B : Un Etat de droit à faible densité
démocratique
La faiblesse de la densité démocratique semble
en contradiction avec la philosophie de l'Etat de droit. En Afrique, on
constate une véritable splendeur théorique (1) aux antipodes
d'une réalité décevante (2).
1 : Une splendeur théorique
On appelle Etat de droit un Etat soumis au droit. Hans Kelsen
distingue trois variantes de l'Etat de droit: L'Etat de droit de police
caractérisé par la puissance de l'Etat ou tout au moins sa force,
l'Etat de droit légal marqué par la soumission de l'Etat au droit
si non à la loi, et l'Etat de droit constitutionnel224.
Valeur emblématique des Etats africains engagés nouvellement dans
le processus démocratique, l'Etat de droit y est devenu le terme
récurrent du discours politique et de la dogmatique juridique. La
proclamation solennelle d'adhésion directe ou indirecte à l'Etat
de droit dans les constitutions des Etats africains, tout comme la
référence habituelle qu'en font les hommes politiques en
constituent une parfaite illustration. Au Gabon par exemple, si dans le
préambule, le constituant semble privilégier l'idée de
légalité républicaine, il renvoie formellement à
l'Etat de droit en tant que principe de la République dans le texte de
la constitution. Il s'y réfère à nouveau dans le serment
prêté par le président de la République. Tout aussi
explicitement, il en est fait mention au Sénégal, dont le
préambule proclame le respect et la consolidation de l'Etat de droit. Il
en est de même au Tchad et en République Centrafricaine alors
qu'au Cameroun et en Côte d'Ivoire, c'est la formulation implicite qui
prévaut225. La soumission au droit que sous-tend le principe
de l'Etat de droit est ainsi principalement garanti par des
procédés juridictionnels. Bien plus, l'Etat de droit n'est plus
seulement promu au rang de référentiel incontournable dans
l'ordre interne. Il bénéficie aujourd'hui, d'une
consécration au niveau international où, il est imposé
comme nouveau label aux côtés des droits de l'homme, de la bonne
gouvernance en tant que l'une des conditionnalités de l'aide par les
bailleurs de fonds internationaux. Seulement cette vitrine extérieure
marquée par l'exhibition d'une illusion démocratique semble en
déphasage avec la réalité interne.
224 BOUMAKANI (B), « L'Etat de droit... »,
op.cit.p.446
225 Idem
80
2 : Une réalité
décevante
La déception se révèle fondamentalement
par l'absence d'intériorisation de la constitution qui marque un
distinguo entre une constitution des élites et une ignorance
des citoyens vis-à-vis de la constitution. Un tel tableau permet ainsi
de mieux appréhender l'observation du Professeur Yves GAUDEMET à
propos de l'Etat de droit lorsqu'il écrit « L'Etat de droit
n'est pas dans la législation ; il est dans les esprits et les moeurs.
Il suppose la stabilité, la conviction, adhésion aux
règles que le législateur se borne à exprimer
»226. L'Etat de droit se construit donc au sommet et
reproduit des valeurs partagées par une élite restreinte, en
décalage avec la grande majorité de la population. Le greffage
juridique ne semble donc pas fonctionner. Le juge, chargé de promouvoir
et de garantir l'effectivité de l'Etat de droit devient un
véritable « catalyseur de la crise politique
»227 en s'introduisant dans « une
relation
triangulaire où il cède le pas :
politisation, déresponsabilité et fragilité.
»228 La déception est grande, d'où la
nécessité d'une refonte.
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