B : Un mépris vis-à-vis des droits de
l'homme
L'un des acquis fondamentaux du nouveau constitutionnalisme
est, sans nul doute, sa générosité à l'égard
des droits de l'homme. En effet, les constitutions africaines de 1990 ont eu le
mérite de proclamer les droits et libertés fondamentaux des
citoyens et surtout, de mettre sur pied un arsenal de mécanismes pour en
garantir le respect. Au rang de ces droits et libertés, figurent en
bonne place les libertés politiques auxquelles s'en prennent
sérieusement les accords politiques. Il s'agit essentiellement de la
violation du droit des citoyens de choisir leurs dirigeants (1) et de celui de
certains citoyens de postuler à être dirigeants (2).
1 : La violation du droit des citoyens de choisir leurs
dirigeants
En matière de la gestion des affaires publiques,
Montesquieu ne reconnaissait aux citoyens que la capacité de choisir
leurs représentants par l'exercice de leur droit
105 Voir GONIDEC (P.-F.), Les systèmes politiques
africains, Paris, Vançon, 1978.
106 KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique : Les
problèmes constitutionnels posés par l'accord de Linas Marcoussis
de 23javier 2003 » op.cit, p.2522.
107 Idem, p.2521.
108 BOURGI (A.), cité par KPODAR (A.), « Politique et
ordre juridique... » op.cit., p.2521.
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du suffrage109. Ce palliatif aux difficultés
matérielles de la démocratie directe trouve sa source
essentiellement dans la théorie du contrat social110
chère à ROUSSEAU. En effet, les gouvernants ne peuvent gouverner
que parce qu'ils ont la légitimité des urnes, c'est-à-dire
qu'ils ont été choisis par les citoyens ; et ces derniers
n'obéissent que parce qu'ils ont consenti à être
gouvernés par ceux qu'ils ont choisis.
Cette réalité incontournable du régime
représentatif est purement et simplement méconnue par les accords
politiques et ceci selon deux cas de figure.
La première figure est tirée des
précédents du Kenya et du Zimbabwe. Dans ce cas, il est fait
appel au peuple pour choisir ces représentants (à savoir le
président de la République et les parlementaires). Vers la fin du
processus électoral, la crise éclate, suite à la
contestation de la transparence des élections et donc de la
validité des résultats. Comme solution à la crise, des
accords sont intervenus entre les belligérants sous la pression de la
communauté internationale, lesquels accords ballaient du revers de la
main tout le processus électoral et instituent un régime de
transition au mépris du droit des citoyens à choisir leurs
dirigeants.111
La seconde figure est celle de la Côte d'Ivoire
où une « guirlande » d'accords ont gracieusement offert
à l'ex Président Laurent GBAGBO, presque une demi-décennie
de règne (2005-2010)112, au grand dam du droit des citoyens
qui pourtant sont obligés de se soumettre113. La logique du
contrat social est définitivement rompue.
Par ailleurs, de façon plus globale, le droit du peuple
à se doter d'une constitution, d'une loi fondamentale qui
régirait la vie en société, les rapports entre gouvernants
et gouvernés passent sous la bannière de l'accord politique. Les
citoyens perdent automatiquement leur droit de contrôler la gestion des
affaires publiques, et le principe de participation du citoyen agonise, sinon
disparaît.
109 Variable interne du principe du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, le pouvoir du suffrage est en réalité
la manifestation du principe de participation à travers lequel le peuple
exerce sa souveraineté. Voir à ce propos LOADA (A.), « La
limitation... », op.cit, pp.153 et suiv. COULIBALEY (B.), «
Le pouvoir du suffrage dans le nouveau constitutionnalisme africain » ;
Annales de l'Université du Benin, 1997-1998, p.122 et suiv.
110 En philosophie politique le contrat social désigne
l'accord par lequel les êtres humains décident de quitter un
état de nature originel pour former une collectivité
politiquement organisé. Par extension le terme est employé pour
désigner les principes qui justifient le consentement des
gouvernés au pouvoir des gouvernants. Voir NAY (O.), MICHEL (J.) et
ROGER (A.), Dictionnaire de la pensée politique, Paris, Armand
Colin, p.37
111 Les élections présidentielles de 2010 en
Côte d'Ivoire ont failli emprunter cette voie.
112 Nous estimons que constitutionnellement le mandat de LAURENT
GBAGBO devrait prendre fin en 2005.
113 Or, c'est à travers les élections que le peuple
exerce son contrôle sur la gestion des affaires par les élus.
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Emmanuel SIEYES peut alors s'écrier : « c'est
révoltant, c'est monstrueux. La volonté du peuple exprimée
dans la constitution est bafouée »114.
Cette violation des droits de façon collective ne
parvient pas à noyer une violation individualisée des droits de
l'homme.
2 : La violation du droit de se faire
élire
En plus du droit de choisir ses représentants, les
citoyens disposent du droit de se faire élire, dès lors qu'ils
remplissent les conditions prévues par la loi au sens
générique du terme. Cependant, il arrive souvent, dans la
pratique des accords politiques, que certains citoyens, jouissant pourtant de
tous leurs droits et remplissant par ailleurs les conditions requises, soient
tout simplement écartés de la course au pouvoir.
Le phénomène semble incroyable, mais il existe.
En effet, le point 3-c de l'accord de Linas Marcoussis dispose que «
le gouvernement de réconciliation nationale sera dirigé par
un Premier ministre de consensus115 qui restera en place
jusqu'à la prochaine élection présidentielle à
laquelle il ne pourra pas participer ». De même, l'accord
d'Ouagadougou du 15 janvier 2010, dans le cadre de la résolution de la
crise guinéenne d'après Lassana CONTE, contiendrait une
disposition similaire qui interdit aux membres du comité de transition,
de poser leur candidature aux élections
présidentielles116.
Si au départ, on peut objecter que ces dispositions ne
visent nommément personne et que celui qui décide d'occuper ces
postes de « disgrâce », sait à quoi il s'expose, cela ne
fait l'ombre d'aucun doute que tout le monde ne fait pas le consensus et que si
personne n'accepte occuper ces postes, les fondamentaux de l'accord seraient du
coup ébranlés, et la crise aurait encore de beaux jours devant
elle. C'est donc un honnête citoyen, celui-là même que les
parties à l'accord choisissent comme pouvant juguler la crise, c'est lui
qui est évincé de la course. Il est vrai que cela pourrait
permettre de garantir la crédibilité du scrutin, mais cela ne
semble pas du tout équitable. Peut-être, aurait-t- on dû
écarter tous les signataires
114 Cité par CHANTEBOUT (B.) « Sur la coutume :
deux contes et un proverbe », in Mélange en l'honneur de Jean
GICQUEL, Paris, Montchrestien, 2008, p.115
115 Sur la notion de consensus lire utilement RIGAUD (J.),
« Réflexions sur la notion de consensus », Pouvoir,
1978, pp.7-14.
116 Nous l'avons appris sur les médias notamment sur la
Radio France International. Mais nous ne sommes pas parvenus à nous
procurer une copie dudit accord.
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des accords qui instituent une telle interdiction. Cela ne
ferait que renforcer le constat de la violation des droits de l'homme par les
accords politiques.
En définitive, il est clair que les accords politiques
narguent sérieusement le pouvoir constituant originaire. Ils ne semblent
non plus épargner le pouvoir constituant dérivé.
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