CHAPITRE II: LA REMISE EN CAUSE DE LA SUPREMATIE DE
LA CONSTITUTION
Le mérite fondamental du nouveau constitutionnalisme
africain est de porter la marque de constitution rigide et donc suprême.
Cette rigidité témoigne de la volonté du constituant,
c'est-à-dire le peuple souverain, de s'imprimer des principes et de
valeurs dont la durée dans le temps garantit la stabilité de la
vie en société. C'est elle en réalité qui
confère à la constitution son caractère suprême,
faisant d'elle le sommet de toutes les normes devant régir les
institutions. Ces dernières doivent donc se soumettre à elle pour
leur validité. C'est aussi cette rigidité qui justifie
l'institution d'un juge constitutionnel, dont la fonction première est
de garantir et de protéger la suprématie postulée par le
sacro-saint principe de la constitutionnalité de Charles EISENMANN.
Cependant, depuis un certain temps, de véritables
`'monstres» entrent par `'effraction légalisée ou
légitimée» dans ce `'temple constitutionnel», y
installent du désordre, pour finir après tout, par causer son
implosion.
A côté des `'révisions pirates» qui
s'affichent comme la voie royale pour le président de la
République et sa `'congrégation» de se pérenniser au
pouvoir par l'ablation de la clause limitative du nombre de mandat99
et peut être, pour se garantir une hyper-présidence en rompant le
cou au crédo de Montesquieu100 en s'attribuant tous les
pouvoirs ; apparaît un nouveau démon : les accords politiques.
Selon l'expression du Professeur KPODAR, ceux-ci permettent à ceux qui
sont sûr de ne jamais parvenir à accéder légalement
au pouvoir, de s'offrir les privilèges de la noblesse pour goûter,
à défaut de la saveur sucrée de la présidence,
à la soupe angélique du gouvernement.
A partir de ce moment, on assiste impuissant, à
l'érosion de la suprématie de la constitution par deux
phénomènes majeurs. D'une part, l'humiliation du constituant
(aussi bien originaire que dérivé) (Section première), et
l'impuissance du juge constitutionnel (Section deuxième) pourtant
chargé de protéger la volonté du souverain d'autre
part.
99 LOADA (A.), « La limitation du nombre de
mandats dans le nouveau constitutionnalisme africain »,
Afrilex.
100 La théorie de la séparation des pouvoirs.
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SECTION I : UN POUVOIR CONSTITUTANT MIS ENTRE
PARENTHESE
Le pouvoir constituant est l'organe qui a la compétence
d'éditer a priori et sans contestation majeure, les normes
constitutionnelles101. Seul le peuple souverain a la
compétence pour se doter d'une constitution ou de la modifier.
Naturellement, il arrive qu'il l'exerce par ces représentants. Les
mécanismes prévus à cet effet sont divers et varient selon
qu'il s'agit de l'adoption d'une nouvelle constitution ou de la révision
d'une constitution déjà existante.
En tout cas, l'humiliation du pouvoir constituant par les
accords politiques présente un diagramme à double entrée.
D'une part, elle consiste en une usurpation de celui-ci par les partis
politiques, laquelle se traduit par la mise en sourdine des dispositions
constitutionnelles. Ces dernières sont laissées en
vigueur102 pour servir de couvert, évitant ainsi à
l'Etat de basculer dans la situation de régime de fait qui pourtant,
s'est déjà révélé. D'autre part, il s'agit
de la prescription d'une révision constitutionnelle qui en
réalité, ne servirait qu'à juridiciser un « coup
d'Etat politique » déjà orchestré par l'accord.
C'est donc une véritable mise à l'écart
de la constitution (Paragraphe I), accentuée par l'hypothèque du
pouvoir constituant dérivé (Paragraphe II).
Paragraphe I : La mise à l'écart de la
constitution
La mise à l'écart de la constitution n'a pas
d'autres noms que ceux que l'hypocrisie politique veut bien lui donner en
exhibant une apparente cohabitation entre l'accord politique et la
constitution(A). En outre, les accords politiques peuvent se
révéler être une véritable violation des droits de
l'homme(B).
A : Une cohabitation apparente entre la constitution et
l'accord politique
La cohabitation entre l'accord politique et la constitution
semble acquise. Le quiproquo vient du fait que, malgré
l'existence de la constitution (1), on constate un rayonnement de l'accord
politique au point de la surplomber (2).
