Paragraphe II : Des faiblesses fatales
Ainsi présentée, la constitution dans sa conception
de 1990, tombe dans une
situation difficilement qualifiable : déclin ou
décès du nouveau constitutionnalisme ? En tout cas, on assiste
tout simplement à une pratique si pervertie (A) qu'elle fait dire qu'on
était en présence d'un Etat de droit à faible
densité démocratique217(B).
A : La perversité de la pratique
L'architecture constitutionnelle est belle. Elle contient des
mécanismes sensés
garantir la démocratie. Seulement la pratique
dénote une véritable manipulation (1) aggravée par le
soutien d'un juge constitutionnel diabolisé et d'une armée
politisée (2).
1 : La manipulation de la constitution
On a pris l'habitude de soutenir qu'en faisant et
défaisant les constitutions,
l'Afrique cherche sa voie. Cependant, il semble opportun de
soutenir plutôt qu'elle a trouvé sa voie. Il suffit tout
simplement d'adopter une constitution et d'avoir une pratique
contraire218. Cela se matérialise par un véritable
détournement de pouvoir, généralement soutenu par le fait
majoritaire.
Le détournement de pouvoir en droit constitutionnel
s'apparente plus ou moins à un usage peut-être excessif, sinon
abusif, des compétences conférées par la constitution dans
une perspective opportuniste, c'est-à-dire pour atteindre des objectifs
illégitimes, parfois expressément avoués. Les gouvernants
du nouveau constitutionnalisme africain semblent être champions en la
matière. Le Sénégal en est l'exemple le plus illustratif.
Après avoir passé plus de quarante ans dans l'opposition, en
prônant de toutes ses forces l'alternance au pouvoir, le Président
Abdoulaye WADE surprend le monde entier, non seulement en voulant briguer un
troisième mandat sur le fondement de la non rétroactivité
de la loi constitutionnelle219, mais aussi, en voulant par tous
moyens, se faire succéder par son fils.
217 DU BOIS DE GAUDUSSON, « Constitution... »
op.cit.p.339
218 Pour le Professeur KPODAR, « l'Afrique noire
n'est pas lunatique en matière constitutionnelle, elle a depuis,
trouvé sa voie. Celle de l'adhésion au modèle occidental
qui rapidement laisse place à un modèle africain,
tropicalisé qui s'inscrit aux antipodes de la première, pour ne
pas parler d'une « caramélisation » de cette dernière
». « Prolégomènes à une virée
constitutionnelle en Afrique francophone une approche de théorie
juridique », Mélanges en l'honneur de Dominique BREILLAT,
Paris, LGDJ, p333
219 La notion de rétroactivité est une notion
qui a commencé à alimenter les débats dans les pays
africains. Elle sert de prétexte à un chef d'Etat qui tend
à finir ses mandats pour postuler au mandat suivant, en arguant qu'une
révision qui serait intervenue au cours d'un de ces mandats
antérieurs ne pourrait pas s'appliquer à celui-là.
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Par ailleurs, il peut se traduire par la méconnaissance
pure et simple des mécanismes constitutionnels220. Le Togo
est la preuve la plus plausible de ce scandale. Le feuilleton du 5
février 2005 en dit long221.
Tout ceci permet de conclure que « si
l'ingénierie constitutionnelle occidentale est ferme et
sédentaire, l'alchimie politique africaine est tout aussi immuable
»222.
Les hommes politiques africains n'en sont arrivés
là que parce qu'ils étaient certains d'avoir les grâces du
juge constitutionnel et de l'armée.
2 : Un juge constitutionnel diabolisé et une
armée politisée
Ici, il s'agit de démontrer tout simplement le
rôle important joué par le juge constitutionnel et l'armée
dans le processus de perversion de la pratique constitutionnelle. En effet,
lorsqu'on scrute le coup d'Etat de 2005 au Togo, on se rend à
l'évidence qu'il n'a pu être possible que grâce à
l'armée en amont, et grâce au juge constitutionnel en aval. En
effet, Faure GNASSINGBE n'a pu le réaliser que parce qu'il était
sûr du soutien de l'armée, qui avait constitué une sorte de
bouclier autour de l'héritier à protéger.
La Cour constitutionnelle quant à elle, n'a fait que
montrer ses faiblesses en félicitant le nouveau président pour sa
nomination et en le renvoyant à ses fonctions223. Il s'agit
là tout simplement, de la constitutionnalisation du coup d'Etat,
perpétré quelques jours auparavant. En Guinée, la
dictature de Lassana CONTE n'a pu être possible que parce qu'il
était certain d'avoir le soutien de l'armée. Ce qui justifie
qu'à sa mort, Dadis CAMARA et sa troupe s'emparent du pouvoir et
commettent des atrocités.
Tout ceci atteste qu'il s'agit bien, en Afrique, de la
manifestation de ce que le Professeur Jean BOIS DE GAUDUSSON appellerait
volontiers un Etat de droit à faible densité
démocratique.
220 Pour André Cabanis et Michel Louis Martin la
réautoritarisation est en réalité la manifestation du
ralentissement ou de la perversion de la démocratie, Les
constitutions en Afrique francophone Evolutions récentes, Karthala,
1999, p.
221 En effet à la mort du Général
Gnassingbé Eyadema les militaires ont perpétré un coup de
force qui a consisté à écarter le dauphin constitutionnel
Ouattara Fambaré NATCHABA et de confier l'intérim à Faure
Gnassingbé au mépris des règles constitutionnelles.
222 KPODAR (A.) « Prolégomènes...
»op.cit., p.335.
223 Puisqu'elle a reçu son serment.
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