§ 2. La légitimité électorale
« Aucun homme n'est assez bon pour diriger les autres
sans leur consentement » disait l'ancien président Miterrand. Cette
phrase autour de laquelle un consensus est facile à trouver constitue le
leitmotiv du système politique représentatif. Elle l'est
davantage pour la démocratie parlementaire telle qu'elle fut
instaurée à la fin de la révolution française pour
ensuite inhiber toute la culture politique républicaine. En s'opposant
à la monarchie de droit divin et aux distinctions
héréditaires, les révolutionnaires devaient trouver une
base au pouvoir qu'ils convoitaient. Il imposa l'idée logique que seul
l'assentiment populaire reçu par le triomphe aux élections peut
fonder l'exercice du pouvoir. (A) Encore que le régime électoral
postrévolutionnaire de 1791 ne satisfait pas à tous les
critères du suffrage contemporain (B).
32 G.BURDEAU, « Loi », www.universalis.fr/
encyclopédie
Kléberson JEAN BAPTISTE 22
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
A. L'autorisation populaire, source du pouvoir
politique représentatif
Le peuple, une fois ravi son pouvoir capturé par la
monarchie absolue l'a confié volontairement à des instances
représentatives selon l'esprit révolutionnaire de 1789. D'un
statut très modeste, le peuple est propulsé au rang
élogieux d'électeur. A défaut de pouvoir lui-même
être partie prenante, la collectivité populaire s'est vue offerte
l'opportunité périodique de nommer, de renommer ou de
congédier le personnel politique. Le droit positif a pris acte de cette
évolution dans la DDHC français en son article 3 qui se lit ainsi
:
« Le principe de toute Souveraineté réside
essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer
d'autorité qui n'en émane expressément »
Telle est l'innovation de la classe politique qui a servi
corrélativement à conforter leur pouvoir ou leur carrière
politique à l'assemblée nationale. S'il est vrai que, la doctrine
représentative a trouvé dans ses assises populaires sa
longévité et sa légitimité, l'on peut voir, en
revanche, une véritable avancée démocratique (1) Cette
légitimité populaire de laquelle le législateur se
prévaut a eu comme conséquence l'affaiblissement du pouvoir
exécutif (2).
1. Le suffrage électoral : une grande
avancée démocratique
Les peuples se sont apparemment accommodés de
l'idée qu'ils sont inaptes à s'auto-diriger. Si l'on est libre de
ne pas adhérer à cette idée mais on doit quand même
accepter la réalité suivante. La doctrine de la démocratie
représentative trouve application au-delà des frontières
du monde entier. Inversement du début du 18ème
siècle, le concept démocratie est dorénavant confondu
à sa forme représentative dans l'imaginaire collectif et
même sous la plume de quelques écrivains. Fort de ce constat, il
est loisible d'affirmer que les élections sont unanimement
acceptées comme l'une des preuves de la santé démocratique
de tout pays pourvu qu'elles soient exemptes de fraudes massives et
d'irrégularités non sanctionnées.
En effet, le suffrage électoral, par définition,
permet à tout citoyen indépendamment de son origine sociale ou
familiale, de ses moyens financiers de solliciter le vote populaire. Il faut
quand même rappeler que progressivement les générations
suivantes ont perfectionné le système lacunaire
hérité du 18ème siècle. Cet aspect sera
développé dans les lignes suivantes. En dépit de ses
lacunes, il est indéniable que le recours aux élections en soi
pour renouveler l'équipe dirigeante fut un immense pas sur la longue
route de la démocratie fourni par la révolution française.
Ceci constitue réellement une rupture totale avec l'ordre
socio-politique monarchiste.
