WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'Islam et les fondements du pouvoir dans l'Egypte des années 1920

( Télécharger le fichier original )
par Sophia El Horri
Ecole normale supérieure de Lyon - Master 1 d'histoire des idées 2011
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II. Politique et Religion dans le schéma kémaliste

Le 29 octobre 1922, Mustafa Kemal annonce sa décision de séparer le califat du sultanat afin d'abroger ce dernier en démontrant que « la souveraineté nationale appartient à l'Assemblée nationale ». Le 1er novembre, la grande assemblée de Turquie abroge le sultanat et deux semaines plus tard élit un nouveau calife. La prochaine étape décisive est donc celle de la République. La république, en tant qu'idée de progrès ultime germait déjà dans l'esprit de Mustafa Kémal, mais il a d'abord commencé par préparer un terrain propice à cette révolution de la politique et des moeurs. Les mots d'ordre étaient la défense de la partie, l'esprit militaire, la défense nationale et la résistance nationale.

Une fois le traité de Sèvres effacé et la disparition de l'empire ottoman effective selon les conditions turques, les symboles de la nouvelle Turquie se mettent en place. Au début du mois de septembre de 1922, on assiste à la création du Parti républicain du Peuple, comme incarnation dans la nation toute entière de « l'esprit révolutionnaire ».

70

Pour logique et naturelle qu'elle puisse paraître dans ce contexte, la proclamation de la république turque ne se fait pas sans péripéties le 29 octobre 1923. Beaucoup d'esprits, même dans le cercle proche de Mustafa Kemal, n'en veulent pas ou du moins pas tout de suite vu l'absence d'axe spécifique sur la République dans les six points de la profession de foi du CHP (parti de Mustafa Kemal). Les oppositions, elles, brandissent l'arme idéologique, à l'encontre d'un modèle institutionnel importé de l'étranger et méconnu. Les oppositions d'ordre plus politique déclarent que si proclamation de la république il y a, il sera le seul candidat aux présidentielles, et pourra les transformer en plébiscite.

« Et maintenant, la bataille du califat commence » titrait le quotidien Tanin le 11 novembre 1923 à Istanbul.Mais cette bataille est déjà engagée. Dans les nombreux voyages que fait Mustafa Kémal en Turquie profonde, il n'hésite pas à déclarer : « le califat est un symbole du monde islamique et non turc ».

D'une rigueur militaire, l'opposition kémaliste au califat est d'abord géostratégique : elle voit dans le califat une charge dont il faut se débarrasser. Les opposants qui défendent la sauvegarde traditionnelle du titre de calife avancent l'argument selon lequel, pour peser dans le monde islamique et vis à vis des puissances européennes, un petit pays comme la Turquie ne peut compter que sur le califat. Or cette vision de la Turquie ne peut se détacher de l'identification par les autres, d'admettre la Turquie autrement que dans les yeux des autres.

A point nommé, une faute de ses adversaires vient renforcer le projet kémaliste. Début décembre 1923, une lettre envoyée de Londres demande au gouvernement turc le rétablissement du califat. C'est ainsi que les kémalistes purent démonter une thèse du complot sur la question califale. Londres : c'est Istanbul occupé et Mossoul refusée.

Le 3 mars 1924, le califat est aboli par l'Assemblée générale. Le même jour, les députés adoptent deux autres textes, également proposés par Kemal : le premier portant sur l'unification de systèmes scolaires, et le second sur la suppression des institutions religieuses. La Turquie devient laïque.

La laïcité est une valeur sûre du kémalisme. Elle est d'abord un choix personnel, celui d'un homme non préoccupé par les questions métaphysiques ainsi qu'il est possible de le voir dans son journal intime Mes jours qui passent, écrit pendant l'été 1918.

71

La laïcité de Kemal est aussi un engagement politique, comme les radicaux de la troisième république, il assimile religion et instruction religieuse, institution religieuse et pouvoir, pouvoirs et menaces contre son projet.. A l'instar de ses cousins français, Kemal multiplie les interdictions contre toute forme d'expression publique de la religion, y compris des confréries dissoutes en 1925. Les imams deviennent fonctionnaires, eux-mêmes contrôlés par l'Etat, ce qui pose évidemment un problème. Kemal qui dénonce le pouvoir idéologique l'instrumentalise comme un vaste appareil idéologique d'Etat.

Dans son article 2, la constitution de 1924 réaffirme l'Islam comme la religion de l'Etat turc, et il faudra attendre le point de non retour en 1928, privant l'Islam de son statut constitutionnel, et 1937, pour que le laïcisme accède à un statut constitutionnel.

