Paragraphe II : L'hypothèque du pouvoir constituant
dérivé
L'hypothèque du pouvoir constituant
dérivé procède par la remise en cause de la
procédure de révision (A). A partir de ce moment on peut
légitimement se demander si la distinction « constitution-souple
constitution rigide » est encore de mise (B).
A : La contorsion de la procédure de
révision
Le nouveau constitutionnalisme africain est marqué par
la rigidité des constitutions (1). Cette rigidité est
matérialisée par la solennité et la complexité de
procédure de révision qui sont rompues par les accords politiques
imposant une révision (2).
1 : Une procédure de révision pourtant
rigide
La complexité de la procédure de révision
constitutionnelle consiste dans le nécessaire recours à une
procédure exceptionnelle, différente de la procédure
législative ordinaire. Une constitution rigide doit donc donner
priorité aux lois constitutionnelles sur les lois ordinaires. A ce
titre, les constitutions africaines paraissent bien répondre à la
définition de la constitution rigide.117
En effet, elles sont jalonnées d'un ensemble de normes
instituant une procédure à trois temps. L'initiative, la prise en
considération et l'adoption118.
En droit constitutionnel, l'initiative est le droit reconnu
aux parlementaires ou au Gouvernement ou aux deux concurremment, de
déposer une proposition de lois (parlementaire) ou des projets de lois
(Gouvernement). Par ailleurs, elle peut
117 Ce choix est motivé par la recherche de la
stabilité et la solennité. Voir ATANGANA (J.L.), « Les
révisions... »op.cit, p.4 et suiv., BATSELE (D.), MORTIER
(T.) et SCARCEZ (M.), Initiation au droit constitutionnel, Bruylant,
p.17.
118 Voir à ce propos CHANTEBOUT (B.), Droit
constitutionnel et institutions politiques, Paris, Armand colin, 2007, p.
36-37.
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désigner le procédé de la
démocratie semi directe permettant au peuple, sous forme d'une
pétition comportant un nombre déterminé de signatures, de
soumettre à l'Assemblée législative, un projet qu'elle est
contrainte d'examiner (selon une autre modalité, le projet est soumis
à la votation populaire). C'est ce qu'on appelle initiative
populaire119. Dans le cadre de la procédure de
révision, il s'agit de la prérogative reconnue au
Président de la République et à un nombre
déterminé de députés (1/5 par exemple au
Togo)120 de déposer respectivement un projet ou une
proposition de révision de la constitution.
La prise en considération est l'acte parlementaire qui
consiste à statuer sur le bien-fondé du projet ou de la
proposition de révision et au final « lui donner suite
».121
Enfin l'adoption du projet ou de la proposition de
révision. Elle peut prendre deux formes. Soit par voie parlementaire
soit par voie référendaire122.
Malheureusement, tout cet arsenal est descendu en bloc par les
accords politiques.
2 : La rupture de la rigidité de la
procédure de révision
La solennité dans la procédure de
révision remonte au XVIIe siècle. Les hommes de cette
époque considéraient volontiers une nouvelle constitution comme
un véritable renouvellement du contrat social. D'où la
nécessité d'en rédiger dans la forme la plus solennelle et
la plus complète. La solennité peut aussi découler du
nombre plus ou moins important de personnes appelées à se
prononcer, ou du moins à participer à l'entreprise de la
révision.
En réalité, la solennité va
au-delà et couvre la conviction du peuple et confiance qu'il accorde aux
organes intervenant dans la révision.
C'est justement cet élément fondamental que
vient mettre en difficulté les accords politiques. En effet, les accords
politiques peuvent désormais s'analyser comme faisant partie des organes
qui composent le pouvoir constituant dérivé, sinon
119 Sur ce point on peut utilement consulter l'article du
Doyen COULIBALEY sur le pouvoir de suffrage publié dans les Annales de
l'Université du Benin ,1997-1998, p. 157.
120 Art. 144 al 1de la constitution togolaise du 14 octobre
1992.
121 CHANTEBOUT (B), Droit constitutionnel ...op
cit, p.36.
122 Art. 144 al 2 et 3.
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comme l'organe principal dans la révision
constitutionnelle. Plusieurs éléments le démontrent.
D'abord les accords politiques s'octroient le pouvoir de
l'initiative, soit en indiquant directement les réformes exigées,
soit en instituant un organe ad `hoc, chargé de les identifier
et de faire des recommandations au gouvernement au moment opportun.
Ensuite, on peut emprunter au Professeur KPODAR, son analyse
démontrant les atteintes au principe de fonctionnement du
législatif123. Il part des deux théories de Raymond
Carre de Malberg sur la nature de l'initiative pour conclure qu'à
l'épreuve de l'accord de Linas Marcoussis « le pouvoir
législatif se trouve diminué dans toute sa nature, dans les
profondeurs de son essence aussi bien dans sa fonction de représentation
que celle de législation »124.
Partant de là, on peut affirmer que la procédure
de révision, sa complexité et sa solennité deviennent une
véritable farce, sinon une formalité pour traduire en de termes
constitutionnels les désirs, soit des partis politiques, soit de la
rébellion, dénotant sans difficulté de la rupture du
contrat social.
Dès lors, on se demande si on n'est en présence
de constitutions souples ou de constitutions rigides ?
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