SECTION II : LES ACCORDS POLITIQUES : UN INSTRUMENT
REGISSANT LES INSTITUTIONS AU SEIN DE L'ETAT
Dans la perspective de résoudre la crise, les accords
politiques éditent un ensemble de normes, de principes, en feuille de
route, souvent immédiatement applicables. Pour le Professeur DU BOIS DE
GAUDUSSON, les accords définissent une nouvelle constitution et que leur
objectif est précisément de réviser les dispositions
institutionnelles et de contenir des recommandations non conformes à
celles toujours en vigueur74.
S'il est vrai que le plus souvent, « le constituant de
fait »75 édite des règles qui régissent le
fonctionnement de l'exécutif par la mise sur pied d'un gouvernement
d'union nationale avec à la clef un programme, il vise aussi le
législatif qui est ainsi
73AGOKLA (K.M.) Cours polycopié de droit
pénal international. Université de KARA, quatrième
année, droit public, 2008, p.40 et suiv.
74« Accord de Marcoussis... » op.cit.,
p.46.
75 KPODAR (A.) « La communauté
internationale et le Togo... » op.cit., p.42
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mis sous perfusion. Au-delà, des pouvoirs
exécutif et législatif (Paragraphe I), les accords politiques
instituent plus généralement des organes ad hoc, ou
irriguent ceux déjà existants (Paragraphe II).
Paragraphe I : Des bouleversements institutionnelles
Les accords politiques ont souvent pour principal objectif de
mettre sur pied des gouvernements de crise totalement déconnectés
des prescriptions constitutionnelles (A). Par ailleurs, ils soumettent le
parlement à une véritable corvée, consistant à
l'enregistrement des lois préalablement établies par eux. Ce qui
a fait dire de celui-ci, qu'il est mis sous curatelle (B).
A : Des exécutifs inconstitutionnels
Les exécutifs mis sur pied par les accords sont souvent
connus sous le nom de gouvernements de crise. Gouvernement d'union nationale,
gouvernement d'ouverture ou de large ouverture, gouvernement de mission,
gouvernement de transition, une générosité terminologique
et sémantique pour désigner une seule réalité au
double plan originel(1) et fonctionnel(2).
1 : L'instauration des gouvernements de crise
Dans la théorie du droit constitutionnel, le
gouvernement apparaît comme la clé de l'existence de l'ordre
public, la réalité de la conception anthropologique de l'Etat.
C'est lui qui incarne le pouvoir exécutif que Montesquieu qualifiait
« puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit
des gens »76, et c'est lui qui « en Afrique,
représente le pouvoir tout court »77. Selon les
principes fondamentaux de la théorie de la démocratie
représentative majoritaire en vogue dans le nouveau constitutionnalisme
africain78, seule la majorité gouverne. Cependant, les
accords mettent sur pied un composite multiforme en violation flagrante des
constitutions.
En effet, si on peut relever que dans certains cas, il y a la
majorité et l'opposition, comme au Togo et en Côte d'Ivoire du
moins jusqu'en 2005, il s'agit le plus souvent, d'un partage de portefeuilles
ministériels aux belligérants, en dehors et au mépris des
règles constitutionnelles préétablies. L'exemple le plus
en vue et peut-être le plus illustratif se trouve être le cas du
Kenya et du Zimbabwe. Dans le premier
76 MONTESQUIEU, L'esprit des lois, Livre XI,
Chapitre VI.
77 FALL (I.M.) Le pouvoir exécutif
dans le constitutionnalisme des Etats d'Afrique, L'Harmattan, 2008,
p.310
78 KPODAR (A), « La communauté
internationale et le Togo... », op.cit., p.45.
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cas, il s'agit de l'accord du 28 février 2008 qui
consacre le partage du pouvoir entre Mwai KIBAKI (qui gagne le poste de
président) et Railla ODINGA qui s'en sort avec la primature. Il en est
de même au Zimbabwe, où les résultats des élections
sont tout simplement mis de côté, avec pour finalité, la
nouvelle version de la « conférence de Berlin »79.
Robert Mugabe conserve le fauteuil présidentiel et son éternel
rival Morgane Swinguerai, la primature. On se trouve là en
présence de la matérialisation de l'approche consociationnelle,
chère à Pierre MOUKOKO MBONJO80.
L'inconvénient majeur de ces gouvernements est en
réalité le nombre exorbitant de ministres qu'ils
contiennent81. Au-delà, ils sont composés sans aucune
considération de compétences. Or faut-il le rappeler, ce
gouvernement a un programme à mettre en exécution.
2 : La prescription d'un programme
Les gouvernements de crise ont le plus souvent deux missions
fondamentales. Il s'agit d'une part, de pacifier le pays et d'autre part, de
conduire à l'organisation des élections libres et transparentes.
Ce rôle se retrouve essentiellement dans la mission qu'il a, d'assurer
l'effectivité de l'accord. Dans le cas ivoirien par, l'art. 3a
résume la mission du gouvernement de réconciliation en ces termes
: «il sera chargé de renforcer l'indépendance de la
justice, de la restauration de l'administration et des services publics et du
redressement du pays. Il appliquera le programme de la table ronde qui figure
en annexe et qui comporte notamment des dispositions dans le domaine
législatif et règlementaire ». Et à l'art. 3b
d'ajouter qu' « il préparera les échéances
électorales aux fins d'avoir une élection crédible et
transparente et en fixera les dates ». On le voit bien, ce
gouvernement aura à mettre en application l'accord en usant des moyens
mis à sa disposition par celui-ci (notamment la constitution), pour
atteindre les objectifs fixés. La constitution devient alors
fidèle servante de l'accord politique qui désormais tient lieu de
loi fondamentale. En outre, le parlement passe lui aussi sous le règne
de l'accord politique.
79 Il s'agit en réalité une
retrouvaille de partage du pouvoir semblable à la conférence de
Berlin organisée par le Chancelier allemand Bismarck de novembre 1884
à Février 1885 qui établit les règles d'occupation
coloniale que les historiens considèrent comme la table de partage de
l'Afrique.
80 MOUKOKO MBONJO (P.), « Pluralisme et
démocratie en Afrique : l'approche consociationnelle ou du «
POWER-SHERING » », Afrique 2000, p.39 et suiv.
81 Or le Professeur VIGNON avait déjà
déploré ce fait qui atteste d'ailleurs de la mal administration
des pays africains. « Les aspects structurels de la mal administration au
Togo », Annales de l'Université du Benin. T XVII,
1997-1998. Par ailleurs, on peut s'interroger sur l'effet d'une telle
débilité sur les budgets nationaux.
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