101 DUHAMEL (O.), MENY (Y.), Dictionnaire de droit
constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p.777.
102 Sauf le cas malgache et celui de la République
Démocratique du Congo. Sur ce denier exemple lire MBILAMPINDO (W.)
« Un nouvel acte fondamental pour une nouvelle transition
démocratique au Congo », inédit, p. 2
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1 : Une constitution encore en vigueur
Contrairement à ce qui découle de
l'expérience des régimes de fait des années
1965103, la version nouvelle parait très curieuse. En effet,
la plupart des coups d'Etat qui ont propulsé les militaires au pouvoir
à cette époque, se sont illustrés par `'la mise hors
d'état de nuire» de la constitution. Les auteurs du forfait la
suspendaient purement et simplement sinon, l'abrogeaient. On a sans doute pu
justifier la nullification des textes constitutionnels par le fait qu'ils
n'étaient pas adaptés aux nécessités du moment, et
qu'ils avaient servi de base et de fondement aux méfaits des leaders
alors au pouvoir. En réalité, le `'nouveau roi» souhaitait
tout simplement ne pas être dérangé dans ses actions par
des principes et des procédures que contiendrait une constitution et qui
ralentiraient forcément la mission qu'il se serait assignée. Il
pourrait donc gouverner, légiférer et juger sans d'autre forme de
procès et selon son bon vouloir.
Curieusement, les accords politiques adoptent une figure
pratiquement
inversée. la constitution
subsiste, on feint d'en respecter les lignes directrices104
notamment la séparation des pouvoirs avec la mise sur pied d'un
exécutif contractualisé, la survivance d'un parlement en attente
de dissolution pour être substitué aux termes d'une
élection législative, conformément à l'accord
politique par un nouveau. L'exemple le plus plausible est le cas de
l'élection anticipée de 2007 au Togo.
Il n'y a donc ni suspension, ni abrogation de la constitution,
mais celle -ci ne sert plus qu'à décorer juridiquement un
ordonnancement politique. Corrélativement la régie des
institutions change de main.
2 : Le surplomb de l'accord politique
De l'impérialisme constitutionnel, on passe à la
partitocratie, et la gestion des institutions passe progressivement sous la
gouverne d'un « acte politique ». L'accord politique s'installe
royalement et de façon tentaculaire.
En réalité, cette situation n'est pas innovante.
En effet dans les années 1970, certains Etats notamment le Bénin
de 1968 à1977 et le Togo de 1967 à 1979
103 Celui-ci s'est traduit par la suspension de la
constitution par les militaires qui venait de prendre le pouvoir. Voir à
ce propos AHADZI-NONOU (K.), Essai sur les régimes de
fait...op.cit p. 6.
104C'est l»exemple de l'accord de Linas
Marcoussis qui mentionne expressément la nécessité de
respecter la constitution.
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avaient déjà connu une situation similaire, mais
avaient explicitement renoncé au constitutionalisme105. A la
différence de ce tableau, le paysage nouveau décrit une
survivance de la constitution, laquelle est soumise à une
véritable torture. Il n'est donc pas étonnant d'entendre parler
de « coup d'Etat politique »106. Seulement, que reste-t-il
alors de la constitution dans les pays ayant adopté cette voie ? Dans
tous les cas, il est loisible de constater que l'ordre juridique
(constitutionnel) s'est incliné en présence de l'ordre politique.
Cette manière de faire ressemble à certains égards,
à une pratique par laquelle les chefs d'Etats africains
considéraient la constitution comme un « chiffon de papier
»107.
Si le principal avantage du surplomb des accords politiques
est la sauvegarde de l'Etat de droit comme le démontre Albert BOURGI en
parlant de la situation de la Côte d'Ivoire en ces termes : «
ces péripéties qu'ont connues les institutions ivoiriennes ne
sauraient toutefois faire oublier que l'un des principaux acquis du mouvement
constitutionnel engagé à partir de 1990-1991 est bel et bien
l'Etat de droit... »108, l'inconvénient qui le vaut
est sans nul doute, l'anéantissement de la suprématie de la
constitution et par conséquent, le recul du constitutionalisme
d'ailleurs accentué par la violation des droits de l'homme.
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