8- NOTRE CHOIX THEORIQUE : MATERIALISME HISTORIQUE
Selon le Matérialisme historique, les conditions
sociales - et fondamentalement la manière dont les gens maintiennent et
renouvellent leur existence, dont ils établissent entre eux un certain
type de relations, parmi lesquelles les rapports de classe sont les plus
importants - déterminent leur conduite sociale et
historique40.
Suivant ce paradigme, le psychisme est certes le produit de
l'activité du cerveau, mais il est déterminé par les
conditions extérieures, c'est-à-dire par le monde réel et
par la façon dont l'individu entre en rapport avec lui. Le
Matérialisme historique est littéralement une conception
matérialiste de l'histoire, inspirée des écrits du
philosophe Karl Marx. Contrairement au philosophe Hégel, les marxistes
considèrent le mouvement de la pensée ou de la conscience comme
un produit du cerveau humain et la personne humaine comme un produit de la
nature,
développée dans et avec son milieu. Les
conditions concrètes de vie de l'individu façonnent son
être biologique, politique, social, psychosocial... Elles commandent
toutes ses stratégies de survie et définissent ou reproduisent
les mêmes modes de vie.
Le Matérialisme se propose de saisir l'homme concret
comme produit de son activité, déterminée par les
conditions économiques : Le mode de production de la vie
matérielle conditionne le processus de vie sociale, politique,
psychologique, intellectuelle... La mise en place de nouveaux modes de
production est l'un des principaux enjeux de la lutte des classes que Marx
identifie à l'histoire de l'humanité. Le Matérialisme
ainsi défini est ce qu'il appelle le Matérialisme historique.
L'action consciente de la classe favorable à un nouveau rapport de
production détermine le changement social en tant que
phénomène durable.
Les classes résultent d'un mécanisme très
général de division du travail, qui s'est développé
en même temps que l'appropriation privée des moyens de
production.
Le Marxisme, selon Lénine, né de trois sources
qui sont la philosophie classique allemande, l'économie politique
anglaise et le socialisme français, n'est réductible à
aucune discipline universitaire existante41. Il repose sur le
principe que, dans la production sociale de leur existence, les gens entrent en
des rapports déterminés qui correspondent à un
degré de développement de leurs forces productives
matérielles. L'ensemble de ces rapports de production,
répétons-le, constitue la base concrète sur quoi
s'élève une superstructure juridique et politique et à
laquelle correspondent des formes de conscience sociale
déterminées. C'est l'être social qui détermine la
conscience. À un certain stade de leur développement, les forces
productives matérielles de la société entrent en
contradiction avec les rapports de production existants. Alors, s'ouvre une
époque de révolution sociale.
Etant donné que notre rapport de recherche concerne les
enfants en service, c'est-à-dire ceux ou celles qui sont placés
à la maison pour travailler'' ( sans
rémunération ) et pour être
41 Cf. Pierre Fougeyrollas, Sciences
sociales et Marxisme, Editions l'harmattan, 1990, paris, p.175
exploités, il serait intéressant de faire le
point sur la théorie marxiste du travail. Ceci nous permet d'explorer le
mode de traitement auquel fait face l'enfant en domesticité dans la
maison de placement.
Selon Marx, le travail est, de prime abord, un acte qui se
passe entre l'homme et la nature.42L'être humain se
réalise grâce à son travail. Ce dernier constitue
l'élément essentiel de la lutte pour la survie dans la nature.
Dans certaines circonstances, l'individu peut être aliéné
tout aussi bien du produit de son travail que de son travail lui-même.
Dans les produits du travail, l'individu devrait trouver une
part de son identité, car le travail serait non seulement de l'avoir,
mais également de l'être. Marx accuse le mode de production
capitaliste d'aliéner les travailleurs. Dans son travail, l'ouvrier ne
s'affirme pas, mais se nie. Plus l'ouvrier produit d'objets, moins il
possède et plus il tombe sous la domination de son produit.
