b. Le concept de liberté et de
laïcité chez Tahtawi
Selon Louis `Awâd38, nous pourrions
résumer la philosophie de Tahtawi en trois axes : « `al hurryia
», « `al qawmyia » et « al-zamanyia/ al `ilmanyia
».
Tout d'abord, le premier objectif de Tahtawi dans L'Or de
Paris est de rappeler l'existence du concept de « hurryia » dans
la culture arabo-musulmane, ce terme n'a donc pas été
créé ex nihilo. Il tente ainsi d'en enraciner les
fondements dans l'imaginaire des lecteurs et des étudiants. Il
étaye son propos par une réplique de `Umar `ibn `al-khattab
à `umar ibn `al `âss : « Pourquoi as-tu asservi les gens
alors qu'ils sont nés libres ? ». Il est par ailleurs
intéressant de voir comment Tahtawi et Abderraziq se rejoignent, car en
empruntant des concepts « modernes » tels que la liberté et en
voulant rappeler qu'il s'agit d'un système de valeurs déjà
existants dans l'histoire arabe, ils usent d'une argumentation traditionnelle
qui dénote un réformisme interne à l'Islam. Pour en
revenir à la citation, Tahtawi commente ces propos : « Ainsi
peut-on comprendre que la liberté est présente aussi dans la
culture arabe depuis très longtemps ». Cependant, « hurryia
» et « libertés » n'ont pas la même acception. Le
terme de « hurryia » ne s'utilise dans la langue d'origine que comme
antonyme de « `abd », qui désigne une relation légale
de possession d'un être humain. « `Al huryia » existe soit par
la naissance soit par l'acquisition. Mais cela désigne la
définition juridique de ce terme. Qu'en est-il de son acception
politique et sociale ?
Malgré la grande richesse linguistique de la langue
arabe, on ne retrouve pas de synonymes de « hurryia » politique comme
on en trouve pour « gouvernement tyrannique » : despotique,
autocratique, dictatorial... Outre cela, on ne retrouve le terme « hurryia
» utilisé comme versant antinomique de « régime
autoritaire et absolu » que dans la période moderne. De plus, la
liberté de l'homme n'a jamais été un principe ou un
idéal politique et social, dans toutes les révolutions qui ont
éclaté dans le monde arabe avant le XIXème siècle.
Lorsque l'on croisait ce terme dans le corpus littéraire ou dans
l'histoire des arabes, il n'est question que de clarification juridique des
relations entre maître et esclave. C'est ainsi que « hurryia »
au sens politique et social contenu dans le mot « libertas » se
révèle être le résultat du contact avec la
civilisation européenne. Tahtawi, au moment d'écrire L'Or de
Paris, se rendit compte du fossé entre ces deux termes aux
connotations et profondeurs différentes, et dut résoudre ce
problème quand il s'attela à la traduction du « code civil
» français et de la charte de 1814.
38 Louis `Awâd, `al mu'attarât `al
`ajnabyia f» `al `adab `al `arab», éditions Institut des
études supérieures arabes, publié en 1966.
49
|