SECTION II : UN COMPLEMENT A « JURIDICISER
»
On appelle positivité, le caractère d'une norme
adoptée conformément au droit, et qui, de ce fait, acquiert la
valeur de norme juridique et applicable en tant que tel. En
réalité, il s'agit de la matérialisation du positivisme
juridique qui établit qu'une règle ne peut être juridique
en dehors des prescriptions qui la régissent et qui se
concrétisent par la volonté de l'Etat. Perçus sous cet
angle, les accords politiques ne peuvent certainement pas s'appréhender
comme du droit positif. D'où la nécessité d'en faire des
normes juridiques (Paragraphe I), tant les modalités pour se faire sont
multiples (Paragraphe II).
Paragraphe I : Une nécessité ressentie
Les accords politiques sont souvent violés ou tout
simplement renvoyés aux oubliettes. Il n'est pas rare d'entendre dire
que les accords ne lient que leurs signataires ou de façon plus
tranchée, qu'ils n'ont aucune force juridique190. Il devient
donc impérieux de leur doter d'une nature juridique, ce qui les
sécuriserait (A) et les rendrait plus efficaces(B).
A : La sécurisation des accords politiques
Sécuriser les accords reviendrait à les
protéger contre les acteurs politiques (1) et à déterminer
leur position vis-à-vis des autres normes (2).
1 : La protection contre les acteurs
politiques
S'il est vrai que la politique est un domaine où tous
les coups sont permis, il est aussi vrai que c'est un domaine fortement
marqué de courtoisie et de mauvaise
190 C'était d'ailleurs la position de YAO N'DRE
dès la signature de l'accord de Linas Marcoussis. Voir DU BOIS DE
GAUDUSSON (J.), « Accord de Marcoussis... » op.cit.p.44
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foi191. Et ce caractère de la politique se
répercute sur les accords politiques. En effet, il est fréquent
que les accords politiques soient dépouillés de tout effet, aussi
bien en droit interne qu'en droit international192 . Ainsi, ils sont
perçus comme des actes de courtoise comparativement aux gentlemen's
agreement193 en droit international. Les clauses ou
dispositions des accords politiques ne sont que le produit des civilités
que se font les hommes politiques entre eux. Ils les signent par respect, soit
de leur propre personnalité, soit des représentants de tel pays
ou de telle institution.
Ainsi conçu, les accords politiques héritent
d'une véritable fragilité. En effet, à la sortie des
négociations, les hommes politiques se plaisent souvent à renier
en bloc le fruit des négociations, ou à en donner une
interprétation inexacte sinon attentatoire. Cette pratique a valu au
Président GBAGBO, le nom de « boulanger ». Le président
Eyadema GNASSINGBE déplorait cette situation en ces termes : «
la tâche n'était pas facile car vous avez eu l'occasion de le
percevoir. L'opposition n'est pas unie. Un accord accepté par les uns
était aussitôt rejeter par les autres
»194.
Tout compte fait, ce constat de fragilité des accords
politiques vis-à-vis des hommes politiques, aussi bien signataires que
tiers, fait voir en réalité la nécessité de les
enfermer dans un système normatif permettant d'éviter qu'ils
soient, soit violés, soit exécutés de mauvaise foi, se
trouvant ainsi protégés des aléas dont ils sont victimes.
Cela permettrait d'ailleurs de les protéger contre les autres normes.
2 : La protection contre les autres normes
Plusieurs normes régissent au sein de l'Etat, le
phénomène du pouvoir. On pourrait citer au passage les
composantes du bloc de constitutionnalité, les normes communautaires et
internationales195. Dans cette atmosphère aussi garnie de
normes juridiques, de force et de portée différentes, les accords
politiques se retrouvent « orphelins » puisque justement, n'ayant pas
de force juridique. Aussi, n'est-il pas étonnant que les
élections présidentielles de 2010 en Côte d' Ivoire
aient
191 En en parlant justement, Montesquieu écrit : «
la politique est tout ce qu'il y'a de plus opposé à la justice,
c'est une science faite de ruse et d'artifice. Ce qui est écrit n'arrive
pas, et ce qui arrive est imprévu » CARRADO (R.), Montesquieu :
moraliste des lois au bonheur
192 Voir nos développements sur l'internationalisation des
accords politiques.
193 Les gentlemen's agreement désignent en droit
international, des amabilités, et des promesses que se font des leaders
des Etats et qui ne durent que le temps que ses hommes restent en fonction. Ils
sont dépourvus de force juridique.
194 Interview à Paris Match, cité par le par
DEBBASCH (C), L'Etat du Togo op.cit., p. 53
195 A savoir les traités, la coutume internationale, les
actes unilatéraux, les résolutions des nations unies et
autres.
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fait couler autant d'encre et de salive, relativement à
l'applicabilité de la constitution ou de l'accord de Pretoria.
Devant cette situation, le Rwanda a opté pour une
constitutionnalisation pure et simple. En effet, à la sortie du
génocide, ce pays a connu une multitude d'accords et protocoles visant
la consolidation du tissu social profondément lézardé par
les affres de la crise.
Il est donc clair que la constitutionnalisation, ou du moins
la juridisation des accords politiques apporterait une solution adéquate
à ce conflit de normes. L'originalité vient du fait que dans ce
cas, tous les compromis ont été intégrés dans la
loi fondamentale, avec à la clef la détermination de la norme
applicable en cas de conflit. Ce faisant, on protège les accords
politiques des autres normes, ce qui garantirait d'ailleurs leur
effectivité.
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