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Justice constitutionnelle en France et démocratie

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par Jean- Baptiste KLEBERSON
Université de Bretagne occidentale de France - Master 2 en droit public 2011
  

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B. La « participation » du Conseil constitutionnel au processus législatif

Le concept « participation » ne doit pas être pris au sens où le Conseil serait partie prenante dans la fonction de légiférer au sens premier du terme. Cela serait totalement contraire aux principes basiques de la théorie séparatiste des pouvoirs dont la paternité est attribuée à Charles Louis de Secondat plus connu sous le nom de Montesquieu. D'ailleurs le Conseil constitutionnel se prémunit contre toute forme d'intrusion en ce sens en déclarant constamment « qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision au même titre que le parlement ». La « participation » du Conseil constitutionnel à l'activité législative est une construction métaphorique de la doctrine juridique exprimant deux réalités. D'abord elle explicite l'implication des décisions du juge constitutionnel sur la loi litigieuse qui fait d'elle un « législateur-négatif » ou un « colégislateur ». (1) Elle exprime ensuite de

47 Voir Communication de M. Régis de GOUTTES , premier avocat générale de la Cour de cassation, à l'occasion du Colloque du cinquantenaire du Conseil constitutionnel intitulé « Le dialogue des juges » le 3 nov.2008

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manière imagée les influences de la jurisprudence du Conseil sur la politique législative du gouvernement et de sa majorité parlementaire (2).

1. Le Conseil constitutionnel : « colégislateur » et « législateur » négatif

Le Conseil constitutionnel doit sa qualité de « colégislateur » à une démarche définitionnelle de Charles Eisenmann empruntée et étayée par Michel Troper. Selon l'auteur de « La Justice Constitutionnelle et la Haute Cour Constitutionnelle d'Autriche « est auteur ou coauteur d'un acte, toute autorité qui participe de manière décisionnelle au processus d'édiction de l'acte, autrement dit toute autorité dont le consentement est indispensable à la formation de l'acte ». Il faut très vite préciser, à l'instar de Michel Troper, qu'une commission d'experts chargé par l'état de rédiger une proposition de texte législatif ne répond pas à ce critère. Aussi qualifiés que soient les experts, leur avis n'est qu'un simple conseil et n'a aucune force décisionnelle. Les autorités peuvent toujours passer outre de leurs recommandations. En revanche, la décision du Conseil constitutionnel s'impose aux autorités gouvernementales et juridictionnelles au terme de l'article 62 précité. Le Conseil, grâce à la force obligatoire de ces décisions, fait partie de l'ensemble des acteurs édictant la loi. Selon cette grille de lecture doctrinale, le législateur est ainsi concurrencé par le juge constitutionnel dans son travail « d'énonciation de la volonté générale ». Conséquemment la fonction législative est partagée par le gouvernement, le législateur et le juge constitutionnel dans le cadre d'un projet de loi. Elle se réduit aux parlementaires et au Conseil constitutionnel s'il s'agit d'une proposition de loi.

Quant à la dénomination encore métaphorique de « législateur négatif », elle est issue des réflexions de Hans Kelsen sur la justice constitutionnelle en particulier et sur la science juridique de manière particulière. Selon le maître de Viennes, la différence plausible entre « la fonction juridictionnelle et la fonction législative consiste avant tout en ce que celle-ci crée des normes générales, tandis que celle-là crée des normes individuelles ». Kelsen déduit de cette différence fonctionnelle que le juge constitutionnel fait exceptionnellement office de législateur en prononçant une décision de censure car, dit-il :

« Annuler une loi, c'est poser une norme générale ; car l'annulation d'une loi a le même caractère de généralité que sa confection, n'étant pour ainsi dire que la confection avec un signe négatif, donc elle-même une fonction législative. Et le tribunal qui a le pouvoir d'annuler les lois est par conséquent un organe du pouvoir législatif »

Ces deux constructions doctrinales peuvent renforcer la conviction de l'incompatibilité de la justice constitutionnelle avec la démocratie. Il n'en est rien car elles n'ont pas pour but de cautionner un empiètement du juge constitutionnel sur les prérogatives exclusives du pouvoir législatif. Elles ne font que témoigner du dialogue et de la cohabitation institutionnels établis entre les pouvoirs publics du fait de l'avènement de la justice constitutionnelle sous la 5ème

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république. Autrement dit, en recourant à ses formules, les auteurs précités décrivent implicitement l'influence sans cesse grandissante des prescriptions jurisprudentielles du Conseil constitutionnel sur la politique législative gouvernementale appuyée par sa majorité parlementaire.

