B : La difficile compatibilité des accords
politiques avec la constitution
L'incompatibilité des accords politiques à la
constitution peut être démontrée de deux façons.
D'une part, en se fondant sur une analyse substantielle(1) et d'autre part,
à travers une analyse fonctionnelle(2).
1 : Une incompatibilité substantielle
Certains auteurs ont prétendu reconnaître une
certaine compatibilité des accords politiques avec la constitution, en
prônant une approche compréhensive des textes53. Pour
ce faire, ils proposent la technique de l'interprétation
fonctionnelle54 et
52 L'article 36 de la constitution française
de 1958 relatif à l'état de siège, dispose que celui-ci
est pris en conseil des ministres. Sa prorogation au-delà de 12 mois ne
peut être autorisée que par le Parlement. Relativement à la
dictature constitutionnelle l'article 16 de la même constitution dispose
« lorsque les institutions de la République, l'indépendance
de la nation ou l'exécution de ses engagements internationaux, sont
menacées d'une manière grave et immédiate et que le
fonctionnement régulier des institutions publiques constitutionnelles
est interrompu le Président de la République, prend les mesures
imposées par les circonstances, après consultation officielle du
Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du
Conseil constitutionnel. Il informe la nation par un message. »
53 Relativement à l'accord de Linas
Marcoussis, le Professeur. J.DU BOIS DE GAUDUSSON les a présenté
en ces termes « moyennant l'adoption d'une approche compréhensive
des textes, les modifications recommandées par l'accord ne sont pas
incompatibles avec la constitution ». « Accord de Marcoussis entre
droit et politique », Afrique contemporaine, pp.45-46.
54 Le Professeur KPODAR distingue trois
méthodes d'interprétation qui répondent mieux à la
fonction de volonté: il y a en premier lieu l'interprétation
génétique par laquelle l'on recherche la volonté
réelle de l'auteur du texte, à travers par exemple les travaux
préparatoires ; en second lieu l'interprétation
systémique, dont l'objectif est d'éclairer un fragment de texte
par un autre, et enfin l'interprétation fonctionnelle ou de l'effet
utile par laquelle on donne au texte la signification qui lui permettra de
remplir la fonction qu'on lui avait attribuée.
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la voie des conventions constitutionnelles55.
Seulement, « il reste (...) que cet exercice de juriste, quel que soit
le talent et la capacité d'imagination de ce dernier, se heurte à
des limites qui épuisent les vertus de sa poursuite sur le plan
politique »56. En effet, le Professeur KPODAR a
rejeté, dans son célèbre article sur l'accord de Linas
Marcoussis, toute compatibilité dudit accord à la constitution
fondée sur une telle démarche. Pour le grand théoricien
des accords politiques, si le recours au principe de l'interprétation de
l'effet utile est un argument inconsistant pour établir la
compatibilité de l'accord avec la constitution ivoirienne57,
il est également impossible de faire rentrer ce compromis dans les
catégories des conventions de la constitution58. En tout cas,
il n'est pas prudent d'étendre cette analyse à tous les accords
politiques, puisque pour le Professeur DU BOIS DE GAUDUSSON, sur le plan
juridique, la conciliation des deux textes passe par la révision de la
constitution59. Autrement dit, les accords politiques qui
prévoient une révision peuvent être qualifiés de
`'compatibles» après celle-ci. En réalité, s'il est
vrai qu'une telle révision créerait une compatibilité
entre la constitution et l'accord, il s'agirait tout simplement d'une
conformisation de la constitution à l'accord politique. Comment admettre
juridiquement de soumettre le pouvoir constituant à une « grande
mésintelligence »60, organisée par quelques
individus à la poursuite de leur intérêt personnel ?
Même jusque-là, on peut encore refuser le nom de régime de
droit au système installé, puisque la révision pourrait
être substantiellement déniée de validité pour deux
raisons. La première est relative à la procédure. En
effet, on se trouverait en présence d'une simple formalité
d'adaptation de la constitution à l'accord politique. Elle serait donc
complètement vidée de sa substance61. La seconde est
relative aux institutions qui y interviendraient. L'hypothèse est la
suivante : à supposer que le Président Laurent GBAGBO
révise la constitution, notamment
Au -delà, il faut rappeler que l'interprétation
est une opération par laquelle l'on attribue une signification à
quelque chose. Voir KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique... »
op.cit., p.2512.