L'organisation sociale du travail comprend deux aspects : les forces
productives et les rapports sociaux de production. Les forces productives sont
constituées de l'ensemble des moyens de production. Le
développement des forces productives est indissociable de
l'évolution de la division du travail et de la forme de la
propriété. Les rapports sociaux sont à la base des grandes
classes sociales qui forment les sociétés humaines. Ce sont des
rapports établis dans le travail entre des individus ayant des
intérêts objectivement contradictoires. Ces rapports
débouchent sur la lutte des classes. Cette dernière est
l'affrontement qui se produit entre deux classes antagoniques lorsque celles-ci
luttent pour leurs intérêts de classe.43
Selon l'analyse marxiste, la classe dominante organise la
société en protégeant du mieux possible ses
privilèges. Pour cela, elle instaure l'instrument politique de sa
domination. Elle est porteuse de l'idéologie dominante. Ces idées
dominantes imprègnent les esprits, et ainsi les exploités ont
souvent une vision du monde allant contre leurs intérêts
réels. « Ce fut Karl Marx qui découvrit le premier la loi
d'après laquelle toutes les luttes historiques, qu'elles soient
42 Cf. Karl Marx, Economie et Philosophie, Tome II, Gallimard,
Paris, 1972, p.727
43 Cf. Marta Harnecker, Les concepts élémentaires
du matérialisme historique, Contradictions Bruxelles ,1974, p184
menées sur le terrain politique, religieux,
philosophique ou dans tout autre domaine idéologique, ne sont en fait
que l'expression plus ou moins nette des luttes des classes sociales
».44 La position de l'individu dans les rapports de production
(travailleur ou exploiteur) est, selon lui, le principal élément
qui permet la définition de la classe sociale. En même temps, Marx
considère que, pour qu'il y ait véritablement une classe, il doit
y avoir une conscience de classe : la conscience d'avoir en commun une place
dans la société. La lutte de classe est fusionnée en des
luttes économique, idéologique et politique... Ces luttes peuvent
être légales ou illégales, pacifiques ou violentes. Il faut
que le terrain soit stratégiquement préparé pour
réaliser les intérêts de classe et que les masses soient
mobilisées. Toute révolution sociale résulte d'un ensemble
de facteurs objectifs et subjectifs. Ceci dit, à la situation
révolutionnaire, admet-on, doit s'ajouter un changement qualitatif.
Revenons à Lénine qui a fait un travail
intéressant sur le capitalisme moderne. Selon lui, ce dernier
établit entre les groupements capitalistes certains rapports
basés sur le partage économique du monde et, parallèlement
et conséquemment, il s'établit entre les groupements politiques,
entre les Etats, des rapports basés sur le partage territorial du monde,
sur la lutte pour les colonies, la « lutte pour les territoires
économiques »45. Les impérialistes, pour
solutionner les problèmes de leurs sociétés,
conquièrent des terres nouvelles afin de trouver de nouveaux
débouchés.
Maintenant, comment parvenir à une
société libre et égalitaire, débarrassée des
rapports de hiérarchie, des États, des frontières et de
toute forme d'aliénation ?
Dans le manifeste du parti communiste, Marx prévoit
deux grandes étapes : le socialisme naîtra du renversement
révolutionnaire de la bourgeoisie par le prolétariat ; le
communisme consacrera la fin des sociétés divisées en
classes en créant une Société sans Etat qui comblera
les
44 Cf. Engels, Préface au 18 brumaire de Louis Bonaparte,
in Marx-Engels, OEuvres choisies, tome 1, p.413
45 Cf. Lénine, l'impérialisme, Stade suprême
du capitalisme, Editions du progrès, Moscou, 1979, p.123
besoins de tous les individus.46 Donc, le
Matérialisme historique est un instrument d'analyse de la
société ou des rapports humains... Ces derniers sont des rapports
déterminés, nécessaires, définis en dehors des
individus et de leur conscience... Ce déterminisme des rapports humains
prend racine dans « les conditions matérielles de la vie ». Le
déterminisme social est donc à base matérielle, à
base économique.47
Ce paradigme nous est très utile dans le cadre de ce
travail de recherche. Il nous permet de cerner le psychisme en rapport avec les
conditions concrètes d'existence. Ceci dit, le Matérialisme
historique exige qu'on prenne en considération la manière dont
les conditions économiques, politiques, psychosociales, culturelles,
idéologiques ... interviennent pour amener un individu ou un groupe
à agir, à penser ou à percevoir de telle ou telle
manière.
46 Cf. Pierre Després & Jean-Luc Guilbert,
L'être humain, conceptions et débats, Ed. CEC Inc., Québec,
1997, p.46
47 Cf. Pierre Bréchon, les grands courants de la
sociologie, presses universitaires de Grenoble,2000, p.27
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