SECTION II : UN DROIT CONSTITUTIONNEL PERFECTIBLE
Tant de difficultés et tant de lacunes dénotent
d'une nécessité criarde de repenser les régimes africains.
Les accords politiques proposent le plus souvent un déparasitage de la
constitution par le biais d'une révision, soit un perfectionnement de
fait par l'édition de normes obligatoires et immédiatement
applicables. Par ailleurs, ils proposent une véritable cure pratique en
envisageant l'édition d'un code de bonne conduite qui exhibe
l'instauration de l'éthique constitutionnelle229 et de la
culture démocratique ou citoyenne. Le perfectionnement procède
donc, par une cure systémique (Paragraphe I), traduite dans les faits
par une cure pratique (Paragraphe II).
Paragraphe I : La cure systémique
226 BOUMAKANI (B.), « L'Etat de droit... »
op.cit., p.447
227 RAJONA (A.R.), « Le juge, les urnes et les variations
juridiques autour de la crise malgache (janvier -juin
2002) », Revue juridique et politique, N°3,
2003, p.394.
228 Idem
229 ATANGANA (J.L.), « Les révisions... »
op.cit., p.22
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La cure systémique vise fondamentalement à
donner une meilleure viabilité à l'ordre constitutionnel. Il
faudrait à cet effet procéder à un déparasitage de
la constitution(A) et l'exorcisation du juge constitutionnel chargé de
garantir sa suprématie et son effectivité. Par ailleurs il est
devenu impérieux de donner une place importante au peuple, en
renforçant son intervention(B).
A : Le déparasitage de la constitution
Le déparasitage devrait procéder par
l'éviction des dispositions « crisogènes
»230 (1).En effet, affectés par une volonté quasi
naturelle de durer au pouvoir et dont les fondements varient selon qu'ils sont
issus des régimes ayant précédé la transition
démocratique ou qu'ils ont profité de l'ambiance du
changement231, les dirigeants africains ont bourré leur
constitution de dispositions pouvant le leur garantir. Au-delà, tout
porte à croire qu'ils n'avaient égard à la cohésion
sociale qu'il est pourtant impérieux de revaloriser et de
protéger (2).
1 :L'éviction des dispositions
crisogènes
Il ne fait aucun doute que les constitutions africaines
comportent dans la majeure des cas, des dispositions susceptibles de provoquer
des crises profondes pouvant aller jusqu'à des conflits armés. Le
cas de la Côte d'Ivoire est illustratif. En effet, la constitution
ivoirienne de 2000 comporte en son sein des dispositions discriminatoires. Il
s'agit essentiellement de l'article 35 consacrant le concept d'ivoirité.
C'est cette disposition qui a mis la Côte d'Ivoire en feu. La nature
injuste d'une disposition ne se rapporte pas à l'étude du droit
en vigueur mais, se vérifie dans le mépris dont cette norme fait
montre, à l'égard de la loi morale et surtout du compromis
initial. L'article 35 de la constitution est donc injuste puisqu'il est
à l'origine de la crise politico-militaire232. Au Togo,
hormis le cas de la constitutionnalisation de l'affaire Gilchrist OLYMPIO, il y
a la prise en otage du fauteuil présidentiel par la famille GNASSINGBE,
tout ceci par le biais de la révision de 2002. La constitution perd
alors de sa majesté, parce qu'elle contient des règles
constitutionnelles injustes, qui jettent un discrédit sur tout le
système. Dès lors, pour qu'elle puisse retrouver ses lettres de
noblesses la constitution mérite d'être révisée,
230 TONTASSE (E.), La protection des droits de l'homme en
période de conflits armés, Mémoire de DEA,
2004-2005.
231 CABANIS (A.) MARTIN (L.), « La pérennisation
du chef de l'Etat : enjeu actuel pour les constitutions d'Afrique francophone
», in Mélanges en l'honneur de Slobodan Milacic, Bruylant,
2008 pp.349-350
232 Lire à ce propos KPODAR (A.), « Politique et
ordre juridique... » op.cit., p.2517
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sinon d'être totalement fondue. Elle gagnerait davantage
en crédibilité et en effectivité, si elle accordait une
place à la cohésion sociale.
2 : La recherche de la cohésion
sociale233
Instrumentum234 du contrat social, la
constitution est sensée régir la vie au sein de l'Etat. Nation ou
peuple, le composite renfermant les individus vivant sur le territoire
étatique dispose d'une vision, d'un rêve et des principes qui
assurent son évolution. Les préambules des constitutions
africaines révèlent tant bien que mal l'idéal vers lequel
veulent tendre lesdits Etats. La constitution togolaise par exemple, affirme la
détermination du peuple « à coopérer dans la
paix, l'amitié et la solidarité avec tous les peuples du monde
épris de l'idéal démocratique sur la base des principes
d'égalité du respect mutuel de la souveraineté
». Par ailleurs le peuple togolais est décidé à
bâtir un Etat de droit dans lequel les droits fondamentaux de l'homme,
les libertés publiques et la dignité de la personne humaine
doivent être garantis et protégés. Le peuple camerounais
quant à lui, est fier de sa diversité linguistique et culturelle,
élément de sa personnalité nationale qu'il contribue
à enrichir. Bref, il s'agit d'exhiber le constat sans appel selon lequel
les visions des constituants africains des années 1990 sont
orientées vers l'extérieur. Elles ne semblent avoir aucun
égard pour la cohésion sociale. Or, nul ne peut nier aujourd'hui
la pesanteur des clivages ethniques ou régionalistes dans les crises en
Afrique. Au Togo, c'est le conflit des Kabyè contre les
Ewé235. En Côte d'Ivoire, c'est la bataille du Sud
contre le Nord. Tout ceci dénote de la fragilité de la
cohésion sociale. D'où la nécessité d'en faire une
priorité et de l'inscrire donc dans la vision des Etats par le biais des
préambules. Si on trouve qu'il serait dangereux d'aborder ce
sujet236, on ne devrait pas oublier qu'en matière de crise,
il est mieux de discuter sans tourner la page que de tourner la page sans en
avoir discuté au préalable. Ce problème pourrait
d'ailleurs être résolu en renforçant l'intervention du
peuple sur les affaires publiques.
233 Le Professeur AHADZI parle plutôt
d'homogénéité sociale, « Réflexion sur un
tabou du constitutionnalisme négro-africain : le tribalisme »
op.cit., p.21
234 KPODAR(A) « Prolégomènes... »
Op.cit. p.335
235 C'est nous qui faisons ce constat
236 Lire à ce propos AHADZI-NONOU (K.) «
Réflexions sur... » op.cit.p.19 et suiv.
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