Conclusion partielle
Pour clore cette brève analyse des contes de notre
corpus, nous pouvons affirmer avoir répondu à la question :
Est-ce que le conte Lokpa éduque et comment éduque t-il ? Les
contes du corpus, qui constituent une goute d'eau jetée en haute mer
(tant les contes Lokpa sont innombrables) traitent de sujets encore en vigueur
dans nos sociétés. La cohésion sociale qui porte aussi en
elle d'autre dimensions (solidarité, fraternité, respect des
libertés d'autrui ...), l'injustice qui appelle automatiquement la
justice, le respect des anciens qui est le gage d'une société
dotée de repères, la satire de la paresse qui invite à
l'amour du travail qui assure l'indépendance, le respect du choix des
enfants qui représente un idéal société donnant aux
enfants les moyens de leur développement personnel, Dieu sans qui rien
n'est possible selon la philosophie lokpa, mais qui à lui seul ne peut
pas grand-chose pour l'homme qui devrait l'aider à l'aider,
l'ingratitude qui est un venin nuisible enterrée dans les entrailles de
l'humain et dont il faut se méfier, constituent un tout petit
échantillon des thèmes contenus dans les contes lokpa.
L'étude a montré qu'il ne faut pas chercher dans les conclusions
ou les leçons tirées à la fin des contes, la quintessence
du message. Elle, cette quintessence, réside dans chaque mot, chaque
phrase, le style, les personnages et la forme du conte. C'est dans l'ensemble
"conte" qu'il faut chercher la philosophie ou l'idéologie du conte. Il
est vrai que certains contes Lokpa ressemblent de près par leur
structure, et aussi par les thèmes abordés à ceux
étudiés par Propp. Mais si Propp affirme que les contes sont trop
simples, avec une succession évidente, ordonnée et presque fixe
des actions, les contes lokpa, quant à eux, jouent avec cette
construction simpliste de Propp. Ne permettant jamais à l'auditoire de
prévoir la fin. Alors on le verra, l'ingratitude devient la
récompense à un service rendu. Ce qui selon la succession logique
des fonctions de Propp est contradictoire où tout simplement inexistant.
Propp ne prévoit pas que le héros trahit le donateur. Le
conteur Lokpa joue avec cette fonction. L'auxiliaire magique, une fois obtenu,
le héros trahit ou tue le donateur ou adjuvant selon Greimas.
Ce sont ces types de contradictions qu'utilise le conte lokpa. Ces
contradictions choquent et amènent à réfléchir. De
cette réflexion naît la prise de conscience recherchée par
le conteur.
CONCLUSION
L'éducation à travers le conte est non seulement
possible, mais réelle. Le travail que nous venons d'achever nous le
montre à plus d'un titre. Le conte non seulement éduque par la
teneur des sujets qu'il traite, par la façon dont il les traite, mais
aussi sa performance est une école de l'apprentissage de l'art de la
parole. Le conte Lokpa aborde des sujets actuels. Il met en scène certes
des personnages fictifs, mais cela n'empêche pas l'auditoire de se
reconnaître à travers ses personnages ou de s'identifier à
eux. Le conteur donne alors l'occasion à l'auditoire, à chaque
conte, de vivre l'expérience des personnages, de se poser des questions
et de savoir la démarche à suivre. Il serait passé
à côté du sens des contes que de juste les
considérer comme des histoires à dormir-debout, des histoires qui
servent juste au divertissement. L'étude des différents contes a
montré que sous une histoire banale se cache une philosophie, une
idéologie ou encore un enseignement. La banalité des contes n'est
qu'artifice. Le divertissement sert de couverture à la didactique.
Le conte est le foyer de la philosophie Lokpa. De la
veillée des contes en passant par leur énonciation, pour arriver
à leur contenu, les contes jouent plusieurs rôles dans la
société Lokpa en matière d'édification de l'homme.
La veillée a un rôle social, en ce qu'elle permet de mettre en
contact une communauté. Elle édifie car elle est le
véhicule de l'échange des idées. L'énonciation du
conte est le lieu de l'apprentissage de la prise de parole et de l'art de
parler en public. Le conte, à travers les thèmes qu'il aborde,
donne à penser. Et parce qu'il donne à penser, il édifie,
forme, fait découvrir les courants de pensées de la
communauté.
Le conte permet également une bonne connaissance et une
meilleure conservation des valeurs culturelles du peuple Lokpa. En
étudiant le conte, l'on découvre les rites, les us et coutumes
des peuples tels qu'ils étaient, il y a des années et ce qu'ils
sont devenus aujourd'hui. Malheureusement, ce mémoire a
été l'occasion pour nous, de constater que le conte se meurt et
emporte ou risque d'emporter avec lui tout son trésor.
L'évolution des technologies dans le monde des multimédias a eu
de répercussions assez graves sur la culture Lokpa et sur presque toute
l'Afrique noire. C'est ce que montre le triste constat fait par Mbathio
Sall149 : « Ainsi l'enfant africain, devra se contenter de
ce qu'une grand-mère, s'il a la chance de l'avoir dans la maison
familiale, pourra bien lui raconter, entre deux leçons apprises. Encore
que la majorité des enfants, une fois les leçons apprises et les
devoirs faits après l'école, préfèrent
regarder la télévision ou jouer avec les
voisins. » Le conte disparait ainsi à petits coups et il urge
de trouver des alternatives pour sa préservation. Celles-ci garantiront
aussi la survie de la culture Lokpa. Des initiatives existent
déjà. Les contes sont dits à la radio et il y a aussi un
festival du conte africain, en témoigne celui qui s'est tenu au Benin le
14 Avril 2011. Mais ces initiatives ne suffisent pas encore pour redonner au
conte toute la mesure de l'attention qu'il mérite. Il faut faire
plus.
Il faudrait donc avant tout une volonté politique des
gouvernants visant à encourager la recherche dans le domaine de nos
cultures. Ces recherches devront visiter et revisiter nos contes, chants,
danses, proverbes, devinettes, rites et rituelles, dans le but de mieux les
faire connaître, de mieux les comprendre et de mieux les conserver. Il
faudra cesser d'opposer tradition et modernité comme deux mondes qu'on
ne pourrait jamais concilier. Pour cela il faudra utiliser la modernité
pour rendre visible la tradition. En clair, on pourrait recueillir nos contes,
chants, proverbes et autres sur des supports audio et visuels (CD, VCD, DVD,
etc.) en vue de leur meilleure conservation. On pourrait également
transcrire ces contes pour avoir des livres accessibles à tous et
surtout les intégrer aux programmes scolaires. Le pouvoir central
(l'Etat) et les pouvoirs décentralisés (les communes) devraient
initier ou encourager ces initiatives en vue de garantir la promotion de nos
cultures. Il faut également que l'on prenne surtout conscience de ce que
cette culture constitue notre « patrimoine
immatériel150 » et qu'à ce titre nous
gagnons gros en posant chacun une pierre pour sa conservation. C'est le lieu de
recommander également l'organisation des concours de récitation
et d'interprétation des contes dans les écoles et
également aux seins des populations. Cela passe également par la
promotion des langues nationales, langues dans lesquelles est produite la
littérature orale.
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