La Cour de Justice de la CEDEAO à l'épreuve de la protection des Droits de l'Homme( Télécharger le fichier original )par Thierno KANE Université Gaston Berger de Saint- Louis Sénégal - Maitrises en sciences juridiques 2012 |
B. L'examen du caractère « sérieux » des requêtes individuellesL'exercice d'un droit de recours individuel est subordonné à la qualité de victime. Seule une personne « victime » d'une violation des droits garantis par les instruments juridiques faisant partie du droit positif des Etats peut exercer un recours individuel. Le demandeur peut être considéré comme une victime dès lors qu'il existe un lien suffisamment direct entre lui et la violation alléguée. A cet égard, pour que le requérant puisse se prétendre victime, il faut qu'il produise des indices raisonnables et convaincants de la probabilité de la réalisation d'une violation en ce qui le concerne personnellement, de « simples suspicions ou conjectures étant insuffisantes à cet égard »36(*). Par conséquent, seule une décision ou une mesure interne lésant concrètement les droits du requérant peut justifier un tel recours. Mais la notion de victime doit dès l'abord être mise en corrélation avec le statut du citoyen. La victime doit être un ressortissant de la Communauté c'est-à-dire « toute personne qui, par la descendance, a la nationalité d'un Etat membre et qui ne jouit pas la nationalité d'un Etat non membre de la communauté »37(*). Dans le contexte de « l'ordre juridique communautaire intégré de la CEDEAO »38(*), le juge se veut pragmatique dans sa démarche en interprétant les dispositions dégagées par le législateur communautaire dans un esprit de plus en plus favorable aux individus. Il en ainsi dans l'affaire Hissein Habré c/ Etat du Sénégal39(*) où la Cour a constaté l'existence d'indices concordant de probabilité de réalisation de nature a violé les droits de l'homme du requérant sur la base des réformes constitutionnelles et législatives entreprises par l'Etat du Sénégal. Si on sait qu'une loi a priori se détermine dans l'abstrait, (C'est un truisme de rappeler qu'une loi se caractérise par la généralité et l'impersonnalité) le cas concret devenant difficile à constater, on peut dire ici que le juge communautaire a fait montre de hardiesse et de témérité. La Cour a interprété de façon autonome la notion de victime de sorte que le recours individuel est largement ouvert. Cet arrêt rappelle à bien des égards l'affaire Marcks où les juges européens ont admis la notion de victime potentielle ou éventuelle. Selon la Cour de Luxembourg, « un individu peut se prétendre victime du seul fait de l'existence d'une législation dont il risque de subir les effets mais indépendamment de toute application effective »40(*). Le requérant individuel doit avoir en outre un intérêt personnel à agir. Cet intérêt à agir est apprécié en fonction de l'incidence de l'acte attaqué. Il faut également que les conséquences du traitement préjudiciable atteignent le requérant à titre particulier. Selon la Cour, la violation d'un droit de l'homme ne s'apprécie pas in abstracto mais in concreto et se constate a posteriori c'est-à-dire lorsqu'elle a déjà eu lieu. Par conséquent seule une décision lésant concrètement les droits de l'individu peut justifier un recours devant la Cour communautaire. Cela s'explique par le fait que la Cour de Justice communautaire n'a pas pour rôle d'examiner les législations des États membres de la Communauté in abstracto, mais plutôt d'assurer la protection des droits des individus lorsque ceux-ci sont victimes de violations de ces droits qui leur sont reconnus, et ce, par l'examen des cas concrets présentés devant elle41(*). Cette condition s'explique à notre avis par le souci de ne pas encombrer la juridiction communautaire par des recours nombreux. Sous ce rapport, il ne faut pas se méprendre ; La Cour de céans demeure certes une vitrine des droits de l'homme mais refuse de devenir une vox populi en transformant les recours en une actiopopularis qui risquerait de froisser la susceptibilité des Etats. Aussi, pour que la requête soit recevable, elle doit être dirigée contre un Etat membre de l'organisation. Le défendeur ne peut donc être qu'un Etat. En effet, seul un Etat membre peut faire l'objet d'une requête devant la Cour. Est donc irrecevable, toute requête dirigée contre un particulier.En quête d'une protection effective des droits de l'homme dans la sous-région ouest africaine, la Cour est devenue une juridiction de proximité. * 36CJ CEDEAO, aff.Hissein Habré c .Etat du Sénégal du 18 novembre 2010 * 37 Est considéré comme citoyen de la communauté d'après le protocole du 29 mai 1982 portant code de citoyenneté de la Communauté : « toute personne qui, par la descendance, a la nationalité d'un Etat membre et qui ne jouit pas la nationalité d'un Etat non membre de la communauté » * 38 CJ CEDEAO, aff. Hon. Dr. UGOGWE C. République fédérale du Nigeria du 7 octobre 2007, para 32 * 39 CJ CEDEAO Hissein Habré c/ République du Sénégal du18 novembre 2010 * 40 Voir F.SUDRE,. Droit international et européen des droits de l'homme, 10 édition PUF, 2006 p. 300 * 41CJ CEDEAO, aff.Hadijatou Mani Koraou c/ Rép. Niger, 27 octobre 2008 |
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