A la Mort d'Atatürk, la République turque se targuera d'être le premier et seul pays musulman légalement laïque. Mais cette réalité reste nuancée avec la multiplication des aumôneries militaires, ou encore la bénédiction des troupes allant en Corée en 1950.

- Le laïcisme turc

Ayant reposé pendant longtemps sur la puissance politique et militaire des sultans ottomans, l'islam moyen oriental, en tant que philosophie, doctrine juridique et mode de vie s'embourbe à la fin du XIXème siècle et au début du XIXème dans une crise. L'islam apparaît incapable de remodeler ses institutions et son discours.

Durant la période de régime autoritaire (1924-1946), où l'expression publique et politique de l'Islam fut réprimée et où les réformes à la fois structurelles et symboliques furent menées successivement, diverses formes d'opposition politique et surtout religieuse ne pouvaient pas manquer de voir le jour. L'expérience du parti républicain progressiste au sein même du parti républicain du peuple, le CHP, en est emblématique. Ce parti, qui n'a duré que huit mois, revendiquait la liberté d'expression religieuse, la décentralisation et la libre entreprise. Sous prétexte de l'attentat contre la personne du président et de révoltes kurdes, le parti fut interdit et ses huit membres emprisonnés.

D'autres formes d'opposition, notamment chez les kurdes furent très ressenties pendant cette période : le nationalisme kurde et la turquisation à outrance de la Turquie ont cristallisé leur mécontentement et leur sentiment d'isolement.

72

L'opposition religieuse, et c'est là tout l'objet de notre propos, était réfugiée dans certains pays arabes, et notamment en Egypte. Mustafa Sabri Efendi, déjà signalé à l'époque jeune turc ayant occupé plusieurs fois des fonctions à responsabilité, se réfugia en Egypte où il publia des ouvrages en arabe d'une virulence acerbe contre les réformistes dans le monde musulman. Par ailleurs, il ne cessait de mettre en garde les turcs des dangers de la laïcité et du chaos qui règnerait dans le monde musulman, après la suppression du califat. Sans le manifester publiquement, Mehmet Akif Ersoy, auteur de l'hymne national, poète et militant politique engagé auprès des jeunes turcs et du parti Union et Progrès, se réfugia, lui aussi, en Egypte en évitant de mettre sa notoriété a service du régime kémaliste.

À l'occasion d'une série de réformes vestimentaires ayant pour but la stigmatisation de l'habit traditionnel, l'adoption du costume occidental dit « civilisé » et surtout l'interdiction du fez et l'obligation du port du chapeau, « la présidence religieuse islamique du royaume d'Egypte » rappela en Mars 1926 les termes des propos du Prophète par la plume du recteur de l'université Al Azhar en direction d'Ankara, et déclara infidèles les kémalistes, comme l'a fait abondamment Mustafa Sabri dans ses écrits. La manière de se vêtir était assimilée à une trahison, à une adoption par un musulman de principes non musulmans. « C'est pourquoi celui qui porte le chapeau par une tendance vers la religion d'un autre et par mépris de la sienne est un infidèle de l'avis unanime des musulmans. »

Même si la grande majorité des Égyptiens semblaient apprécier l'action kémaliste en Turquie52, la naissance en Egypte du mouvement des Frères Musulmans dans cette période (1928) est également liée de manière indirecte aux réformes turques : il fallait prévenir le monde musulman contre ce chemin jugé dangereux.

En Turquie même, en 1930, l'affaire « Menemem » précipita le régime vers des mesures encore plus répressives contre les confréries dont les dirigeants furent arrêtés et punis. D'autres oppositions réactionnaires ont vu le jour tout au long des années 1930 et 1940, ce qui indique la vitalité du soufisme en Turquie. L'interdiction de l'enseignement religieux ne l'a pas empêché de persister dans l'arrière pays, dans des confréries aux réunions et à l'existence même rendue illégale par le régime.

Le khalife matérialisait la permanence de l'umma , la communauté des croyants, unie malgré

52 François Georgeon, Kémalisme et monde musulman (1919-1938) : quelques points de repère, numéro spécial des cahiers du GETC (Kémalisme et Monde musulman), n°3, Automne 1987.

73

les vicissitudes de l'histoire. Comme protecteur de la religion musulmane, il symbolisait aussi le lien entre la religion et l'État. En obligeant théologiens et penseurs musulmans à se demander si le khalifat était nécessaire à l'islam, la décision de la Grande Assemblée nationale posa la question des rapports entre religion et politique dans les nouveaux États.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King