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La Cour de Justice de la CEDEAO à  l'épreuve de la protection des Droits de l'Homme

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par Thierno KANE
Université Gaston Berger de Saint- Louis Sénégal - Maitrises en sciences juridiques  2012
  

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TITRE 1:

L'EFFICACITE DE LA PROTECTION DES DROITS DE L'HOMME PAR LA COUR DE JUSTICE DE LA CEDEAO

La Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) est devenue une communauté des droits de l'homme sans renoncer à l'esprit communautaire initial qui la sous-tendait. Elle s'est inscrite dans un processus d'intégration plus dynamique dont les fonds baptismaux ont été posés par le Protocole Additionnel A/SP.1/01/05 du 19 Janvier 2005 portant amendement du Protocole A/P /17 /91 relatif à la Cour de justice de la Communauté. Ce qui ouvre un droit d'accès direct des justiciables au prétoire du juge communautaire de la CEDEAO. En effet, la nouvelle mission de la Cour de justice de la CEDEAO est de trancher des différends relatifs aux droits de l'homme c'est-à-dire des droits dont les individus sont directement titulaires. Contrairement donc aux Cours de justice de la SADC et de l'EAC qui ont un mandat implicite pour la protection des droits de l'homme, la Cour de justice de la CEDEAO a reçu un mandat clair et explicite en matière de droits de l'homme.

Cette mutation substantielle et qualitative qui a vu une extension matérielle de l'organe judiciaire, ne s'est pas accompagnée d'une « charte » des droits de l'homme spécifique à la Communauté. Dans cette veine en l'absence d'un texte relatif aux droits de l'homme sécrété par la CEDEAO, la Cour de justice communautaire convaincue de l'impérative protection des droits de l'homme travaille avec une panoplie d'instruments juridiques internationaux et régionaux. Ainsi, ce dispositif juridique pertinent et varié garantit un contrôle juridictionnel de qualité (Chapitre 1).

De même au risque d'affadir les bonnes intentions affichées par la CEDEAO, il est nécessaire que l'environnement dans lequel se déploie l'action du juge communautaire soit corrélé à des principes clairs, gage d'une efficience de la protection des droits de l'Homme. A ce niveau aussi, l'autonomie structurelle de la Cour et les voies et moyens mises en oeuvre contribuent à garantir d'une manière efficace les droits de l'Homme. Ces garanties statutaires sont un bond qualitatif pour une protection effective des droits de l'homme (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Un dispositif juridique pertinent et varié pour un contrôle juridictionnel de qualité

La réforme de 2005 même si elle n'a pour but cardinal d'apporter une solution globale et pérenne aux différents problèmes rencontrés par la communauté initie une véritable politique d'intégration avec comme vecteur fondamental la protection des droits de l'homme par un juge communautaire.

Cette réforme audacieuse tend à faire tomber les rideaux de la souveraineté qui plaçaient l'Etat à la pyramide suprême. En effet, l'approfondissement du processus d'intégration dans la sous-région doit être perçu comme une thérapeutique qui tend à résorber tant bien que mal certains maux dont souffrait la communauté à raison d'un inter-étatisme fort reléguant l'individu à la périphérie. Le Droit comme instrument de l'intégration sous-régionale doit désormais permettre d'assainir à des degrés variables l'ordre public communautaire.

D'abord, les textes juridiques à la base de l' action de la Cour constituent une véritable avancée dans la protection des droits de l'homme. En effet, l'arsenal juridique avec lequel travaille la Haute Juridiction communautaire est d'une pertinence indéniable. L'originalité de la réforme de 2005 est indiscutablement liée à la possibilité offerte aux citoyens ouest africains d'accéder directement au prétoire du juge communautaire.

Au-delà de la pertinence de ces instruments juridiques à la base de l'action de la Cour (Section 1), la Cour de Justice de la CEDEAO, en l'absence d'un texte spécifique des droits de l'homme sécrété par la CEDEAO, travaille avec une mosaïque d'instruments juridiques exogène relatifs aux droits de l'homme (Section 1). Ces textes régionaux et universels énoncent des valeurs communes et supérieures aux Etats créant ainsi des obligations objectives qui s'imposent à eux.

Section 1 : La pertinence des instruments juridiques à la base de l'action de la Cour

L'originalité de la réforme introduite en 2005 est indiscutablement liée à la reconnaissance d'un droit de recours individuel aux citoyens de la communauté victimes de violations des droits de l'homme. En effet, à la lecture du protocole élargissant la compétence ratione materiae de la Cour de justice de la CEDEAO, un droit de recours est ainsi ouvert de plein droit aux ressortissants de la communauté se prétendant victimes de violation des droits de l'homme (Paragraphe 1). Clé de voûte de la garantie de l'intégration régionale et du système de protection des droits de l'homme, la Cour se veut proche des justiciables. Elle est à ce titre une institution de proximité (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'aménagement de voies de recours individuels devant la Cour

Le recours individuel est la pierre angulaire du mécanisme de protection des droits de l'homme aménagé par la CEDEAO. Les personnes physiques ont la possibilité de saisir directement la Cour de justice communautaire de la CEDEAO (A). Celle-ci procédera à un examen « sérieux » des requêtes individuelles présentée devant elle (B).