En réalité, il ne faut pas occulter les
conditions dans lesquelles se déroulent les élections ici et
là. D'abord, les tractations entre les grands partis politiques se font
souvent sur la base de
Kléberson JEAN BAPTISTE 23
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
marchandage politique. La différence flagrante de
moyens financiers entre les formations politiques rivales est également
susceptible de fausser le jeu électoral. Ces impondérables et
bien d'autres sur lesquelles nous ferons l'impasse s'ajoutent à la
corruption et à la malversation lors de l'organisation des scrutins dans
certains pays. L'aboutissement néfaste à l'avancement de la
démocratie est que bien des fois les résultats des urnes ne
reflètent pas le vote populaire. Nous répétons
après Pasquale Pasquino, directeur de recherche au CNRS :
« Il faut distinguer l'idée d'élection
comme source du pouvoir de gouverner de la pratique des élections
»
Le point à retenir, après toute analyse, est le
lien indéfectible qui est né depuis entre «
élection/autorisation et légitimité à gouverner
». Il en est résulté l'infériorisation du pouvoir
exécutif représenté sous la première
république en la personne du roi.
2. L'affaiblissement du pouvoir
exécutif
L'appellation de la 1ère république
retenue par l'histoire relève d'un abus de langage. En effet, les
premiers moments du parlementarisme français furent une cohabitation
presque antinomique. L'exécutif était encore assuré par le
roi certes très amoindri. Carré de Malberg résume cette
période ainsi :
« La monarchie était limitée, mais restait une
monarchie quand-même »33
En effet, le roi, héritier d'un pouvoir
délégué héréditairement donc sans appui
électoral était considérablement diminué par
rapport au Corps législatif élu. La constitution de 1791 consacra
conséquemment un régime qui « laissât aux mains du roi
un pouvoir singulièrement affaibli au regard de la puissance d'un Corps
législatif rendu hautement prééminent
»34.
Jouissant de la légitimité électorale, le
pouvoir législatif résultant de la Constitution
révolutionnaire surplombait l'exécutif ayant comme chef quelqu'un
qui ne disposant d'aucune base populaire. Ce n'est pas forcer le trait
d'affirmer que le pouvoir exécutif royal ne représentait
personne. Survivance provisoire de l'Ancien régime, le roi donc le
pouvoir exécutif ne saurait concurrencer une assemblée
d'élus. D'où la justification de l'idée d'attribuer
l'exclusivité de la représentation nationale au Parlement.
L'exécutif ne saurait être le codépositaire de la
souveraineté nationale faute de « liens avec le corps
électoral »35. N'étant pas d'origine populaire,
le pouvoir exécutif était relégué à l'instar
d'autres autorités au second plan. Ainsi commençait le long
parlementarisme français.
33CARRE DE MALBERG R, op.cit. , p.178
34 Ibid.
35 CARRE DE MALBERG, op.cit.
Kléberson JEAN BAPTISTE 24
L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la
démocratie
La troisième république est le stade de la haute
maturation de ce parlementarisme, peut-on constater. L'exécutif n'est
plus mené par le roi .Toutefois, le président, faisant office
normalement de chef de l'exécutif et les membres du gouvernement,
n'était toujours pas issu du suffrage populaire. Pas moins que
l'exécutif de la 1ère république, les membres
de celui-ci y compris leur chef souffraient d'une absence d'ancrage populaire.
Le parlement continuait sa domination due, entre autres, au fait qu'elle soit
l'émanation électorale. Le juriste de Strasbourg relève
cette constance républicaine en des termes alliant la vigueur à
l'élégance en analysant le régime constitutionnel de 1875
:
« En faisant dépendre la nomination des titulaires
de l'exécutif, non plus d'élections faites dans le pays, mais
d'une élection présidentielle faite en Assemblée nationale
par le personnel parlementaire, la Constitution a frappé
l'Exécutif d'une cause d'infériorité congénitale,
qui devait inéluctablement avoir pour conséquence de le mettre
dans une condition de subordination envers le parlement »36.
La tradition républicaine française, interrompue
très brièvement sous la 2ème république,
fut de ne pas désigner le président de la République au
suffrage universel direct. Cette réalité a favorisé la
supériorité du parlement lui-même désigné par
le corps électoral dès la 1ère république. En
effet, la longue prééminence du parlement est due partiellement
à sa légitimité électorale. Toutefois, il faut
souligner, malgré l'importance historique incontestable du
système électoral institué par la constitution de 1791,
que celui-ci était amplement lacunaire en tenant compte des
critères contemporains.
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