Paragraphe II : L'internationalisation des accords
politiques : une logique
contestable
Faute de trouver en droit interne un moyen pour offrir une
valeur juridique aux accords politiques, certains auteurs et hommes politiques
vont se réfugier dans les méandres du droit international, en
entretenant l'illusion de l'internationalisation des accords politiques (A).
Seulement cette logique ne semble pas résister au test de la rigueur
scientifique (B).
A: L'illusion de l'internationalisation des accords
politiques
On entend par internationalisation des accords politiques, le
fait de considérer
que ceux-ci sont des normes internationales. Cette
prétention (1), à y penser, n'est pas dépourvue de tout
fondement (2).
1 : La prétendue internationalisation des accords
politiques
La prétention selon laquelle les accords politiques
seraient des normes
internationales prend sa source aussi bien dans la doctrine
que dans la jurisprudence. Plusieurs éléments peuvent l'attester.
En effet, le 6 mai 2011, le Président du Conseil Constitutionnel
ivoirien Paul Yao N'DRE, après avoir proclamé quelques mois
auparavant, la suprématie de la constitution66 pour proclamer
vainqueur de l'élection présidentielle de décembre 2010
(résultats contraires à ceux donnés par la Commission
Electorale Indépendante (CEI), dont le fonctionnement est soumis au
chapelet d'accords qu'a connu la Côte d'Ivoire), déclare ALASSANE
OUATTARA vainqueur et reçoit la prestation de serment de ce dernier. Il
déclare à cette occasion que « les normes et
dispositions internationales acceptées par les organes nationaux
compétents, ont une autorité supérieure à celle des
lois internes »67.
Relativement à la doctrine, on peut rappeler la
position du Professeur Charles DEBBASCH dans son ouvrage intitulé
`'L'Etat togolais de 1967 à 2004». Dans cet ouvrage, après
avoir qualifié l'accord de Ouagadougou de 1999 d' « engagement
politique », l'éminent juriste, soucieux de lui
conférer une valeur juridique, déclare : « placé
dans le cadre des négociations internationales, l'accord modifie
66 « Les accords de Linas Marcoussis sont nuls et non
avenus » avait-il déclaré à la presse. Ces propos ont
été rapportés par J.DU BOIS DE GAUDUSSON dans son article
sur l'accord de Linas Marcoussis p.44.
67 Cité par DENGUENVA (K.V.) dans Togo presse
du 6 mai 2011, n°8531, p.13.
24
plusieurs dispositions constitutionnelles et
légales en vertu du principe de la suprématie du droit
international sur le droit interne »68.
On le voit bien, les exemples peuvent se multiplier. Il semble
donc opportun de chercher le fondement d'une telle prétention.
2 : Le fondement de la prétention
Un tel montage n'est pas dépourvu de tout fondement. En
effet, lorsqu'on
analyse le processus de formation des accords politiques, on
se rend compte qu'il ressemble curieusement au processus de formation des
traités. Il s'agit en majorité, des pourparlers suivis de la
signature.
Par ailleurs, la présence de représentants de
plusieurs Etats et
l'implication sans cesse croissante des Organisations
Internationales, semblent être de nature à couvrir les accords
politiques du caractère de normes internationales.
En réalité, si tous ces éléments
militent de façon incontestable en faveur de l'internationalisation des
accords politiques, il reste cependant, qu'une analyse minutieuse des deux
phénomènes semble dérouter les accords politiques de la
voie commune.
B : L'impertinence de l'internationalisation des accords
politiques L'impertinence de la logique de
l'internationalisation découle essentiellement
du fait que les accords politiques ne répondent pas
à la définition et finalité des normes internationales
auxquelles on les assimile (1). Par ailleurs, les juridictions internationales
semblent denier aux accords politiques un tel caractère (2).
1 : Les accords politiques et les normes
internationales
Les accords politiques se distinguent nettement des normes
internationales
notamment les traités et les actes
unilatéraux69.
Relativement aux traités, le droit international leur
reconnaît deux définitions complémentaires. Il s'agit d'une
définition coutumière et d'une définition écrite.