A. La saisine directe de la Cour par les personnes physiques

Avant la réforme introduite par le Protocole de 2005, l'accès des particuliers à la juridiction communautaire était médiat ; la procédure devait être diligentée par l'Etat membre. Ainsi, selon l'article 9.3 du Protocole A/P.1/7/91 un Etat membre peut, au nom de ses ressortissants, diligenter une procédure contre un autre Etat membre ou une institution de la Communauté, relative à l'interprétation et à l'application des dispositions du Traité, en cas d'échec des tentatives de règlements à l'amiable. Dans un souci de se rapprocher davantage des particuliers, les Etats membre de la CEDEAO comptent élargir les compétences de leur organe judicaire commun aux cas de violation de droits humains. Les individus pourront le saisir mais ce sera après épuisement des voies de recours interne.23(*)

Finalement, la révolution viendra du Protocole Additionnel A/SP.1/01/05 du 19 Janvier 2005 portant amendement du Protocole A/P /17 /91 relatif à la Cour de justice de la Communauté qui va concrétiser cet espoir. Ce nouveau texte introduit la dimension droits de l'homme dans le nouveau chef de compétence de la Cour de Justice de la CEDEAO. Désormais les particuliers ont la possibilité d'intenter des recours pour demander la cessation de violations de l'homme ou le redressement de leurs droits.

Cette réforme fait désormais disparaitre l'écran étatique et met fin à la jurisprudence Afolabi24(*). Elle confère indiscutablement la qualité de droit des gens à l'individu25(*). (Celui-ci demeure néanmoins toujours un sujet mineur ou dérivé de droit international).

A défaut de mécanismes garantissant une application effective du respect des droits de l'homme qui d'abord doit se concrétiser par l'accès au prétoire de la juridiction par le justiciable, tout droit proclamé parait dénué de sens. La condition d'effectivité est liée principalement sur un recours de droit individuel qui ne décime pas le justiciable dans un labyrinthe de procédure et qui se traduit par la suppression de certaines futilités. Sous ce rapport, la CEDEAO a déployé un véritable Plan Marshall.

La Cour, en vertu de l'article 9 (4) et 10 (d) du protocole a compétence pour se prononcer sur des cas de violation de droits humains à condition que la demande ne soit pas anonyme et que l'affaire ne soit pas pendante devant une autre juridiction internationale.

La première exigence consacrée aussi par d'autres juridictions26(*) va de soi ne serait-ce que pour des raisons de crédibilité de l'institution et aussi pour éviter divers abus. Pour que la requête soit donc recevable, elle doit spécifier le nom et l'adresse du demandeur, la désignation de la partie contre laquelle la demande est effectuée, le sujet des poursuites et un résumé des allégations en droit sur lesquelles la demande est fondée etc.27(*)

Selon la deuxième exigence, la saisine d'une autre instance juridictionnelle à caractère international rend irrecevable la requête individuelle devant la Cour. Cette condition est prévue dans tous les mécanismes internationaux d'enquête ou de règlement28(*). Cette règle ne se limite pas seulement au principe de non bis in idem mais englobe également le cas de litispendance. Elle a été expressément posée pour « exclure le cumul de procédures internationales »29(*). Elle repose sur un souci d'éviter une contrariété de jurisprudence. En effet en dépit de la prolifération des juridictions internationales, il n'existe aucune hiérarchie entre elles comme dans les systèmes judiciaires internes des Etats. Aucune d'entre elle n'est compétente pour réviser la décision d'une autre instance internationale30(*).

Mais c'est surtout, plus spécifiquement au niveau de règles procédurales que la Cour de justice de la CEDEAO se singularise. En effet, le système de protection communautaire ne s'inscrit pas dans la lignée des procédures suivies par les autres juridictions régionales. L'innovation est audacieuse et précieuse et se distingue du dispositif institué par l'Europe, pionnière de la protection régionale des droits de l'homme et de l'Amérique avec la Cour de Jan José, la « petite soeur » de la Cour européenne. Ni commission de filtrage des requêtes individuelles, ni exigence de l'épuisement de voies de recours internes à l'image de ses ainés31(*), le système de protection des droits de l'homme apparait comme efficient. Le requérant est donc dispensé de prouver avoir utilisé dans son pays d'origine les recours internes, considérés comme un handicap, une règle contraignante pour les individus désireux de saisir les juridictions internationale. Sur ce point la CEDEAO a osé en dérogeant au traditionnel principe de l'épuisement de voies de recours interne.

La célérité de la procédure est une rampe de lancement et non une pierre d'achoppement pour une garantie effective des droits du citoyen ouest africain. Le labyrinthe procédural pour l'accès à la justice est désormais résorbé par cette technique. Ce qui sans doute explique l'afflux croissant des requêtes auxquelles la Cour fait face depuis 2005.

