Paragraphe II : La cure pratique
S'il semble acquis que « l'Afrique (est) malade de
ses hommes politiques »244 Il semble nécessaire de commencer
par dire que l'Afrique est malade de ses africains. De cette triste
réalité, il ressort tout simplement qu'au-delà de toute
considération doctrinale visant à rechercher les origines de
l'érosion du
241 CHANTEBOUT (B.) cité par COULIBALEY (B.) « Le
pouvoir... »op.cit., p.141
242 COULIBALEY (B.), « Le pouvoir... »
op.cit., p.154
243 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.) « Trente ans d'institution
constitutionnel et politique : point de repère et interrogation »,
Afrique contemporaine n°164 ; octobre-décembre 1992, p
52cité par COULIBALEY « Le pouvoir... » op.cit.,
p123
244 DUSSEY (R.), L'Afrique malade de ses hommes
politiques, Paris, Jean Picollet, 2009, pp. 1 et siuv.
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constitutionnalisme africain dans la logique institutionnelle
avec pour postulat que « le principal danger pour l'Etat de droit
c'est l'Etat »245, il faut retenir que c'est l'homme qui
fait l'institution. La cure pratique consiste donc à une tentative
d'humanisation du phénomène constitutionnel. Il s'agira donc de
promouvoir l'acclimatation de la démocratie (B), après avoir au
préalable diagnostiqué les points de résistance à
la démocratisation (A).
A : La démystification de la résistance
à la démocratisation
Existe-il des résistances actuelles à la
démocratisation en Afrique ? S'il paraît hypocrite de
répondre par la négative, une réponse positive serait en
réalité un pari, sinon une gageure, puisqu'il ne serait pas
aisé d'en rapporter la preuve. Relevant ce défi, Mwayila
TSHIYEMBE distingue selon qu'elles viennent de la classe dirigeante (1) ou des
autres groupes sociaux (2).
1 : La résistance de la classe
dirigeante
L'enthousiasme avec laquelle les dirigeants africains ont
accueilli la démocratie, contraste avec les difficultés que
celle-ci rencontre à se traduire dans les faits. En effet, «
contrairement aux idées reçues, la démocratie en
Afrique est un phénomène antinomique au processus connu par les
pays d'Europe de l'Est au lendemain de la mise en oeuvre de la Perestroïka
et de la Glasnost. Au regard des faits que nul ne conteste aujourd'hui, la
clameur du sang des victimes innocentes, versé à Madagascar, au
Zaïre, au Mali, au Togo (...) vient, tel un écho lugubre, briser
les certitudes encore vacillantes des africains, en démontrant que la
démocratisation dans cette partie du monde est une entreprise
anti-démocratique au sens propre comme au sens figuré
»246.
En réalité, sous le joug du «
clientélisme » dans toutes ses marques, à savoir «
affairiste », « tribalo-régionaliste » et «
intellectuel », la classe dirigeante africaine a démontré
qu'elle n'avait aucun intérêt à l'aboutissement de la
démocratie. Soutenus par un « Extérieur » qui veut
ménager ses intérêts par le maintien du statu quo ante,
elle use des moyens encore nombreux : force répressive ou force
armée, fabrication de la « volonté du peuple »,
création de partis satellites. Au-delà, il devient
impérieux de s'interroger sur les motivations d'une telle
démarche. On peut a priori penser à la
245 COMY (O.) cité par LOKO (T.C.) Contribution du
droit international à l'émergence de l'Etat de droit,
Thèse de doctorat en droit Université D'Abomey Calavi,
2010,p.90
246 TSHIYEMBE (M.) « Résistances actuelles
à la démocratisation en Afrique : Mystifications et
réalités », Revue africaine de politique
internationale, p.40
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crainte que la République nouvelle ne leur demande des
comptes. En effet, la plupart des dirigeants africains se sont rendus coupables
de tant d'atrocités qu'ils sont convaincus, à tort ou à
raison, que dès qu'ils quitteront le pouvoir, ils en répondront.
C'est d'ailleurs cette peur qui justifie, selon les termes mêmes du
Professeur LOADA, la propension actuelle à la suppression pure et simple
de la limitation du nombre de mandats247. Comme palliatif, le
Professeur Alpha CONDE proposait qu'on leur garantisse une retraite tranquille,
en prévoyant un statut digne de nom, qui leur garantirait, sous
certaines conditions, la sécurité physique, matérielle et
juridique248, permettant ainsi d'éviter « la
tragique fatalité qui veut que nos chefs d'Etats n'aient que deux portes
de sortie pour quitter le pouvoir : la prison et le cercueil
»249.
Le Professeur GONIDEC, quant à lui y trouve une
explication très simple : la pratique coloniale. En effet, après
avoir rejeté l'argumentation hypocrite qui consiste à trouver
dans la pérennité de l'autoritarisme « le prolongement
des aspects les plus domestiques des traditions ancestrales
»250, il écrit : « nous pensons que la
cause principale doit être recherchée dans l'intrusion
européenne qui coïncide avec la naissance et le
développement du capitalisme, d'abord commercial
»251. Qu'en est-il de la résistance des groupes
sociaux ?
2 : La résistance des groupes sociaux
Contrairement à la classe dirigeante qui fait montre
des ambitions perverses, les groupes sociaux s'opposent à la
démocratisation pour des motifs respectables. Victimes incontestables
des retombées de la « République bananière »,
ils refusent d'être complices d'un simulacre de démocratisation,
d'une « démocratie méthodiquement vidée de son
contenu »252, que veulent bien instaurer les gouvernants,
et dont les effets n'ont aucun secret pour personne.
Parmi ces « forces qui s'opposent à la
démocratisation (...), on peut citer celles qui ont une action
significative et sont de caractère permanant : les
étudiants,
247 LOADA (A.), « La limitation... »op.cit.,
p172
248 idem
249 Idem
250 MBEMBE (A.), cité par GONIDEC (P-F) «
Démocratie et développement en Afrique : Perspectives
internationales et nationales », Revue africaine de
Politique internationale, p.50
251 Idem
252 BEN ACHOUR (R) « Démocratie et bonne
gouvernance », in Mélanges en l'honneur de Slobodan
Milacic, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 728
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les lycéens, les enseignants, les fonctionnaires,
les églises et les mouvements religieux, les partis politiques et
associations, et la presse écrite »253.
Souvent conduite en ordre dispersé par les forces du
changement, cette résistance contre la démocratisation ne jouit
pas de soutien de la communauté internationale, qui semble être
réservé aux pouvoirs en place. Les seules armes dont disposent
les démocrates sont le droit, la foi en la cause qu'ils poursuivent. La
traduction concrète de cette énergie créatrice
étant, les grèves, les « villes mortes », la
désobéissance civile, la non-participation à des
mascarades électorales.
Devant ce constat alarmant, l'Afrique se trouve dans un
carrefour. Poursuivre cette aventure infernale ou revenir aux empires ? Il
semble urgent de penser à une sorte d' « Africanisation » de
la démocratie qui ne tarie pas d'imaginations.
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