SECTION II : UN JUGE CONSTITUTIONEL IMPUISSANT
Devant cette humiliation du pouvoir constituant, le juge
constitutionnel, protecteur avéré du temple constitutionnel, se
révèle impuissant. Cette impuissance provient du fait que,
relativement à la révision, le principe de la souveraineté
du pouvoir constituant affaiblit sérieusement son action et le
réduit en un véritable spectateur, même si de temps en
temps, il s'efforce avec une relative réussite, à sortir de son
incompétence. Par ailleurs, il se voit investi de la mission de
régulateur du fonctionnement des institutions qui ne sont qu'en
apparence sous l'égide de la constitution. Il souffre donc d'un
affaiblissement sur le principe (paragraphe I) et d'une véritable mise
à l'écart qui ne dit pas son nom (paragraphe II).
Paragraphe I : Un juge déjà affaibli sur le
principe
Le juge constitutionnel peut-il contrôler la
constitutionnalité d'une loi constitutionnelle surtout lorsqu'elle est
exigée par les accords politiques ? En effet, dans le contexte singulier
du néo-colonialisme libéral constamment menacé de
130 Ou l'assouplissement.
131 Pour Pierre PACTET, la rigidité de la constitution
a disparu avec l'effacement du parlementarisme notabiliaire ou atomiste (chaque
député formant un noyau isolé) et l'apparition de grands
partis politiques.
132 Lire à cet effet ATANGANA (J.L.), « Les
révisions... » op.cit.
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manipulation progressive, il se pose en Afrique la question
fort controversée de la contrôlabilité de la « sans
réserve » ou « sous réserve » du pouvoir de
réviser la constitution133.
Si dans les faits, quelques éléments semblent
conduire à répondre par l'affirmative134, d'autant
plus que ce contrôle s'analyse comme une nécessité (A), la
réalité semble opter pour une impossibilité de
contrôle(B).
A : La prétendue nécessité du
contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles
La nécessité de contrôler la
constitutionalité des lois constitutionnelles dérive
du fait que les constituions africaines semblent consacrer une
supra constitutionnalité(1). Par ailleurs, ce contrôle servirait
de garde-fou contre les dérives des détenteurs du pouvoir(2).
1 : Une nécessité fondée sur le
principe de supra constitutionnalité
La théorie de la supra constitutionnalité est celle
qui postule l'existence d'un
ordre juridique au-dessus de la constitution135.
Si a priori, cette théorie semble se rattacher
au jus naturalisme qui proclame l'existence de normes intemporelles et
immuables, et auxquelles nul ne peut déroger qu'il soit roi ou
constituant ; elle peut aussi avoir un fondement dans le positivisme juridique
d'autant plus que le constituant peut lui-même, inscrire dans la loi
fondamentale un ensemble de règles susceptibles d'aucune révision
et ceci est récurrent dans le nouveau constitutionnalisme africain
d'expression française.
En effet, séduits par l'article 89 alinéa 1 de
la constitution française de 1958, les constituants
béninois136, togolais137
nigérien138, ont épousé à coeur joie
cette tradition, en inscrivant dans le corps même de la constitution, un
ensemble de règles immuables, et donc que le pouvoir constituant
dérivé ne pourrait, sous quelque prétexte que ce soit,
toucher. Il s'agit globalement de la forme républicaine du
133 BOLL(S.), « Le contrôle prétorien de la
révision au Mali et au Tchad : un mirage ? » Revue
béninoise des sciences juridiques et administratives 2006, p.3
134 ibidem
135 Sur ce point lire utilement BRAMI (C), La
hiérarchie des normes en droit constitutionnel français Essai
d'analyse systémique, Thèse de doctorat en droit public
soutenu le 4 décembre 2008 à l'Université de Cergy
Pontoise, p.9
136 Art 154 de la constitution béninoise du 11
décembre 1990
137 Art 144 de la constitution togolaise du 14 octobre 1992
138 Art 134 de la constitution nigérienne du 18 juillet
1999
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gouvernement, la laïcité de l'Etat, la limitation
de nombre de mandats et même l'amnistie accordée aux auteurs de
mutinerie.
Par ailleurs, le juge constitutionnel peut découvrir
lui-même des normes supra constitutionnelles, tel que l'a fait le juge
constitutionnel béninois en ce qui concerne le consensus
national139.
Le contrôle de la constitutionnalité garantirait
alors l'effectivité de cette supra constitutionnalité. Il
pourrait en outre, contenir les émotions des gouvernants qui seraient
atteints du syndrome d'anti constitutionalité.
2 : Une nécessité fondée sur la
mauvaise foi des pouvoirs constituants
Le contrôle de la constitutionnalité des
révisions constitutionnelles semble devoir s'imposer en l'absence de
textes organisant l'intervention du juge constitutionnel dans le processus de
révision à titre contentieux ou même consultatif. Que le
juge décline sa compétence serait catastrophique dans un paysage
étatique ou le législateur constitutionnel ou le
législateur ordinaire peut « errer », commettre un
excès de pouvoir140. Dans cette mesure, seul un
contrôle juridictionnel parait à même d'éviter une
religion liberticide.
Par ailleurs, le droit comparé enseigne que les
juridictions ont affirmé et exercé, à des degrés
divers, un contrôle de la révision, que ce soit en Allemagne, en
Autriche, à Chypre, en Inde, en Italie, en Turquie ou encore dans
certains Etats postcommunistes141. Tout récemment, des
exemples foisonnent, contre toute attente, en Afrique. Il s'agit de la cour
constitutionnelle malienne142, béninoise, du conseil
constitutionnel tchadien143 et nigérien qui se sont reconnus
compétents pour se pencher à titre contentieux ou consultatif sur
la constitutionnalité de la révision constitutionnelle alors
même que les conseils constitutionnels
sénégalais144 et français145
s'étaient proclamés incompétents.
139 DCC 06-074 du 8 juillet 2006 confirmé par DCC 10-049
du 5 avril 2010
140 BOLLE (S.) « Le contrôle prétorien...
» op.cit., p.4
141 Idem
142 Arrêt n°01-128 du 12 décembre 2001.
143 Décision n°001/CC/SG/04 du 11 juin 2004.
144 Décision du 9octobre 1998 sur l'affaire
n°9C/C/98 confirmée par la décision du 18 janvier 2006 sur
l'affaire n°3/C/2005.
145 Décision 2003-469 DC 26 septembre 2003, Rec.,
p.293.
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Quoi de plus normal quand on jette un coup d'oeil panoramique
sur un continent africain, qui avait pourtant fait montre du «
fétichisme » constitutionnel. On constate avec regrets une
véritable inflation de révisions constitutionnelles au point d'en
faire « un chiffon de papier ».
Vestale146 du temple constitutionnel, le juge se
doit d'intervenir. Mais, on s'interroge sur la constitutionnalité d'une
telle intervention.
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