2.4.6 Dieu dans les contes et dans la société
Lokpa
Dieu intervient beaucoup dans le quotidien des Lokpa. Le
peuple Lokpa, à l'instar des autres peuples africains, est un peuple
croyant. Le conte n°9 nous a montré sa ressemblance avec les
Ecritures Saintes selon lesquelles, c'est Dieu qui aurait créé
les hommes, la terre, le ciel, tous les êtres vivants, bref l'univers et
tout ce qu'il abrite. Le conte n°9 reprend cette version de la
création sans trop rien changer. Cela est la preuve que le peuple Lokpa
est croyant. Il contient également des mots qui constituent des louanges
à Dieu. Le conteur dit "
kàwúlà?àt?",
littéralement "Celui qui a la royauté". Cette expression montre
toute la considération du conteur pour Dieu. Son utilisation montre que
l'auditoire partage également cette croyance, sinon comment pouvait-il
savoir que c'est de Dieu que parle le conteur ? La pensée de Dieu
gouverne alors les Lokpa. Dans le même syntagme133, le mot
"k?côôwô" signifie "cadeau,
présent, largesse, générosité". Le mot rappelle la
bonté de Dieu et en même temps la reconnaissance des hommes
à Dieu pour ses bienfaits. Et plus loin, le conteur dit : «
?n? ?
tíík???nà t? ».
Ce syntagme nous l'avons traduit par « C'est lui qui nous
guide. » Ce qu'il faut dire, c'est que le mot
"tíík???nà" vient du verbe à l'infinitif
"tíík???" qui signifie le "fait de guider un troupeau d'animaux".
Dieu serait ainsi le berger et les hommes, le troupeau. C'est une phrase qui
rappelle une autre : « L'Eternel est mon berger : je ne manquerai de
rien.134 » Il s'applique rarement aux hommes. Son
utilisation témoigne peut-être de l'omniscience et de
l'omnipotence de Dieu reconnues par le peuple Lokpa. Dieu, dans ce conte, est
un sage. Un sage qui grâce à sa sagesse guide les hommes.
133 Conte n°9, syntagme 3
134 Extrait du Psaumes 23
La lecture du conte n°5 nous permet de renforcer cette
idée, c'est-à-dire le statut de Dieu dans la
société Lokpa. Dans ce conte le ciel (?so)135 est
utilisé comme personnage en opposition à la terre
(àt?)136. Le ciel se montre prévenant mais la terre se
montre gloutonne dans la conservation de son oeuf. Le conte prend l'allure d'un
mythe qui essaye d'expliquer comment la terre en est arrivée à
manger les humains. Mais au-delà de cette simple explication, le conteur
nous amène à découvrir la sagesse du ciel (syntagmes 35
à 38) en opposition à la gloutonnerie de la terre (syntagmes 25
à 34). Le conteur pour renchérir et montrer que la terre est
idiote, il utilise une onomatopée (h?h?m137) au lieu d'un
verbe pour décrire l'action de manger. Cette onomatopée, du point
de vue signifiant, constitué de lettres au son bas (h-?-h-?-
m) ou de celui du signifié "action de manger sans trop
réfléchir", est satirique. Elle montre jusqu'à quel point
la terre est sotte, contrairement au ciel qui s'est montré intelligent,
sage, et patient.
Le ciel (Dieu), aussi dans ce conte, est décrit comme
puissant, omnipotent. Il montre d'ailleurs ses forces en faisant monter la
terre à lui ; ce que la terre à elle seule est incapable de
réaliser (syntagmes 41 à 51). La terre appelle aussi le ciel
« père », mot qui amène à penser que le ciel est
le géniteur de la terre. En plus d'être puissant, le ciel est bon.
Il donne à la terre l'Homme, c'est-à-dire la femme que son oeuf a
éclos, pour que celle-ci fasse à la terre boissons et
nourritures. Le conteur nous apprend également que « Ce
jour-là, le ciel remit à la terre sorgo, haricots, riz,
etc.138 », que nous cultivons encore aujourd'hui.
Dieu et son rôle dans la société
reviennent ainsi dans les contes Lokpa. Il hante la pensée du peuple, et
impose respect et adoration pour tous. Le conte, sacré genre profane,
n'échappe pas à l'emprise de Dieu, aux croyances du peuple qui le
produit. Dieu apparaît alors clairement sous son statut d'être
invisible, mais puissant, à qui la société doit non
seulement ses joies, mais également ses peines. La preuve, lorsqu'une
personne meurt, ne dit-on pas : « c'est Dieu qui donne et aussi lui qui
reprend ? » Pourtant, l'enseignement dans le conte n°9 a
montré que Dieu vient en aide à ceux qui la méritent. Dieu
ne fait rien à notre place. Il nous aide plutôt à accomplir
les oeuvres que nous engageons. Il nous épaule, mais jamais ne fait rien
à notre place. Il nous encourage à l'endurance.
135 Il faut aussi signaler que le substantif ?so qui
désigne le ciel ou en haut, est également employé pour
désigner Dieu.
136 Ce mot signifie "par terre, à terre, en bas". Nous
l'avons traduit terre dans le corpus par opposition à ciel.
137 Onomatopée qui remplace ici le verbe "manger ". Elle
est satirique dans cette phrase.
138 Conte n°5, syntagme 78
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