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L'Islam et les fondements du pouvoir dans l'Egypte des années 1920

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par Sophia El Horri
Ecole normale supérieure de Lyon - Master 1 d'histoire des idées 2011
  

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C. La traduction de la charte de 1814 par Tahtawi

Afin de mieux expliquer ce concept de liberté et d'égalité, héritages de la révolution française, Tahtawi traduit les principaux articles de la charte de 1814, mélange de monarchie constitutionnelle et de conservatisme légitimiste de l'Ancien régime.

Le préambule de cette charte aurait pu être aisément transposé sur la lutte de pouvoirs entre constitutionnels et monarchistes pendant les années 1920 en Egypte, dans laquelle Ali Abderraziq fut acteur. En effet, la charte de 1814 renie certes l'épisode révolutionnaire, mais elle constitue un compromis libéral à plusieurs égards. Les thématiques des Lumières restent présentes bien que diminuées. La volonté populaire est reconnue dans « le voeu de nos sujets pour une charte Constitutionnelle », ainsi que le principe d'égalité des hommes (« tous les Français vivent en frères »). La séparation des pouvoirs (qui ne sera pas effective) et la représentativité sont évoquées avec l'annonce d'un système bicaméral supportant le roi dans sa tâche (il s'agit donc d'une monarchie constitutionnelle). De plus, le Préambule fait l'éloge des progrès toujours croissants des lumières, les rapports nouveaux que ces progrès ont introduit dans la société, la direction imprimée aux esprits depuis un demi-siècle .

La reconnaissance de l'esprit des Lumières accompagnée de la reprise de certaines thématiques est une manière d'affirmer de plus grandes libertés politiques. Selon Tahtawi, le but est de lever le voile sur le fonctionnement politique français de l'époque, d'en expliquer le système, qu'il trouve par ailleurs « merveilleux », aux égyptiens. On retrouve plusieurs évocations du terme « `ibra », au sens d'exemple, ce qui prouve son admiration pour la plupart des droits fondamentaux énoncés dans la charte et sa volonté de persuader ses lecteurs égyptiens de la nécessité d'en adopter les principes. Il déclare dans L'Or de Paris p 148 : « Cette charte a subi plusieurs changements et amendements depuis la dernière crise datant de 1831. Elle a été révisée pour satisfaire une aspiration plus grande de la part du peuple français pour la liberté et l'égalité.{...} Le premier article qui pose que les Français sont égaux devant la Loi, constitue ce qui a de plus digne et noble en France {É} Ce premier article gouverne la justice, rend justice aux opprimés, et apaise l'esprit du pauvre homme qui devient l'égal des plus riches devant la Loi.{É} La liberté est, dans leur acception, ce que nous appelons « `adl » et « `insâf », et ceci car le gouvernement par la liberté qui met en place

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l'égalité devant la Loi et le Droit. Le gouverneur est non seulement l'égal du gouverné, mais les lois sont les seules à être supérieures à tous... ». Il ajoute par la suite que la liberté d'expression, de savoir, et de conscience, étaient limitées par la liberté d'autrui, les sphères de liberté ne doivent pas se gêner les unes les autres. Il était capital pour l'auteur de définir la liberté dans ses champs politique et social car la signification de ce terme était obscure et méconnue en Egypte. Mais l'auteur, issu de cette même société, n'a rien trouvé de mieux que de rapprocher les concepts d'égalité devant la Loi et de liberté comme s'il s'agissait de synonymes, alors que les deux, bien que corrélés, ne sont pas toujours réalisés en même temps : il existe des sociétés libérales sans égalité, et des sociétés égalitaires sans liberté.

Tahtawi était le premier à faire découvrir les droits de l'homme aux Egyptiens, et le premier à leur faire connaître les plus grandes doctrines politiques qui se trouvaient en Europe. Il fit une description élogieuse du libéralisme politique et en expliqua les différents aspects. De plus, il défendit l'idée d'égalité entre citoyens devant les droits et les devoirs, l'égalité des chances et le reste des libertés fondamentales.

