B : Le renforcement de l'intervention du peuple
Carre de Malberg écrivait, il y plus d'un
demi-siècle déjà que, quand un peuple est parvenu à
la maturité, il doit être devenu capable de saisir et
d'apprécier la portée de ses intérêts publics et il
faut alors le plaindre si, par suite d'un défaut d'aptitude naturelle ou
à cause de l'insuffisance de son éducation politique, ou à
raison de son insouciance ou pour toute autre cause, la nécessité
s'impose pour lui de demeurer maintenu dans un régime de pure
représentation passive qui l'exclut complètement de la
possibilité de dire par lui-même son mot au sujet de ses propres
affaires. Or, on ne peut certainement pas affirmer que les peuples africains
sont immatures. L'avènement d'un constitutionnalisme libéral ne
fournit-il pas une suffisante indication de la maturité politique des
africains ? Se demandait le Doyen COULIBALEY. Tout compte fait, malgré
le fait que l'intervention du peuple est très controversée (1),
elle est devenue une nécessité (2) dans le contexte africain
d' « Etat en démocratisation »237.
1 : Une intervention controversée
Le débat sur la légitimité de
l'intervention du peuple est parti de la pensée de Montesquieu et de ses
épigones tels que Sieyès, qui proclament l'inaptitude des
citoyens à se prononcer sur les idées. Convaincu des bienfaits du
régime représentatif qui postule, pour ainsi dire, que le peuple
confie sa destinée à des représentants qui
décideraient et agiraient à sa place, Carré de Malberg
s'éclate en ces termes : « ce n'est pas la volonté du
peuple qui détermine celle des représentants. C'est au contraire
le peuple qui fait sienne par avance, la volonté que ses
représentants viendront à énoncer
»238. Pour aller plus loin, A. ESMEIN considérait
que le référendum fait partie des institutions «
contraires et antipathiques au génie du gouvernement
représentatif, parce qu'elles appartiennent au mécanisme logique
d'une autre forme de gouvernement, où elles figurent soit comme moteurs,
soit comme contrepoids. Introduites dans le gouvernement représentatif
classique, poursuit-il, elles ne peuvent que détruire un
équilibre préétabli, causer du trouble au fonctionnement
»239.
Cette position n'est en réalité pas unanime. En
effet, pour Léon DUGUIT, « le peuple, facilement aveugle
lorsque s'agit de choisir des représentants, parce qu'il se
237 RAJOANA (R.A.) « Le juge ... » op.cit.,
p.391
238 Cité par COUBALEY (B.) «Le pouvoir ... »
op.cit.p.156
239 Cité par COULIBALEY (B.) « Le pouvoir... »
op.cit., p.135
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décide par des considérations
étrangères à leur capacité, sait au contraire
reconnaître une bonne loi »240. Au-delà, il
faut voir dans l'intervention du peuple, la voie même de son salut
puisque aujourd'hui le député est moins sensible à la
variation de la mentalité politique des gouvernés qu'à
l'orientation imposée au parti, par ces chefs. L'élu devient
alors le fonctionnaire de son parti et le citoyen devra chercher ailleurs la
voie d'expression de son opinion. D'où la nécessité de
renforcer son intervention.
2 : La nécessité du renforcement de
l'intervention du peuple
Les constitutions africaines de 1990 ont dans la
majorité des cas, reconnu au peuple ses prérogatives classiques
d'intervention dans le phénomène du pouvoir. Il s'agit notamment
de l'élection à l'issu desquelles il choisit ses
représentants, du referendum où il est plutôt appelé
à se prononcer sur une question déterminée. Seulement,
depuis lors, le peuple semble ne plus adhérer à cette conception
classique que l'on se fait à son égard et réclame de moult
manières le grand rôle qui est le sien, celui de contrôler
ou d'intervenir de façon plus participative à la gestion des
affaires publiques. En effet, depuis 1991, le peuple a eu à plusieurs
reprises, à chasser du pouvoir des dirigeants qu'il avait choisis
lui-même, insatisfait de la manière dont ces derniers
protégeaient l'intérêt général. A l'exemple
du Madagascar qui brille par la propension de la rue à défier
l'ordre constitutionnel préétabli, le Maghreb vient de
démontrer encore une fois, à travers le printemps arabe, la
portée de la nécessité de renforcer l'intervention du
peuple dans la gestion du bien public. Au demeurant, si le referendum permet au
peuple de rejeter ou d'accepter les projets émanant des autorités
(constituant ainsi une sorte de veto), l'initiative populaire formelle par
exemple, permettrait au peuple de proposer des solutions nouvelles que le
parlement aurait refusé d'adopter ou qu'il aurait même
négligé de mettre à l'ordre du jour. Au-delà,
certains vont jusqu'à écrire que « le
référendum ne doit en aucun cas, être mis à la
disposition d'un organe constitutionnel quel qu'il soit et surtout pas
l'exécutif. Le parlement n'ayant guère pour sa part, la tentation
d'en user. L'initiative de la consultation doit être laissée,
comme en Suisse et aux Etats-Unis, au seul citoyen, car les procédures
de démocratie semi directe forme un bloc
240 COULIBALEY (B.) « le pouvoir... »
op.cit.,p.135
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indissociable et le referendum ne revêt une
signification que s'il est mis en oeuvre par l'initiative du veto populaire
»241.
Le renforcement de l'intervention du peuple peut emprunter
plusieurs voies que l'on connaît sous le générique de
Procédures d'intervention populaire directe(PIPD)242. Pour le
Doyen COULIBALEY, «les PIPD concrétisent la manifestation du
pouvoir de suffrage dans sa plénitude et visent à le rendre plus
effectif en conférant aux citoyens un pouvoir de statuer, que ne leur
reconnaît pas le régime représentatif pur ». En
outre, il considère que ce renforcement conduirait inévitablement
à l'ouverture du système politique et offrirait d'ailleurs une
réponse possible aux préoccupations fondamentales des pays
africains.
Tout compte fait, si, sous l'impact du mimétisme
constitutionnel et la
persistante tradition d'autoritarisme politique, «
l'imagination juridique et institutionnelle du constituant africain
était singulièrement absente alors que restent pendent, de
nombreux problèmes de gouvernement qui ne paraissent pas pouvoir
être résolus par de simple transfert de technologie juridique(
modalité de participation des populations, mécanismes de
contrôle du pouvoir, délimitation du rôle de l'Etat,
définition de statut pour les groupes, minorité, ethnie, caste
,familles religieuse... qui sont la clé des sociétés
africaines) »243, il gagnerait en
crédibilité en tentant de réformer le système mis
en place depuis 1990, en y intégrant des éléments
puisés de la culture de l'Afrique, culture qui ventile d'ailleurs, des
valeurs inestimables et qui aurait forcément des incidences positives
sur la pratique constitutionnelle et sur le phénomène du
pouvoir.
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