IV. Califat et gouvernement à travers l'histoire
1. Les Arabes et l'unité religieuse
L'islam étant un appel ayant une dimension cosmique,
dépassant le strict cadre arabe, il n'a jamais été «
un appel pour la cause des arabes ; il n'a jamais été une
entité arabe ni une religion arabe », bien que le Coran soit un
modèle en arabe, et que son prophète soit arabe. Cela a bien
évidemment conduit la révélation à se transmettre
dans un premier temps chez les Arabes. Mais l'auteur montre que quand bien
même Mohammad a transmis le message divin aux Arabes, rien ne permet de
dire que l'unité qu'il existait dès lors était d'ordre
temporel, car n'étant pas intervenu dans les affaires sociales et
économiques qui préexistaient à la
Révélation, les Arabes ne formaient pas un Etat uni. « Tel
était l'état des Arabes à ma mort du prophète. Une
unité religieuse avec, au dessus, une multitude d' « Etats
».
Mais aussitôt le prophète disparu, cette
quasi-unité religieuse s'est peu à peu ténue. Son devoir
était de livrer son message en intégralité : comment,
dès lors, si la constitution d'un Etat faisait partie de sa mission,
aurait-il pu laisser une telle question dans pareille confusion, au point que
les musulmans en vinssent rapidement à `s'entretuer ? En outre, le terme
de calife ne renferme pas d'un point de vue linguistique l'idée que le
successeur du prophète serait nommé par le prophète
lui-même ce qui explique les désaccords à la mort de
celui-ci au moment d'en désigner un. Le prophète n'a donc en rien
organisé la suite, car le Livre sacré constituait une succession
pour vivre dans la vertu et les principes religieux. Sa mission s'achevait au
moment de sa mort, et il n'aurait jamais évoqué la forme de
gouvernement à entreprendre après sa mort. Le califat est, une
fois de plus et ce de manière implicite cette fois,
discrédité et présenté comme une supercherie, ne
découlant ni des textes, ni même du Prophète mais d'un
accord unanime, qui n'est pas aussi consensuel qu'il laisserait croire.
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2. L'Etat Arabe
Dans ce chapitre, l'auteur inaugure une étape nouvelle
: celle de dire qu'il n'y avait qu'un seul système politique possible
après la mort du prophète : un système politique
laïque.
Il est surprenant que l'auteur utilise ce terme sans
même en proposer une définition substantielle : parle-t-il de
sécularisation ou de laïcisation ? Il semble également
étrange que l'essayiste utilise ce concept, éminemment moderne.
Par laïque, nous supposons que l'auteur fasse référence
à un pouvoir politique purement détaché du fondement
religieux pourtant unificateur, une autorité purement politique : «
Qu'il n'y ait plus de direction religieuse après le Prophète est
chose normale et raisonnable à l'évidence. En fait, c'est bien ce
qui se produisit à l'époque. »19. Selon
Abderraziq, dans une argumentation quelque peu douteuse, les peuplades arabes
s'étaient constituées en Etat après l'envoi de «
l'Apôtre de Dieu », ne pouvant revenir à cet état de
nature anarchique qui serait prétendument la barbarie de la Jahiliya.
Abderraziq dresse comme argument d'autorité la volonté de Dieu de
réunir toutes les conditions nécessaires pour que les Arabes se
fédèrent pour prouver l'existence d'un Etat arabe après la
Révélation : « Quand Dieu réunit les conditions
nécessaires pour qu'un peuple devienne fort et dominateur, ce peuple ne
peut que se renforcer et dominer20 ».
Malgré l'unité religieuse, l'objet des
réflexions portait sur « l'édification d'un Etat, la
création d'un Etat ex nihilo ». Pour étayer cette
idée, l'auteur avance l'argument de la terminologie adoptée par
les Arabes : ministres, principautés ; ce qui dénoterait d'une
certaine avancée en terme de gouvernement. C'est ainsi que la guerre
civile, connue dans l'histoire sous le nom de hurûb ar-ridda, se
révèle être une pure lutte politique entre les compagnons
du prophète et les tribus refusant de faire allégeance à
Abu Bakr, sans pour autant renier l'unité religieuse des Arabes. Cette
allégeance n'a été arrachée que par la contrainte
et la force aux dits apostats et ce faisant, elle est caractéristique de
la fondation d'un Etat d'ordre temporel, un gouvernement arabe, beaucoup plus
restreint que le culte musulman qui, lui, a une vocation plus universelle. Pour
soutenir cet épisode capital de la fondation de cet Etat arabe qui
défendait l'appel à l'Islam, l'auteur décrit la tenue des
négociations entre `ansar et
19 Ali Abderraziq, L'Islam et les fondements du
Pouvoir, op. cit. p 143
20 Idem p144
muhajirûn , selon Tabarî dans son Histoire des
Califes : Les `Ansar proposèrent aux muhajirun une forme
d'alternance au pouvoir : choisissons un prince parmi vous, puis un autre parmi
nous.-Les princes doivent être nommés parmi nous, leur
répondit Abou Bakr. Votre groupe fournira les ministres. » Tandis
qu'Abu Sufyan s'écriait : « Par Dieu je vois s'élever une
tourmente qui ne se règlera que par le sang. Ô clan de `Abd Manaf,
en quoi Abou Bakr est-il impliqué dans les affaires qui vous reviennent
? Où sont les deux incapables, les deux méprisables `Ali et
al-`Abbas ? ».
Ces entretiens montrent que les discussions n'étaient
pas d'ordre religieux mais bien une lutte de pouvoir entre clans refusant de se
voir gouverner par les chefs d'autres clans. L'enjeu n'est pas tant de choisir
la personne la plus apte à transmettre et consolider la
révélation dans la umma mais plutôt de choisir les
personnes les mieux à mêmes de défendre les
intérêts de chaque clan. Leurs divergences portaient sur des
questions temporelles et stratégiques. Aux dires d'Abderraziq, personne
parmi l'élite arabe, pas même Abou Bakr, n'aurait confondu sa
fonction de chef politique avec une dignité religieuse. Dès lors,
l'origine de la fonction politico-religieuse de calife serait née
d'affabulations qui auraient hissé la fonction politique au rang de
fonction céleste, transformant la désobéissance politique
en péché, et la doublant d'une dimension spirituelle et
morale.
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