2. Le poids de la jurisprudence du conseil dans la fonction de légiférer

La jurisprudence du Conseil constitutionnel est impérativement prise en compte lors de la préparation et de la discussion d'un texte de loi. Au sein des différents gouvernements, il s'est installé ce que Dominique Rousseau appelle « l'exécution préventive » des décisions du Conseil constitutionnel. Les services internes gouvernementaux et les différentes commissions parlementaires subissent l'influence de la jurisprudence du conseil lors de la rédaction des futurs projets de loi et lors de la discussion y relative. Nous voulons pour preuve les déclarations de l'actuelle ministre de la justice relatives au projet de loi sur le harcèlement sexuel suite à l'invalidation du Conseil48de l'article 222-33 du code pénal pour non-conformité à « la légalité des délits et des peines ».Celle-ci, lors du débat au sénat relatif à ce nouveau texte, eut à affirmer que prévenir le risque d'inconstitutionnalité a été pour elle une préoccupation permanente. Cet aveu de la garde des sceaux nous permet de déduire que la jurisprudence du Conseil constitutionnel produit son plein effet dès les travaux préparatoires d'un texte législatif.

L'ancien premier ministre Michel Rocard, nous dit l'auteur précité, eut à demander à ses ministres « de faire étudier attentivement par leurs services les questions de constitutionnalité que pourrait soulever un texte en cours d'élaboration ».

Ces dispositions administratives et cette volonté au plus haut sommet de l'état d'éviter les griefs d'inconstitutionnalité s'ajoutent aux différents types de réserves d'interprétation évoqués plus haut. En effet, les réserves interprétatives du Conseil constitutionnel orientent les futurs choix du législateur dans un sens ou un autre.

Par sa jurisprudence sur l'incompétence négative, le Conseil oblige le législateur à épuiser toutes ses prérogatives constitutionnelles. Celui-ci doit se laisser guider par l'interprétation que le conseil donne à ses attributions au risque de voir son oeuvre invalidée parce qu'il a déchargé ses responsabilités sur le pouvoir réglementaire. Tout compte fait, le premier instrument de travail du législateur doit être le catalogue des décisions du conseil pour éviter les déconvenues. Celui-ci doit modeler sa politique législative en conséquence. Il est rare que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne soit pas invoquée lors d'un débat parlementaire soit pour renforcer la perception de la solidité juridique du texte en discussion soit « pour

48 Conseil constitutionnel, n°2010-240 ,04 mai 2012, QPC

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prétendre qu'il est un mort-né à cause d'éventuelles contradictions à la ligne jurisprudentielle tracée par les neuf (9) Sages de la rue Montpensier.

A la lumière de ces facteurs, il est évident que la jurisprudence du Conseil constitutionnel est d'une influence déterminante sur le travail législatif en amont et en aval. Les décisions interprétatives sus-évoquées servent d'orientation et de guide pour le parlement et le gouvernement. Il faut quand même signaler que l'épée Damoclès de « gouvernement des juges » menace constamment le Conseil constitutionnel comme tout juge constitutionnel. Ce spectre récurrent est également exploité par les défenseurs de la thèse opposant la justice constitutionnelle et la démocratie.

Le Conseil constitutionnel n'exerçait qu'un contrôle formel de la loi initialement c'est-à-dire se portant exclusivement sut les questions procédurales et de compétence. La doctrine constitutionnaliste nomme ceci un examen de régularité externe par opposition au contrôle de la régularité interne s'intéressant au contenu et au fond de la loi. Il a fallu attendre la décision liberté d'association du 16 juillet 1971 pour que le Conseil fasse une interprétation extensive de ses compétences en alliant depuis les deux types de contrôle de constitutionnalité. A la timidité originelle du constituant originaire de 1958 quant au contrôle de constitutionnalité des lois contraste un dessein clairement et constamment exprimé de limiter strictement les attributions du Parlement. « Pour se diriger dans le labyrinthe des dispositions constitutionnelles de 1958 », conseille Dominique Rousseau, « il existe un fil d'Ariane simple et connu de tous : l'abaissement du Parlement »49. L'institution chargée de l'effectivité et de la surveillance de cet abaissement était et demeure le Conseil constitutionnel.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry