d. La modernité introduite par les tanzimat
L'Egypte, en particulier, s'est déjà
dégagée un siècle auparavant de l'emprise ottomane et
affirmée comme entité nationale à la personnalité
distincte.
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Même si elle est rapidement tombée sous
domination occidentale (occupation anglaise depuis 1882), elle avait
déjà connu le contact direct avec l'occident et surtout,
dès le XIXème siècle une entreprise de modernisation
à pas forcés, sans précédents dans le sud de la
Méditerranée, sous la direction de Muhammad `Ali. Ce dernier,
d'abord pacha, puis vice-roi héréditaire d'Egypte et fondateur de
la dynastie khédiviale de ce pays, était un Albanais ottoman qui
s'était engagé dans l'armée comme simple soldat avant de
s'élever dans la hiérarchie jusqu'au grade de commandant. Ce sont
les campagnes napoléoniennes qui l'amenèrent en Egypte.
Jusqu'à la fin de sa vie, il demeura illettré mais une fois qu'il
eût arraché le contrôle de l'Egypte aux turcs, il modernisa
à la fois son armée et son gouvernement en suivant les
modèles européens. Il fut à l'origine d'un certain nombre
de campagnes militaires couronnées de succès couplées
d'adroites manoeuvres diplomatiques louvoyant entre les puissances
européennes et la Sublime Porte.
Son fils Ibrahim Pacha, et lui-même ont réussi
à faire reconnaître le caractère héréditaire
et dynastique de sa domination sur l'Egypte. Ses descendants, khédives,
puis rois d'Egypte, régnèrent sur la vallée du Nil
jusqu'au renversement du Roi Farûq en 1952.
Dans le face à face avec la puissance colonisatrice,
elle semblait avoir arraché au début des années 20 de ce
siècle, après plusieurs révoltes et maints remous
politiques, la reconnaissance de son indépendance et, en même
temps, le droit de se doter d'une organisation politique similaire à
celle des puissances occidentales elles-mêmes. La constitution de 1923
paraissait être l'aboutissement heureux de longues luttes, le
dénouement d'une crise majeure. Devenue une monarchie constitutionnelle,
l'Egypte entamait une vie politique caractérisée par la mise en
place d'institutions libérales : élections, Parlement, presse
etc.É
Le retour de la question du califat dans ce contexte devait
perturber une évolution qui paraissait bien engagée. La vacance
du poste de calife aiguisa mainte convoitise et nourrit beaucoup
d'appréhension parmi les détenteurs du pouvoir dans les pays
islamiques. Une compétition secrète s'engagea entre divers
régimes, dont la monarchie égyptienne, qui crut tenir là
une opportunité de se tenir un titre plus prestigieux, de
bénéficier d'une reconnaissance à l'échelle du
monde islamique, et de s'octroyer ainsi une légitimité d'un tout
autre ordre que celle qu'elle avait déjà.
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Face aux ingérences toujours plus profondes de
l'Europe, l'empire ottoman ne reste pas inactif. Il connaît tout à
la fois un mouvement de résistance, qui se renforce au fur et à
mesure que la présence occidentale se fait plus forte, et une
fascination qui le conduit à s'inspirer de cet occident tant honni pour
entreprendre toute une série de réformes regroupées sous
le terme de tanzimat (employé comme un singulier dans les
écrits du XIXe siècle en français même s'il s'agit
d'un pluriel).
Très tôt, se trouvent dénoncés les
privilèges dont jouissent les étrangers dans l'empire. Une
résistance passive s'organise telle la contrebande des tabacs plus ou
moins encouragée par le pouvoir pour contourner la régie
contrôlée par les Puissances. Des grèves éclatent
dans les entreprises étrangères et plusieurs boycotts de
marchandises sont organisés. L'entrée en guerre de l'empire
ottoman aux côtés de l'Allemagne en 1914 pourra elle-même
être interprétée comme une forme de lutte contre la
présence impériale des Puissances alliées.
Face aux défis intérieurs et extérieurs
et à la lente désagrégation de l'empire sous les coups de
l'occident, le pouvoir se tourne aussi vers ce même occident pour
chercher remède à ses maux. Pour le sultan et ses sujets, le
système ottoman demeure le meilleur au monde mais la négligence
des techniques et formes d'organisations modernes répandues en Occident
est à l'origine de la décadence de l'empire. Il convient donc de
se les approprier, de les mettre au service de l'unité et de la
puissance de l'empire.
Dès la fin du XVIIIe siècle, sous l'impulsion du
sultan Selim III (1789-1807) un premier mouvement de modernisation est
entrepris dans une tentative de restructuration de l'appareil militaire, sous
la direction d'experts venus de France, d'Angleterre et d'Allemagne. Dans le
même esprit, Selim fonde les premières écoles techniques,
notamment l'école navale d'ingénieurs et l'école de
génie militaire. Se sentant menacé face à toute forme de
pénétration occidentale, le peuple se laisse emmener par les
Janissaires, les ulémas et les softas. Selim est déposé et
toutes les réformes sont annulées.
Mahmut II (1808-1839) entreprend la seconde vague de
réformes, suspendue à la suppression du corps des Janissaires,
qui sont tous massacrés en 1826. Il modernise la bureaucratie et
crée des écoles de type moderne, libérées de
l'emprise du "clergé" pour donner une base solide à cette
nouvelle armée.
Une seconde idée héritée de la
révolution française, celle de liberté, va susciter une
certaine opposition au sultan, auprès de jeunes intellectuels. Membres
de la bureaucratie
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ottomane pour beaucoup, ils habitent plutôt la capitale
et ont été formés à l'occidentale (à la
française principalement). Soucieux de réformes libérales
des structures du pouvoir, ce ne sont pas des nationalistes. Jusqu'à la
2e moitié du XIXe siècle, "la classe dirigeante turque ottomane
de l'empire ne manifestait aucune conscience nationale, alors même que
les effets du nationalisme parmi les nationalités sujettes
s'étaient déjà fait sentir avec l'indépendance de
la Grèce et l'autonomie de la Serbie"
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