
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La garantie et le renouvellement de la démocratie par la
justice constitutionnelle
Kléberson JEAN BAPTISTE 73
Conclusion
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