Intégrer la notion de temporalité du
projet
Reprenons les écrits de Thierry Paquot dans son ouvrage
« L'espace public » (2009), dans lequel il développe une
approche sociale, ou sociétale, de cet espace qui fait la ville. Il
considère que le traitement des lieux urbains connaît depuis une
vingtaine d'année une indéniable avancée, tant sur la
qualité des matériaux employés que par la recherche
esthétique et l'attention portée aux habitants. Ainsi il reprend
l'exemple de Barcelone, qui depuis 1992 a entamé un travail de
réorganisation de sa voirie afin de faciliter systématiquement
les déplacements pédestres et la cohabitation entre
véhicules et piétons, avec un mobilier urbain novateur, des
revêtements harmonieux, une signalétique
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redessinée, un éclairage public efficient, etc.
Il considère que depuis cette date, les lieux urbains naissent d'un
travail minutieux, et font l'objet, progressivement, non plus
d'aménagements, mais de ménagements. Cette notion de
ménagement est à nos yeux essentielle dans le travail d'un
urbaniste aujourd'hui, qui ne peut plus se contenter de donner des
réponses franches à chacune des problématiques qui lui
sont posées. C'est ce qui rend le travail de choix d'une équipe
passionnant : chercher, parmi les multiples réponses proposées,
les équipes qui ne proposent pas des solutions à tout, mais qui
admettent, avec une certaine forme de modestie, qu'un projet est par essence
incomplet, en mouvement, fait de petites touches, de retouches,
d'ajustements.
Ainsi on retrouve des intentions qui se traduisent par des
« plan-guide », « scénarios multiples », qui
affirment haut et fort leur incomplétude et leur souplesse, et qui
sonnent juste vis-à-vis de ce que nous ambitionnons. Il a
été dit, dans la note de synthèse fournie avec l'AAPC,
qu'il s'agissait de « mettre en mouvement une véritable
transformation du quartier, en s'appropriant ses contraintes urbaines de
maillage, d'emprise de bâti, de noeuds de transport et d'accès au
fleuve pour en faire ressortir les atouts », et qu' « à
l'image du travail mené sur l'île de Nantes ces dernières
années, le Bas Chantenay doit entrer dans une phase de renouveau, afin
de prolonger la démarche de faire une ville qui se renouvelle en
innovant. » Nous l'abordions donc dans notre présentation des
enjeux, et en effet, le plan-guide élaboré par Alexandre
Chemetoff en 2000 pour piloter la transformation de l'Ile de Nantes pourrait
être un exemple à suivre. Laurent Devisme (2009) dira de cet outil
qu'il est considéré par les élus nantais comme un exemple
achevé d'une démarche d'urbanisme durable. Il explicitera son
propos en affirmant qu'à travers ce plan-guide, et à
l'opposé de l'urbanisme fonctionnel des années 1960, c'est ici
l'existant qui anime le projet, en affirmant des principes forts selon lesquels
il faut chercher à conserver la diversité sans faire table rase
du passé et à assumer et accepter l'héritage du site.
Bruno Fortier parlera de la méthode employée sur
l'Ile de Nantes dans sa note d'intention. Il expliquera « qu'elle est
à nos yeux la bonne mais mérite quelques inflexions : (...) plus
qu'en retenant un unique grand dessin, c'est en imaginant des
scénarios et une construction progressive qu'il faut très
probablement avancer. Il ajoutera vouloir développer une «
succession de projets (...) basée sur des situations
très diverses (...) que le travail à venir sera
peut-être d'ordonner, mais avec pas mal de prudence et en imaginant une
grammaire de projets ».
Pranlas-Descours, lui, abordera cette anticipation du temps
long dans le projet, en proposant un plan-guide dans lequel il considère
la notion de temps comme un « élément de constitution des
espaces ». Il propose de créer en permanence des « lieux
stables », de ne pas investir la totalité du site, mais de
créer des liens de continuité avec les quartiers existants.
C'est, selon lui, une préoccupation qui est liée à
l'observation des temps cycliques de l'urbanisation, parfois lente, et de la
nécessité de construire progressivement dans le projet même
des liens sociaux, tout en intégrant les conditions foncières du
site.
Nicolas Michelin dira lui qu'il défend «
l'idée du plan d'urbanisme ouvert, du plan guide fait sur mesure,
élaboré en fonction du contexte (...). Ce plan n'est pas
figé, mais propose des invariants - les choix déterminants - dans
les domaines de l'infrastructure, du bâti, de la nature et du
sociétal, et sa mise en oeuvre doit pouvoir s'adapter dans le temps
».
Quant à Michel Desvigne, du fait de son profil
paysagiste, il propose là aussi un programme évolutif, mais en
s'appuyant sur le végétal. Il imagine ainsi « un
système d'accompagnement lié à libération du
foncier, et envisageant un paysage à deux vitesses, l'un pérenne,
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dès que (...) des parcelles se libèrent, l'autre
explicitement provisoire, prairies, pépinières, passages,
surfaces minérales accessibles, terrains de jeux ». Il affirme
ainsi proposer, « au lieu d'un plan d'aménagement rigide, une
stratégie d'infiltration, un processus d'occupation évolutive, en
utilisant la fragmentation du territoire pour y glisser jardins et promenades
».
De la même manière, l'équipe de Devillers
et associés, citera Michel Corajoud pour expliciter son approche de la
gestion du temps. Ce dernier, parlant de « l'art de la lenteur »,
dira d'un projet urbain que « les conditions du contexte
métropolitain n'autorisent pas une approche globalisante, figée
dans sa forme et dans le temps. Au contraire, cette configuration doit donner
lieu à l'élaboration d'une stratégie d'urbanisation
souple, basée sur des temporalités longues ». Et il abordera
la prise en compte de l'ensemble des acteurs qui font la ville : « Le
temps long implique l'incertitude, l'ouverture, le dialogue. Les temps du
politique, de l'urbaniste, de l'habitant, des acteurs de l'aménagement
et de l'histoire des villes sont très différents. Mais c'est le
temps qui donne un sens profond à la transformation urbaine, laquelle
soit s'inscrire dans une permanence ».
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