B : Les lacunes acquises
Déjà fragilisées par le compromis, les
constitutions africaines tombent dans une véritable mésaventure,
qui semble remettre en cause son essence même : la rigidité. Cette
mésaventure s'illustre à travers les révisions qui ont
pour objet de réintroduire dans le texte constitutionnel, des
éléments qui en étaient sortis, au rythme du cri alarmant
du « plus jamais ça ». On aboutit finalement à la
monarchisation des régimes (1) et à la constitutionnalisation de
la violation des droits de l'homme (2).
1 : La monarchisation des régimes
L'un des vices des textes constitutionnels africains est en
réalité la monarchisation des régimes africains. Ce virus
constitutionnel est matérialisé par la reconnaissance d'un «
Jupiter constitutionnel » en la personne du président de la
République, qui accumule tous les pouvoirs ou, dans le meilleur des cas,
qui y a un pouvoir tentaculaire, lui permettant de soumettre à son haut
patronage toutes les autres institutions. C'est du moins, ce que
révèle la révision constitutionnelle de 2002 au Togo. Ce
cadeau du nouvel an, offert par l'Assemblée Nationale au feu
Général, avec au Perchoir Monsieur NATCHABA Ouattara
Fambaré, fait de celui-ci un « hyper président ». Cette
révision, qui avait pour objectif avoué d'accroître les
pouvoirs du peuple, d'assurer une meilleure séparation des pouvoirs et
qui selon les termes du Professeur DEBBASCH213, visait à
mieux assurer la promotion de l'Etat de droit au Togo, faisait du
Président Eyadema, un président à vie. L'on constate
tout
211 DEBBASCH (C.), L'Etat du Togo1967-2004, Jouve,
Paris, 2004, p30
212 BOLLE (S.), « Des constitutions...
»op.cit., p.9
213 DEBBASCH (C.), L'Etat du Togo... op.cit.
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simplement et avec amertume, que « cette
révision crée un régime inqualifiable et inexistant dans
les catégories classiques »214.
Les exemples se multiplient : Gabon, Burkina Faso etc... Mais
ce qui fait le plus mal, c'est la constitutionnalisation des violations des
droits de l'homme.
2 : La constitutionnalisation d'une violation des droits
de l'homme
La constitutionnalisation de la violation des droits de
l'homme s'est fait par l'inclusion dans le texte constitutionnel, de
l'exclusion d'une personne déterminée à la course au
pouvoir. La manoeuvre consiste à écarter d'avance, les
adversaires les plus redoutables. En Côte d'Ivoire, la révision
visait fondamentalement à écarter l'ancien Premier Ministre
Alassane OUATTARA, de la course à la magistrature suprême. Le
Général GUEI, alors Président de la République,
inséra in extrémis dans la constitution, un « virus
», à travers l'article 35 qui prévoyait en effet que les
candidats aux élections présidentielles doivent être
exclusivement de nationalité ivoirienne, né de père et de
mère ivoiriens d'origine. Cette disposition, non seulement portait
atteinte au droit fondamental d'Alassane OUATTARA de présenter sa
candidature, mais créait une véritable discrimination entre les
ivoiriens : une frange d'ivoiriens « présidentiables »,
c'est-à-dire ceux-là qui sont nés de père et de
mère ivoiriens d'origine ; et une autre frange d'ivoiriens « non
présidentiables », c'est-à-dire ceux de père ou de
mère ivoiriens. Les premiers étaient donc plus ivoiriens que les
seconds, ce qui rompt inévitablement le principe d'égalité
des citoyens.
Le Togo a emprunté la même démarche pour
exclure de l'élection présidentielle de 2003, l'éternel
opposant Gilchrist OLYMPIO, en inscrivant dans les conditions
d'éligibilité la clause de « douze mois de résidence
». Seulement par sa rétroactivité, ou du moins, son
application immédiate tronquée215, elle enlevait aux
togolais de la diaspora, qui avaient manqué de revenir au pays six mois
avant la révision, le droit de postuler à la magistrature
suprême, tout ceci avec la complicité du juge
constitutionnel216. Il est donc clair que ces révisions
quoique conformes à la complexité et à la solennité
de la procédure de révision, ont versé les pays africains
dans une situation fatale.
214 KPODAR (A.) « La communauté internationale...
» op.cit., p.42
215 KESSOUGBO (K.), « Le juge constitutionnel...
»op.cit., pp. 66-68 216Idem
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