§ 2. L'affaiblissement du Parlement
Selon la conception française de la démocratie
relatée plus haut, conception formée dès 1789, le
Parlement porte en lui la représentation nationale.
Conséquemment, il est au-dessus de toutes les autres instituions
indépendamment de la nature de celles-ci. Cette logique
démocratique fondera, comme déjà expliqué, quatre
(4) républiques. La cinquième république symbolise avec
fracas la fin de ce visage de la démocratie. Le professeur Pierre
Brunet, résumant la fin du parlementarisme français affirme non
sans humour :
« La souveraine d'hier fut enterrée dans le
cercueil de la Constitution de 1958 sur lequel le Conseil constitutionnel vient
déposer un obiter dictum »
L'institution chargée de maintenir le parlement dans le
cadre strict de ses attributions constitutionnelles limitativement
énumérées est le Conseil constitutionnel. Pour
répéter les mots du feu François Luchaire, éminent
constitutionnaliste et constituant en 1958, l'on peut
49 D ROUSSEAU, op.cit., p.24
Kléberson JEAN BAPTISTE 36
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
affirmer que le Conseil constitutionnel a comme fonction
principale « de surveiller parlement » (A)50.
Paradoxalement, la surveillance des prérogatives parlementaires a
impliqué le renforcement du gouvernement sur tous les plans (B).
A. La surveillance du parlement assurée par le
Conseil constitutionnel
Croyant comme Kelsen, le père du normativisme, que la
théorie de l'autolimitation parlementaire est un leurre, les
constituants de 1958 ont donné naissance à une instance
juridictionnelle pour protéger la constitution contre les
éventuels errements et empiètements du parlement en flagrante
contravention avec la tradition et la culture politique française. Miche
Debré, garde des Sceaux du gouvernement de Gaulle, déclara que
« la constitution a créé une arme contre la déviation
parlementaire ». Ainsi prend fin la hiérarchisation des trois (3)
pouvoirs publics et corrélativement l'hégémonie
parlementaire léguée par la révolution. La doctrine
politique et constitutionnaliste retient le concept de « rationalisation
parlementaire » pour qualifier ce retournement de situation.
L'antiparlementarisme de la Charte fondamentale de 1958 peut être
décelé dans plusieurs de ses dispositions. L'article 34 de la
constitution, à titre d'exemple, prend le soin d'énumérer
les uns après les autres les domaines sur lesquels le parlement peut
légiférer. Conséquemment, il a été
laissé un large champ normatif au profit de l'autorité
réglementaire. Organe exclusivement chargé au début de sa
création de veiller à la répartition verticale des
pouvoirs, le Conseil se trouve de fait comme un contrepouvoir en face des
assemblées parlementaires conformément à l'esprit et
à la lettre de la constitution en vigueur. Du fait de la pesanteur des
croyances et du mythe représentatif, le Conseil a été
très vite dénoncé par certains comme un frein à la
démocratie ou comme une institution aux antipodes des canons de la
démocratie.
La fin de la souveraineté parlementaire et la
délimitation des compétences du législateur traduisent
l'échec de la démocratie représentative ou tout au moins
de sa dénaturation orchestrée sciemment. Se rendant compte des
travers du parlementarisme, les dirigeants de la 5ème république
ont rompu avec la théorie de confusion de l'identité des
gouvernés avec celle des parlementaires. En dépit de
l'investiture populaire de ces derniers, leur volonté redevient
subordonnée à l'interprétation que fait le Conseil des
normes constitutionnelles. A partir de 1971, année de
l'émancipation du conseil, la juridictionnalisation de la
déclaration des droits de l'homme et du préambule de la
constitution de 1946 a considérablement élargi les normes de
référence à partir desquelles le Conseil constitutionnel
contient l'activité législative dans ses limites. Qui plus est,
le Conseil constitutionnel, sous le fondement de l'alinéa premier de
l'article 61 de la constitution, examine la constitutionnalité des
règlements intérieurs des assemblées parlementaires ce
qui, selon certains analystes, constituerait une violation de
50 Voir F. LUCHAIRE, « Le juge constitutionnel en France
et aux Etats-Unis. Etude comparée », 1ère
édition, Paris, Economica, 2002
Kléberson JEAN BAPTISTE 37
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
l'autonomie du parlement. A ceux qui objectent que le Conseil
constitutionnel consacre ainsi un rejet de la démocratie, les Sages
répondent que la constitution, symbolisant le contrat social, est la
règle de droit suprême.
En effet à partir de 1958, le parlement n'est plus
l'incarnation de la souveraineté nationale. Il constitue comme le
l'exécutif et le judicaire un pouvoir constitué qui doit
être contrebalancé par les autres puisque seul « le pouvoir
peut arrêter le pouvoir ». Cette délimitation du pouvoir du
législateur n'a pas créé de vide juridique dans l'appareil
normatif français. Cela est dû au fait que les domaines ravis au
parlement ont été placés sous l'égide d'autres
autorité normatives. Grâce ainsi à l'accentuation de la
décentralisation consacrée le principe constitutionnel de libre
administration des collectivités locales, les élus locaux ont pu
bénéficier également d'un espace normatif pour administrer
les entités infra- étatiques. Cependant, le véritable
bénéficiaire de l'embrigadement du législateur
assuré par le Conseil constitutionnel demeure le pouvoir exécutif
dans sa dimension bicéphale. Plus précisément, la
réduction du domaine législatif a eu comme pendant
l'élargissement du domaine réglementaire du gouvernement.
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