La CJ CEDEAO, dans l'affaire « Dame Hadijatou Mani Koraou c/ la République du Niger »32(*)tout en reconnaissant le caractère subsidiaire de sa juridiction n'a pas suivi la partie défenderesse  qui estimait que « la saisine de la juridiction communautaire est subordonnée à l'épuisement des voies de recours internes »33(*). La Cour estima à bon droit que la protection des droits de l'homme par des mécanismes internationaux tout en demeurant subsidiaire peut s'accommoder avec une interprétation très souple de la règle de l'épuisement des voies de recours internes. C'est même la position de la Cour Européenne des Droits de L'Homme dans l'affaire Wilde, Ooms et Versyp c/ la Belgique du 18 juin 1971 lorsqu'elle déclare « conformément à l'évolution de la pratique internationale, les Etats peuvent bien renoncer au bénéfice de la règle de l'épuisement des voies de recours internes »34(*). Il s'agit là d'une jurisprudence constante de la Cour de justice de la CEDEAO. Les particuliers n'ont pas besoin d'épuiser les recours internes pour pouvoir accéder au prétoire du juge communautaire.

(Curieusement à la lecture de certaines décisions de la Cour communautaire, il est singulier de constater que les Etats incriminés de violations de droits humains se défendent souvent en affirmant que les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours internes35(*)).

En accordance avec sa jurisprudence de principe, la CJ CEDEAO n'exige toujours pas l'épuisement de voies de recours interne. Ce qui risquerait évidemment d'obérer la protection des droits de l'homme.

Il ressort de de cette analyse que le mécanisme de protection institué par la CEDEAO pour préserver les droits de l'homme des citoyens ouest africains est à bien des égards révolutionnaire. Celui-ci tient principalement à la simplicité, à la lisibilité de l'édifice institutionnel. Saisi d'un litige relatif à une violation des droits humains, le juge procède à un examen du caractère « sérieux » de la requête

* 23Le Protocole A/SP.1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité,Voir l'art. 39 :« Le Protocole A/P.1/7/91, adopté, à Abuja le 6 juillet 1991, et relatif à laCour de Justice de la Communauté, sera modifié aux fins de l'extensionde la compétence de la Cour, entre autres aux violations des droits de l'Homme après épuisement, sans succès, des recours internes. » Pour une lecture détaillée de ce protocole, lire I.M.FALL et A.SALL « Une constitution régionale pour l'espace CEDEAO : Le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance » in http// : www.laconstitution-en-afrique.com(consulté le 20 janvier 2012)

* 24Mr AFOLABI OLAJIDE c/ la République Fédérale du Nigeria du 27 avril 2004. C'est le premier arrêt rendu par la Cour de justice de la CEDEAO qui sera rejeté en l'absence de saisine directe de la Cour par les particuliers selon l'article 9.3 du Protocole de 1991

* 25Nous avons retenu cette notion pour rendre « le droit communautaire à ses origines internationalistes » pour dire que le succès de bon aloi du droit communautaire de quelque aspect fut-il en la matière est intrinsèquement lié au droit international.

* 26 Art.35 para.1 de la CEDH

* 27Pour connaitre tout le formalisme. V .http://www.claiminghumanrights.org/ecowas

* 28 Art. 35.2.b de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales ; Art. 56.7 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme ; Art.46.c de la Convention Américaine des Droits de l'Homme et des Peuples ; Art. 5.2.a) du Premier Protocole facultatif relatif au Pacte international relatifs aux droits civils et politique

* 29 COHEN-JONATHAN in « La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de libertés fondamentales », Economica, Paris 1989, P.143

* 30 La CJCEDEAO a déjà eu à se prononcer sur cette condition par sa décision en date du 14 mai 2010Hissein Habré c. Etat du Sénégal. Elle a affirmé que l'UA n'est pas une Cour de justice internationale au sens de la loi, et par conséquent, son rôle n'est pas d'administrer la justice ou de dire le droit. Ensuite, cette affaire étant déjà sous examen devant le comité des Nations unies contre la Torture, la Haute juridiction communautaire aborde la condition posée par l'article en posant que ce Comité n'est pas non plus une juridiction. Son rôle se limite à la surveillance de la mise en oeuvre par les Etats signataires, des dispositions issues de la Convention contre la torture. En tant que tel, il est un simple organe d'alerte dont les « recommandations » et autres « injonctions » restent dénuées de toute force exécutoire

* 31 Article 35 1.de la CEDH : La Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.

* 32 CJ CEDEAO Dame Hadijatou Mani Koraou c/ République du Niger du 27 octobre 2008

* 33V. page 36 de cette présente étude

* 34Cit. par le juge de la CEDEAO dans l'arrêt, Dame Hadjijatou Mani Koraou c/ la République du Niger

* 35 Les langues de certains Etats membres de l'organisation s'étaient déliées pour exiger l'épuisement préalable des voies de recours internes avant la saisine de la Cour et la soumission des décisions de celle-ci à une procédure d'appel (une demande avait été introduite par la Gambie au niveau des instances communautaires). La riposte n'avait pas tardé puisque des organisations non gouvernementales et des citoyens ouest africains avaient saisi la Cour en 2009 aux fins de déclarer illégales et contraires aux principes de la CEDEAO les demandes introduites par la Gambie

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