Quant à la « zamanyia » et au principe de « laïcité », Tahtawi note que la constitution française se fonde sur des bases profanes et séculières, non sur un contenu théologique : « Le livre qui contient la Loi française s'appelle « charte » qui signifie en latin « feuille ». {É} La majorité de son contenu ne provient ni du Livre sacré, ni des évangiles. Et on ne sait comment leurs esprits sont arrivés au postulat que l'égalité devant le Droit était la cause de la stabilité de l'Etat. » L'étonnement de Tahtawi qu'on pourrait qualifier de philosophique révèle la surprise de découvrir un autre système de gouvernement, autre que théocratique. Il montre par ailleurs qu'il est possible de régir un Etat par la loi de l'intérêt général et avec un droit égalitaire et équitable, sans que ce système ne repose sur des bases théocratiques. Ce système est au contraire le pur fruit de la Raison et de la philosophie politique séculière.

Dans son ouvrage Manâhij `al `albâb `al misriya, Tahtawi prône une éducation politique populaire, et une transmission à l'ensemble de la population des principes les plus fondamentaux en matière de science politique. Cet apprentissage s'inscrit dans le sillage de l'intérêt général et collectif.

Il paraît évident, après l'exposition des thèses de Ali Abderraziq et celles de Tahtawi, que ces deux penseurs, tous deux issus d'une éducation religieuse conservatrice

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égyptienne, ont les mêmes objectifs, à un siècle d'écart. Ils appartiennent ensemble à une modernité qui a pour objectif de remodeler la conscience islamique, d'encourager l'enseignement d'une science politique et de sciences profanes à travers une éducation populaire, afin que tous deviennent citoyens et prennent part, directement ou indirectement à une communauté politique souveraine.

Tandis qu'Abderraziq axe sa réflexion sur la question du califat, gouvernement temporel et tyrannique qui n'aurait aucune base légitime dans les textes, Tahtawi, quant à lui, s'interroge sur les principales découvertes qu'il a faites en France : à savoir, la découverte de l'idéal révolutionnaire de 1789, dissous dans la charte de 1814. Il ne fait aucun doute que les deux textes sont aussi adressés aux mêmes destinataires, c'est-à-dire les Égyptiens de leur époque : Tahtawi poursuit une méthode très pédagogique, qui tente de clarifier les concepts les moins connus empiriquement par les égyptiens, et Abderraziq développe une démonstration avec des références partagées parmi les égyptiens lettrés pour défendre l'idée d'un gouvernement « laïc » et qui consacrerait la souveraineté populaire. En outre, leurs ouvrages ont, tous deux, influencé l'opinion publique : le premier car ses descriptions, son récit et sa réflexion étaient inédits, et le second car Abderraziq fait publier son essai au plus fort d'une bataille politique entre le Wafd et la monarchie. Ils peuvent tous deux être lus à travers une lunette conjoncturiste, et être ramenés à un contexte précis : l'envoi de Tahtawi en tant qu'imam en France après la campagne napoléonienne en Egypte, l'abolition du califat en Turquie, la question de la première constitution en Egypte et l'engagement politique de Ali Abderraziq ainsi que de toute sa famille auprès des libéraux sécularistes. Mais il n'est pas possible ni juste de les envisager sous cette perspective à elle seule, car à travers l'exposé des idées de Montesquieu par Tahtawi ou encore les rapports que devraient entretenir l'islam et les questions politiques, ces deux auteurs énoncent des principes fondamentaux et donc abstraits et universels.

L'égalité devant la loi, la Liberté, les liens de pouvoir entre Droit public et religion, ne sont-ils pas des problématiques toujours d'actualité, éminemment modernes, et universelles car touchant au bon fonctionnement de la cité et à une gouvernance juste ?

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo