2.2.4 Pour qui raconte-t-on le conte ?
Cette question, certains ont cru l'avoir tranchée en
répondant très simplement : aux enfants ! Nous ne voulons pas ici
dire qu'ils ont eu tort. Nous ne leur donnons pas non plus raison.
Traditionnellement et théoriquement, les enfants, sont la cible des
contes et des conteurs. Car s'il y a quelqu'un à éduquer, c'est
bien l'enfant. A ce sujet, Platon nous apprend dans son Livre II de la
République, en rapportant son maître Socrate, «
Tu n'ignores pas non plus que tout dépend des commencements, surtout
à l'égard des enfants ; parce qu'à cet âge,
l'âme est encore tendre et reçoit aisément toutes les
impressions qu'on veut lui donneri84 Le maître de Platon
met ainsi l'accent sur l'enfant qu'on pourrait plus aisément
éduquer, c'est-à-dire que l'enfant est plus apte à
recevoir les enseignements que l'adulte. Mais attention, il ne dit pas que seul
l'enfant pourrait être éduqué ! On le lui en aurait voulu
car ceci ne serait pas vrai. L'adverbe surtout dédouane le
philosophe. Cet adverbe nous montre qu'autant le conte s'adresse à
l'enfant, autant il est utile à l'adulte pour son édification.
Quand l'on participe une fois à une séance de contes Lokpa,
l'évidence que le conte est destiné aux seuls enfants
s'éclipse ou disparaît très vite. Les thèmes
traités et la façon dont ces thèmes sont traités
par les conteurs nous montrent que les contes s'adressent aussi bien aux
enfants qu'aux adultes. Chacun, enfants ou adultes, filles ou garçons,
hommes ou femmes, y trouve son compte, s'identifie et s'édifie par la
même occasion. Le conte, se voulant explicitement ou implicitement,
représentatif de la vraie société des hommes, embrasse
plusieurs sujets, plusieurs points de vue du monde, plusieurs courants de
pensées, un peu comme dans la vraie
84Platon, L'etat, ou, La République, traduction
de Jean Nicolas Grou, Livre II pp 84-85
vie. Les personnages eux mêmes allégoriques
renvoient aux êtres humains. Le lièvre, dans le conte n°1 du
corpus, partage la viande et veut tout avoir sans rien donner aux tortues
pourtant propriétaire du boeuf dont il partage la viande. Cette attitude
témoigne de la cupidité de certaines personnes qui, dans la vie
réelle, veulent tout garder pour elles et rien pour les autres. La
résistance, le refus des tortues dans ce même conte illustre du
combat quotidien mené par certains contre l'injustice. Bien sûr le
conte donne lieu à plusieurs interprétations et par
conséquent, est polysémique. Ceci fait de lui, le conte bien
entendu, une arme redoutable d'éducation, de partage des
idées.
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