CONCLUSION
S'il est vrai que depuis quelques années et
singulièrement depuis 1989, les Etats du continent noir sont saisis par
la fièvre constitutionnelle, ces transformations et les contextes dans
lesquels elles s'inscrivent, remettent en cause l'opinion encore
professée sur le constitutionalisme africain. Longtemps, la plupart des
chercheurs, spécialistes de droit comparé l'ont
négligé voire ignoré. Selon une présentation
répandue, l'étude des droits africains en ce domaine comme en
droit public en général, serait de peu d'intérêt car
ils ne représenteraient que de simples prolongement des droits des pays
développés et plus spécialement des anciennes
métropoles. Ils ne seraient en outre, que le produit d'une influence
générale et omniprésente des modèles et conceptions
élaborés ailleurs263.
Cependant plusieurs éléments démontrent
la légèreté de ces critiques, lesquelles
révèlent d'ailleurs chez leurs auteurs, un certain mélange
de sous information et d'absurdes préjugés. En effet, si
originellement on a pu taxer les constitutions du nouveau constitutionalisme
africain de « constitutions clonées », « constitutions
livrées clef en mains » par des « pèlerins ou des
sorciers constitutionnels », multiples facteurs permettent de
reléguer une telle analyse à la préhistoire de la
pensée constitutionnelle. En réalité, depuis leur
adoption, plusieurs mécanismes attestent leur originalité et
semblent méprendre, avec une certaine rigueur, la thèse du
mimétisme dans le nouveau constitutionalisme. Celui-ci devient plus que
jamais euristique, eu égard à la richesse dogmatique et pratique
naguère ignorée des analystes classiques, surtout de
l'extérieur qui pour autant, préfèrent évoluer dans
une tour d'ivoire, peut-être atteints du syndrome de
l'occidentalocentrisme264. Les accords politiques l'attestent
véritablement. Imbus de leur spécificité, ils marquent
l'originalité du droit constitutionnel africain et démontrent
selon l'expression du Professeur KPODAR que l'Afrique est fidèle
à ses principes. Elle semble accorder une importance particulière
au consensus (matérialisé déjà dès
l'origine, par les conférences souveraines), au mépris des
mécanismes rigides des constitutions occidentales, qui semblent se
révéler inefficaces dans un espace en démocratisation. Des
réflexions foisonnent et se poursuivent pour doter l'Afrique des
263 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), « Le constitutionnalisme en
Afrique » op.cit., p.9
264 Jean Pascal Dalloz cité par LOADA (A.), « La
limitation... » op.cit., p.164
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institutions qui correspondent aux réalités
locales. Le récent colloque de Lomé portant sur les tabous du
constitutionalisme africain265 en est une preuve. C'est pourquoi,
après avoir constaté que les accords politiques portent un coup
dur à la constitution dans son sens classique, les auteurs font vite, de
relativiser pour mettre un accent particulier sur les bienfaits d'une telle
réalité, laquelle dénote d'ailleurs de la
nécessité de sa positivité et surtout de sa
théorisation. C'est cette noble ambition que s'est fixée cette
réflexion, laquelle après avoir mis en relief cette
nécessité, postule la révision des paradigmes du droit
constitutionnel au prisme du vécu africain. Le droit constitutionnel
africain serait une véritable galerie d'art, marquée par une
imitation consciente et une créativité
séduisante266.
Cependant, il faut rapidement étouffer cette joie. En
effet, la place qu'occupe la communauté internationale dans
l'élaboration de ces accords peut être révélatrice
d'un certain néocolonialisme, cachant mal les objectifs de certains
Etats occidentaux, lorsqu'ils s'ingèrent avec acharnement dans la
résolution d'une crise. Bienvenu OKIEMY révélait
déjà « les doutes suscités par l'accord de Linas
Marcoussis »267 lorsqu'il écrivait : « l'accord de
Linas Marcoussis n'est pas simplement un arrangement qui vise à
réconcilier les Ivoiriens et à éviter une propagation
transnationale d'un conflit qui embraserait une région
déjà marquée par des guerres civiles. En effet,
poursuit-il, c'est un modus vivendi à travers lequel, on devine
déjà une reformulation de la politique africaine de la France qui
n'est rien de moins que le dépassement de « doctrine Jospin »,
ni indifférence, ni ingérence. »268
Au-delà, on peut se poser des questions sur
l'effectivité de ces accords, qui eux-aussi, portent la marque
incriminée d'internationalisation ou du moins d'extranéité
de l'ordre ainsi établi, surtout lorsqu'on sait qu'il appartient aux
hommes de les mettre en pratique.
En tout cas, s'il est établi que les accords politiques
ne sont, ni des conventions constitutionnelles, ni des traités ; ils
constituent non seulement une pratique répandue, mais aussi
répétée, qui pourrait facilement faire partie de ce que
265 Ce colloque a été organisé par le
Centre de Droit Publique et a eu lieu dans la sale CEDEAO du CASEF les 14 et 15
Juin 2011
266 Ces propos sont de nous.
267 OKIEMY (B.), « L'accord de Linas Marcoussis : La France
de retour », Revue juridique et politique,
n°4,2003, p.481 268Idem
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Georges BURDEAU appellerait « les types de faits
producteurs de droit »269 et ceci pourrait valablement
s'expliquer par la théorie du système des variables
déterminantes270. Au-delà, la postérité
et la prospérité des accords politiques, dénotent d'une
certaine contractualisation de la régie du phénomène du
pouvoir et qui fait déjà poindre à l'horizon la
nécessité d'entreprendre une étude sur les modes
alternatifs des crises dans le nouveau constitutionnalisme africain.
En outre, il faut reconnaître que le salut du
constitutionnalisme et de la démocratie en Afrique dépend en
grande partie des Africains, et que, « s'il est vrai que la graine
mise sous terre est d'abord soumise à la loi de la putréfaction
et doit ensuite donner la vie, il est aussi claire que le
néo-constitutionnalisme africain peut renaître sous certaines
conditions »271. Il s'agit bien des conditions juridiques,
politiques et culturelles.
269 BURDEAU (G.), cité par KPODAR (A.) «
Communauté internationale... », op.cit.p.42
270 On entend par système des variables
déterminantes « l'ensemble des éléments qui seul
ou combinés, peuvent avoir une incidence sur la formation et
l'interprétation de la règle de droit ». COHENDET
(M.-A.) « Le système des variables déterminantes » in
Mélanges en l'honneur de Jean GICQUEL, Paris, Montchrestien,
2008, p.121.
271 KPODAR (A.), « Prolégomènes...
»op.cit, p.335.
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