B : Un parlement sous curatelle
Lorsqu'il n'est pas suspendu, comme c'est le cas au
Madagascar82, le Parlement est tout simplement transformé en
chambre d'enregistrement des textes nécessaires à
l'accomplissement de la mission assignée à l'exécutif. Il
s'agit pour ainsi dire, de la confiscation pure et simple de la fonction
parlementaire(1) qui conduit à conclure à la remise en cause du
mandat parlementaire(2)
1 : La confiscation de la fonction
parlementaire
Le pouvoir législatif désigne l'organe qui au
sein de l'Etat, a la compétence de faire les lois.
Généralement connu sous le nom de parlement, cet organe se voit
doté de deux missions essentielles à savoir celle de voter les
lois et celle de contrôler l'action du gouvernement83. Si
théoriquement, à l'épreuve des accords politiques, les
Parlements africains peuvent se vanter de continuer par exercer leur mission,
la pratique révèle une véritable confiscation du pouvoir
législatif par les accords politiques.
En effet, dans le pire des cas, les dispositions de l'accord
se substituent tout simplement aux législations en vigueur. C'est le cas
par exemple de l'APG au Togo dont l'annexe I est intitulée `'Des
attributions, de la composition et des démembrements de la Commission
Nationale Electorale Indépendante (CENI)», se substitue aux
dispositions du code électoral en vigueur84. Dans le meilleur
des cas, l'accord lui laisse le soin de légiférer ; mais pas
n'importe comment. Dans ce cas, le Parlement devient destinataire d'une
véritable « feuille de route » à transformer en lois.
L'accord politique devient alors un acte de puissance législative ou de
participation à la fonction législative en prenant l'initiative
des lois. Or, pour le Professeur KPODAR, « il parait inconcevable dans
le cadre de la théorie constitutionnelle, qu'un accord puisse influencer
la fonction législative même d'un point de vue procédurale
(et ceci) en dehors des prescriptions constitutionnelles
»85.
82 L'Accord de Maputo dissout toutes les institutions
notamment le parlement.
83 Voir sur ce point SOMALI (K.) : Le parlement
dans le nouveau constitutionnalisme africain Essai d'analyse comparée
à partir des exemples du, Benin Burkina Faso et du Togo,
Thèse de doctorat, Université Lille II, 2008, p.11.
84 Adopté par la loi n° 2000-007 du 05
avril 2000 portant code électoral
85 « Politique et ordre juridique... »
op.cit., p.2511.
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Par ailleurs, la fonction de contrôle86 de
l'activité gouvernementale perd toute sa substance. En effet, elle se
matérialise par le vote de confiance et des questions. Or, pour entrer
en fonction, le gouvernement de crise n'a aucun programme à
présenter que celui qui lui a été imprimé par
l'accord. Dès lors, on est en droit de crier à la confiscation du
pouvoir législatif, celui-ci se trouvant diminué dans toute sa
nature, dans les profondeurs de son essence ; et on se demande si le mandat
parlementaire lui-même peut encore se prévaloir de sa superbe
d'antan.
2 : La remise en cause du mandat
parlementaire
Le mandat parlementaire est la pierre angulaire de la
démocratie représentative. Historiquement, la conception de
mandat parlementaire comme fonction publique résulte de la
transformation de la représentation assurée par les
assemblées médiévales auprès du souverain. Les
membres de ses assemblées étaient députés,
c'est-à-dire envoyés par les communautés pour être
des porte-paroles et notamment, exprimer les doléances en échange
de leur consentement aux subsides demandés par le souverain. Ils
tenaient donc leur pouvoir de ceux qui les avaient élus et ne pouvaient
l'engager que dans les limites du mandat qu'ils avaient reçu. Pour cette
raison, ce mandat était impératif, ce qui signifiait que les
députés étaient liés par les instructions de leurs
commettants. Mais très tôt, les députés cessent
d'être considérés comme les représentants de leur
bourg et comité pour devenir des représentants du Royaume tout
entier. A partir de ce moment, le mandat parlementaire devient
représentatif, c'est-à-dire que l'élu jouit juridiquement
d'une indépendance à l'égard des électeurs. C'est
d'ailleurs ce qu'exprimait Condorcet en ces termes : « Mandataire du
peuple, je ferai ce que je croirai conforme à ses intérêts.
Il m'a envoyé pour que j'expose mes idées, non les siennes.
L'indépendance absolue de mes opinions est le premier de mes devoirs
envers lui »87. Aussi l'élu ne saurait-il recevoir
d'ordre de personne. Or, les accords politiques imposent aux parlementaires un
ensemble de principes qu'ils ne peuvent concrètement pas refuser
d'adopter. Dès lors, on est en droit de dire que le principe du mandat
parlementaire est juridiquement et pratiquement vidé de son contenu.
86 Le terme de contrôle désigne les
activités politiques des Assemblés par opposition à leurs
activités législatives et regroupe une grande diversité
d'opérations qui vont de la mise en jeu de la responsabilité du
gouvernement aux activités purement informatives. Par extension, la
responsabilité pénale du Président de la République
et des membres du gouvernement figure en également sous cette rubrique
dans le règlement intérieur de l'Assemblé Nationale. Voir
AVRIL (P.) et GICQUEL (J.), Droit Parlementaire, Paris, Montchrestien,
2004, p.32.
87 Cité par JOHNSON (Y.) dans son cours de
Droit parlementaire (cours polycopié) dispensé en 3è
Année de licence option droit public à l'Université de
KARA en 2007.
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Il ne fait donc plus aucun doute que les accords politiques
régissent les principaux pouvoirs de l'Etat, mais ils mettent aussi sur
pied des institutions spécialisées ou du moins régissent
celles déjà existantes.
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