Selon la définition coutumière, le traité désigne
tout accord entre deux ou plusieurs sujets de droit international,
destiné à produire des effets de droit et régi par le
droit
68 L'Etat du Togo 1967-2004, Paris, p.29.
69On pourrait volontiers considérer les
accords politiques comme des actes unilatéraux conçus comme la
manifestation de volonté d'un sujet de droit international. Cependant il
ne fait aucun doute qu'ils ne sont pas des actes unilatéraux d'autant
plus que les actes unilatéraux font généralement appel
à une volonté unique.
25
international70. La définition écrite
quant à elle, conçoit le traité comme un accord
international conclu par écrit et régi par le droit
international, qu'il soit consigné dans un instrument unique ou dans
deux ou plusieurs instruments connexes et quelle que soit sa
dénomination71. De ces définitions, découlent
deux éléments fondamentaux : d'une part, que le traité
suppose un concours de volonté entre deux ou plusieurs sujets de droit
international. D'autre part, que le traité crée des obligations
à la charge des parties et est régi par le droit
international.
Or, lorsqu'on appréhende les accords, il est clair
qu'ils ne sont pas signés entre des sujets de droit international,
puisque les partis politiques ne sont pas des sujets de droit international.
Par ailleurs, les accords politiques n'ont pas vocation à juguler une
crise internationale et donc ne peuvent être régis par le droit
international. Ce que semble d'ailleurs corroborer la jurisprudence
internationale.
2 : Les accords politiques et la jurisprudence
internationale
Les juridictions internationales semblent dénier toute
valeur juridique aux accords politiques.
La meilleure illustration en ce domaine reste le cas sierra
léonais. En effet, le 7 juillet 1999 fut signé dans la capitale
togolaise, I `accord de paix de Lomé dans un difficile et laborieux
équilibre entre la paix et la justice en Sierra Leone. Cet acte accorde
l'amnistie c'est-à-dire la liberté et le `'pardon absolu» au
chef du Front Révolutionnaire Uni (RUF) le défunt Foday SANKOH et
aux autres parties prenantes au conflit72. L'accord de Lomé
fait suite à celui d'Abidjan du 30 novembre 1998 instaurant un
cessez-le-feu entre les belligérants et envisageant déjà
cette amnistie.
Poursuivis par le Tribunal Spécial pour la Siéra
Léone dont l'article 10 ne reconnaissait pas cette amnistie, les
nommés Kallou et Kamara font savoir que toutes les amnisties ne sont pas
illégales au regard du droit international et que l'amnistie en question
s'imposait aux autorités siéra léonaises en tant que
partie
70 SALMON (J), dir., Dictionnaire de droit
international, Bruylant, 2001, pp.1688-1689 ;DIHN(N.Q) Droit
international public, Paris, LGDJ, 2009, p.118.
71 Ibidem.
72 Art 10 de l'accord `'pardon absolu»
26
intégrante de l'accord de Lomé, traité
international au regard de la Convention de Vienne sur le droit des
traités.73
Examinant la requête des sieurs Kallou et Kamara, la
chambre d'appel du Tribunal Spécial a passé en revue deux
questions à savoir d'une part, la qualité des parties à
l'accord de Lomé et la conséquence juridique de l'article 10 des
statuts, et d'autre part, les limites des amnisties en droit international.
Sur la première question (et c'est elle seule qui
retiendra notre attention), la chambre estime que l'accord de Lomé qui a
été signé, entre autres, par l'ONU et un Etat tiers, ne
suffit pas pour en faire un traité international, créateur
d'obligations à la charge des signataires. L'ONU et les tiers Etats n'en
seraient que des cautions morales. Par ailleurs, le RUF ne disposerait pas du
« treaty making power » au regard du droit international et ne serait
reconnu, comme tel, par aucun Etat membre de la communauté
internationale.
Il en découle donc que les accords politiques ne sont
pas des normes juridiques, mais régissent pourtant les institutions au
sein de l'Etat.
|