La Cour de Justice de la CEDEAO à l'épreuve de la protection des Droits de l'Homme( Télécharger le fichier original )par Thierno KANE Université Gaston Berger de Saint- Louis Sénégal - Maitrises en sciences juridiques 2012 |
Section 2 : les garanties fonctionnelles de la Cour de justiceCes garanties fonctionnelles se manifestent au niveau des rapports entre la Cour et l'ordre communautaire (paragraphe 1) et la reconnaissance de l'autorité des décisions de la Cour (paragraphe 2). Paragraphe 1 : Les rapports de la Cour avec l'ordre communautairePour permettre à la Cour de justice communautaire de remplir efficacement sa mission, elle bénéficie d'une autonomie à l'égard des institutions communautaires (A) mais également des Etats membres (B). A. L'autonomie structurelle de la Cour vis à vis des institutions communautairesEst-il besoin de rappeler les liens très ténus entre la Cour de justice communautaire et l'organisation sous-régionale ? Point n'est besoin ici d'insister sur cet aspect car le lien qui l'unit à l'organisation de rattachement est indéfectible, c'est évident. Le cordon ombilical entre la Cour et l'organisation qui a été à l'origine de sa naissance n'est pas coupé une fois celle-ci réalisée. Le fonctionnement effectif des juridictions régionales, leur succès dans une large mesure comme éventuelles évolutions, est entièrement conditionné par les contraintes propres de l'organisation-mère. Etcomme le fait remarquer magistralement le professeur Larson « dépendance n'est pas allégeance. Le cordon juridique entre les juridictions et leurs organisations est de nature organique, non hiérarchique »81(*)Le fait est que la reconnaissance explicite d'un lien de dépendance ne signifie pas nécessairement subordination ou asservissement. Le lien de dépendance reconnu n'empêche pas l'émancipation possible du juge et de la juridiction. La Cour de justice de la CEDEAO est l'organe judiciaire principal de cette communauté créée par le protocole A.P1.7.91 du 6 juillet 1991 et confirmée par l'article 15 du traité révisé du 24 juillet 1993. Elle n'est pas une instance reléguée à la périphérie de l'organisation. Elle est placée à la cinquième position dans la pyramide institutionnelle de l'organisation sous-régionale. Selon la hiérarchie, la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement vient en première position, en deuxième position le Conseil des Ministres, respectivement en troisième et quatrième position le Parlement et le Conseil Economique et Social. A l'égard de toutes ces institutions communautaires, la Cour de justice bénéficie d'une autonomie et l'article 15 (3) du traité le confirme en ces termes « dans l'exercice de ses fonctions, la Cour de justice est indépendante....des Institutions de la Communauté ». Erigée en « institution » la CJ CEDEAO est à l'instar des organes de type exécutif ou de type parlementaire garante de la réussite de l'intégration. Pour ne pas ainsi apparaitre comme une juridiction timorée, fébrile, cette insertion dans le maillage institutionnel permet ainsi aux juges d'Abuja de ne subir aucun diktat du pouvoir politique. Les desseins sont ambitieux et se manifestent également dans le fonctionnement et l'organisation de la cour. Ceux-ci, une fois nommés, disposent d'un nombre certain de procédures dont ils pourront tirer profit au maximum afin de mener la politique judiciaire de leur choix. Parmi celles-ci, le pouvoir d'auto-organisation de la Cour est essentiel. Si les juridictions sont indépendantes pour élaborer et amender à leur guise leur règlement intérieur, elles pourront se passer, pendant un temps, de l'accord des Etats pour provoquer des changements dont la raison d'être est exclusivement judiciaire. Il s'agit donc là d'une marge de manoeuvre procédurale liée à l'autonomie structurelle de la Cour. Toutefois, il ne faut pas se lasser de rappeler qu'excepté le « pré-carré » juridictionnel qui se manifeste dans la maîtrise du Règlement intérieur, il apparaît clairement que la décision d'opérer des réformes d'envergure, comme leur mise en oeuvre, relèvent in fine des instances politiques au sein desquelles les Etats sont maîtres. Ce caractère indépendant de la Cour a été rappelé dans l'affaire Etim Moses Essien c. la République de Gambie et l'université de Gambie. En l'espèce, les deux défenderesses ont dans une curieuse démarche demandé au Président de la Commission de la CEDEAO d'intervenir en leur faveur pour pouvoir interjeter appel de la première décision rendue par la Cour communautaire. Si on sait qu'une telle voie est impossible en l'état actuel de notre droit communautaire, on peut penser que cette initiative vise à soumette l'autorité judiciaire aux ordres de l'autorité politique. Malgré cette complainte, la Cour de céans n'a pas fléchi et est restée fidèle à sa démarche pragmatique consistant à dire le droit sans pour autant froisser la susceptibilité de l'Etat. Cette situation s'explique sans doute par la montée en puissance du juge de la CEDEAO surtout dans sa mission de protection des droits humains. En effet si la justice ne joue pas de rôle significatif, on se préoccupe peu de l'influencer mais si, en revanche, elle s'émancipe et prend de l'importance on cherche beaucoup plus à la juguler. Donc cette réaction de la République de Gambie traduit la montée en puissance des juges d'Abuja dans leur rôle de protection des droits de l'homme. C'est ce sentiment de crainte selon, R. Badinter qu' « éprouve tout pouvoir politique face à une justice qui puisse lui être durablement hostile et qui peut conduire ce même pouvoir à tenter d'avoir des juges dociles »82(*). Eu égard à ces considérations, la consécration de l'indépendance de la Cour à l'égard également des Etats membres se justifie pleinement. * 81L.B.LARSEN, « le fait régional dans la juridictionnalisation du droit international » in la juridictionnalisation du Droit International, Colloque de Lille de la SFDI (2002), Paris, Pedone, , pp.203-264. * 82 R. Badinter, « Une si longue défiance », Pouvoirs, Les Juges, n° 74, 1995, p. 9 |
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