B : Le maintien du processus démocratique
« Les représentants du pouvoir acceptent de
nombreuses concessions pour ré embrayer le processus
démocratique. Ceux de l'opposition retrouvent la voie de la
participation aux élections, obtiennent des garanties d'un traitement
équitable, les conditions d'un processus électoral pluraliste
sont mises sur pied. » Écrivait le Professeur Charles
DEBBASCH180.
Le processus démocratique en Afrique, contrairement
à ce qui se passe dans les vieilles démocraties, semble
procéder par le partage du pouvoir(1), qui garantit à
défaut d'une alternance politique et démocratique, la circulation
des élites(2).
1 : Le partage du pouvoir
L'un des traits marquants du phénomène des
accords politiques est le partage du pouvoir. Pour Pierre Moukoko Mbojo, la
multiplication des crises politiques, au lendemain des élections
pluralistes et compétitives, semble donner l'impression que la plupart
des partis politiques qui vont aux élections, refusent d'intégrer
la défaite dans leur démarche politique. Aussi, soutient-il que
rares sont les partis qui, après une défaite électorale
acceptent facilement l'idée d'avoir à passer encore quatre ou
cinq années dans l'opposition comme le prescrit la démocratie
normative. Il conclut à la volonté et au désir de la
plupart de ces partis de participer activement au gouvernement. Il bâtit
ainsi la célèbre théorie de la démocratie
consociationnelle181 qui à l'inverse de la démocratie
pluraliste, postule le privilège du consensus au détriment de la
concurrence chère à la théorie de la démocratie
majoritaire182.
Dans le cadre des accords politiques, elle se
matérialise concrètement par la pratique des gouvernements
d'union nationale. Il s'agit du gouvernement de crise, chargé de la
mission de stabiliser l'Etat, dit le Professeur KPODAR. Du point de vue
constitutionnel, on peut soutenir que la caractéristique essentielle
d'un gouvernement d'union nationale qui est de renfermer, dans une large
mesure, les représentants
180 L'Etat du Togo op.cit., p.28
181 « Pluralisme socio politique et démocratie en
Afrique... » op.cit., p.40
182 KPODAR (A.), «la communauté internationale et le
Togo... » op.cit., p.44
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des forces politiques nationales, révèle le
rejet du greffon de l'Etat importé. Mais l'essentiel, c'est qu'il
garantit la circulation des élites, en résolvant du coup, la
crise.
2 : La circulation des élites
S'il est illusoire de penser que les accords politiques
conduisent à l'alternance politique et démocratique, il semble
acquis qu'ils assurent quand même la circulation des
élites183 qui en est, pour ainsi dire, l'avatar. Issu de la
rotation des postes184, « l'alternance postule la
réunion de plusieurs conditions objectives : transparence des
élections, existence d'une opposition structurée et suffisamment
forte pour faire jeu égal avec la majorité en place. Elle
requiert par ailleurs, un consensus minimum entre les forces en
compétition, surtout, sur les institutions ; et enfin une certaine
modération et prudence de la nouvelle majorité dans l'exercice du
pouvoir et sa volonté de réformer »185. Or,
sur ces questions, on constate une déraison aussi bien du
côté de la majorité que du côté de
l'opposition. L'alternance s'analyse donc dans le nouveau constitutionalisme
africain comme un « accident de l'histoire » malgré le fait
qu'elle est juridiquement consacrée186.
Si l'accord de Linas Marcoussis et sa postérité
ont assuré, dans une certaine mesure, une alternance en Côte
d'Ivoire par l'éjection de Laurent Gbagbo du fauteuil
présidentiel, il faut reconnaître qu'il s'agit bien là d'un
cas iconographique. Dans la majorité des cas, on assiste tout simplement
à l'octroi du poste de Premier ministre, s'il en existe et de quelques
portefeuilles ministériels, parfois importants, à l'opposition.
Il en est ainsi au Togo où l'UFC s'en sort, après l'accord
RPT-UFC, avec les portefeuilles des affaires étrangères, de la
communication, de l'enseignement supérieur, longtemps jalousement
conservés par le RPT187. En Côte d'Ivoire, le chef de
la rébellion Guillaume Sorro, obtient par le biais de l'accord de Linas
Marcoussis, le poste de Premier ministre, réinventé à cet
effet188. Il ressort par ailleurs de l'accord RPT-UFC, que des
nominations seront faites conjointement à des postes de grandes
responsabilités189.
183LOADA (A.), « La limitation du nombre de
mandats présidentiel en Afrique francophone »op.cit.,
p.147.
184 Idem
185 QUERMONNE (J-L.) cité par LOADA (A.), « La
limitation... » op.cit.
186 Sur cette question lire KPEDU (Y.) « La
problématique de l'alternance au pouvoir dans le débat
constitutionnel africain » RTSJ, 2011, p.67
187 Sept portefeuilles ont été accordés
à l'UFC. Voir l'annexe de l'accord RPT-UFC
188 Il s'agit bien d'un poste d'hyper Premier ministre comme dans
les régimes parlementaires classiques.
189 Point II de l'accord RPT-UFC
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Il est donc clair, que par l'institution d'un droit
constitutionnel d'exception, les accords politiques s'avèrent être
un complément essentiel pour ne pas dire indispensable. Seulement, leur
efficacité semble s'émousser par le reproche qu'on leur fait
d'être extra juridique. D'où la nécessité de leur
positivité.
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