55 Une convention constitutionnelle constitue une
révision politique de la constitution, ou à tout le moins une
interprétation plus ou moins laxiste qui impose grâce à
l'accord des acteurs politiques comme norme obligatoire tant le consensus
persiste ou qu'une révision juridique expresse ne s'y est pas
substituée. Voir DUHAMEL (O.) et MENY (Y.), Dictionnaire de droit
constitutionnel op.cit, p.232. Tel que défini, on pourrait
valablement penser à y faire entrer les accords politiques. Il faut donc
préciser qu'il s'agit des acteurs constitutionnels.
56 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), « Accord de
Marcoussis... » op.cit., p.46.
57 « Politique et ordre juridique... »
op.cit., pp.2512-2516.
58 Idem.
59 KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique...
», op.cit., p.2515.
60 Ibidem.
61 On le verra, les révisions sur
l'initiative des accords politiques semblent ne pas respecter l'esprit la
procédure prévue à cet effet.
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l'article 35, pour permettre à OUATTARA de
présenter sa candidature aux élections présidentielles de
2010. Cette révision serait irréfutablement contraire à la
constitution. Parce que l'exercice du pouvoir par Laurent GBAGBO est
inconstitutionnel62. Il est donc difficile, voire impossible, de
trouver une compatibilité entre les accords politiques et la
constitution, même au prix d'une contorsion voire d'une
`'alchimie»63 de la constitution.
2 : Une incompatibilité fonctionnelle
Quelle est en réalité la fonction des accords
politiques ?
On proclame souvent les avantages des accords politiques,
surtout lorsqu'il s'agit de résoudre une crise politique d'envergure
militaire. On pense souvent que ce genre de crises dépasse le cadre
juridique et ne pourrait donc pas être résolu par des
mécanismes juridiques ; et qu'il faudrait chercher ailleurs la solution
à une telle situation. Les accords politiques sont alors
considérés comme la panacée. Seulement, derrière
cette idée de bon sens encore à vérifier64, se
cache une véritable volonté de redistribuer le pouvoir aux forces
en place65. Dès lors, on se demande comment deux textes
contradictoires, ayant une finalité commune peuvent être
compatibles.
Par ailleurs, si une telle compatibilité est
prouvée, on se demande comment serait contrôlée son
effectivité. En effet, on peut s'interroger sur l'attitude du juge
constitutionnel. Comment gèrerait-il la contradiction entre les deux
énoncés ?
Il semble donc acquis que les accords politiques sont
difficilement compatibles avec la constitution. Comme tel, leur
positivité est difficilement démontrable sur le plan interne. Le
droit international semble, lui aussi, leur dénier toute
juridicité.
62 S'il est vrai qu'on pût soutenir que
Laurent GBAGBO a été élu Président de la
République, on peut valablement soutenir qu'à partir de l'Accord
de Linas Marcoussis son règne a progressivement perdu de sa
constitutionnalité pour finir par disparaître en 2005.
63 KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique
... », op.cit., p. 2513.
64 Encore faut-il se rassurer que les accords
mettent fin à la crise. Cette inquiétude est légitime
puisque le Professeur KPODAR constate avec regret que l'accord de Marcoussis
n'est pas parvenu à pacifier le pays et qu'il a fallu l'intervention des
forces licornes qui ont créé une zone de tampon entre les
rebelles et les forces officielles pour arrêter les affrontements.
65 Certains auteurs désignent les accords
politiques par un nom évocateur : « accords de partage de
pouvoir et de gestion consensuelle ». Voir MOYEN (G.), « Les
accords de sortie de crises politiques et constitutionnelles en Afrique : les
cas de la République démocratique du Congo et de la Côte
d'Ivoire », inédit, p.2.
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