B- Donner aux Hommes l'enseignement qui leur permettra de
choisir le régime qui leur sied le mieux
48 Makram Abbès, Islam et Politique
à l'âge classique, op. cit. p 44.
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Le thème du conseil et de l'enseignement politiques par
des conseillers et des philosophes avisés est très présent
dans le genre des Miroirs. L'ouvrage Islam et Politique à l'âge
classique note que nombreux sont les « âdâb sultâniya
» qui évoquent dans leur titre le terme « conseil ». Ces
écrits montrent par ailleurs l'importance de la relation entre les
puissants et les savants : il existe des chapitres entiers consacrés
à la corrélation entre le pouvoir et ses conseillers. Ainsi, les
auteurs conseillent non seulement le prince sur le choix de ses conseillers, la
concertation au moment de la prise de décisions, l'écoute qu'il
se doit de leur accorder mais aussi les conseillers eux-mêmes qui sont,
de par leur statut, surexposés à l'autorité du gouvernant
et à sa puissance de manoeuvre :
« D'une manière générale, le conseil
(nasîha) et la consultation (mashûra) se présentent comme
des devoirs dont dépend la survie même du pouvoir du prince.
« La consultation, note Al-`abbâsî, est un art noble parce
qu'il est psychologique, et qu'il dépend de la pensée et des
facultés intellectuelles, ce qui est le sommet de la noblesse
{É}Al Mawardî, lui, surnomme la consultation des conseillers
« la justice cachée » parce qu'elle permet d'éviter la
prise de décision unilatérale. Loin qu'il s'agisse d'une simple
admonestation du prince, ou d'un rappel des lois à observer, le conseil
d'applique dans les Miroirs à l'ensemble des décisions qui
concernent la conduite effective des affaires du royaume49.
»
Ce passage montre à quel point le conseil porte sur des
sujets éminemment politiques mais il révèle aussi à
quel point le conseiller et le souverain sont dans une relation close :
l'enseignement de ces Miroirs ne bénéficie qu'au souverain et aux
futurs conseillers qui s'attelleront à la tâche d'éclairer
le prince au moment de prendre une décision conséquente, mais il
n'apprend pas au reste du monde ce qu'est le pouvoir, comment le
gérer.
Inversement, Ali Abderraziq appelle à
l'édification d'une science politique séculière qui
apprendrait à long terme aux musulmans qui est le véritable
dépositaire du pouvoir, comment il s'exerce et surtout comment le
limiter. Il se place dans une approche pédagogique plus large que la
pensée politique médiévale :
« Aucun principe religieux n'interdit aux musulmans de
concurrencer les autres nations dans toutes les sciences sociales et
politiques. Rien ne leur interdit de détruire ce système
désuet qui les a avilis et les a endormis sous sa poigne. Rien ne les
empêche d'édifier
49 Idem, p 47
leur Etat et leur système de gouvernement sur la base
des dernières créations de la raison humaine et sur la base des
systèmes dont la solidité a été prouvée,
ceux que l'expérience des nations a désignés comme
étant parmi les meilleurs50. »
Ainsi, la démarche que prône l'auteur s'adresse
plus à la communauté musulmane tyrannisée par le
système califal. L'édification de cette discipline nouvelle,
basée sur l'observation et l'analyse de l'expérience des autres
nations et sur la profitabilité rationnelle d'un régime
politique, constituerait une libération du joug tyrannique et aboutirait
sur le choix d'un système de représentation politique qui soit
propice au progrès. Cet essai serait, à l'image de L'or de
Paris de Tahtâwî, un appel à une éducation
populaire à la science politique. Encore une fois, Abderraziq montre
à travers cet appel qu'il est bien le produit d'une décennie
pendant laquelle la politisation explose, et pendant laquelle les affaires
politiques et la souveraineté deviennent la chose publique.
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50 L'islam et les fondements du pouvoir, Ali
Abderraziq, op. cit. p 156.
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