2.2 La performance du conte chez les Lokpa
L'énonciation du conte chez les Lokpa, comme dans la
plupart des sociétés où le conte vit encore, respecte
un certain nombre de règles. Quelles sont les règles qui
régissent la performance du conte ? Autrement, où et quand
dit- on les contes ? Qui dit les contes ? Pour
79 Ursula BAUMGARDT, « La performance », In
Littératures orales africaines : Perspectives théoriques et
méthodologiques, p.52.
80 Ursula Baumgardt nous apprend que «
dans l'analyse des « arts vivants », le terme de performance,
généralement associé à l'idée de «
rendement, résultat, exploit », est utilisé plutôt
dans le sens de l'anciens français parformer, « accomplir,
exécuter » pour rendre compte de l'interprétation, de la
réalisation, ou de mise en scène, comme en témoignent les
très nombreuses publications dans le domaine de la musique, de la danse,
du théâtre, ou de la description des rituels. »
81 Lilyan KESTELOOT, Contes, fables et
récits du Sénégal, p.13.
qui dit- on les contes ? Comment se déroule
l'énonciation d'un conte ? Et enfin, pourquoi diton les contes ?
2.2.1 Où dit-on le conte ?
Le conte peut être dit partout. Il peut être
conté par deux ou un groupe de plusieurs personnes.
Généralement, l'énonciation du conte se fait en famille,
en groupe d'amis ou tout simplement sur la place du village. Dans un souci
d'échange des idées ou de simple divertissement, les
séances de contes se tiennent en réalité partout où
il y a au moins deux personnes. Il faut noter que les veillées de contes
sont plus intéressantes quand il y a plusieurs personnes. L'ambiance y
est meilleure et dans ces conditions la place compte peu. Parfois, la place
joue un rôle capital dans la motivation du conteur. Lorsque, par exemple,
la séance de conte est dite sur la place publique, où on retrouve
presque toutes les couches de la société, issues de familles
différentes et de croyances toutes aussi diverses, le niveau de la
performance du conte se voit plus enrichi. Les jeunes prennent la parole aux
vieux, les femmes coupent la parole aux hommes et les enfants se font entendre
et font l'apprentissage de la prise de parole en public. L'ambiance est plus
festive. En résumé, la place n'a pas une grande importance dans
la performance du conte. Il peut se dire partout : à la maison, au champ
et plus récemment à l'école.
2.2.2 Quand dit-on le conte ?
Le conte est dit généralement le soir dans la
plupart des sociétés. Il faut entendre par soir, la
tombée de la nuit, après les repas du soir. Mais pourquoi la nuit
? Pierre N'DA K., dans son livre82, nous donne la version des Nzima
du Ghana et des Agni de Côte d'Ivoire. Selon donc ces peuples
«c'est comme ça, c'est ainsi depuis toujours, c'est la
tradition. Si l'on fait des contes le jour, un malheur arrive. »
Alors, c'est pour éviter que le malheur arrive que les contes sont
dits la nuit. Mais de quel malheur est-il question ? Les réponses
à cette interrogation restent évasives. Ce que nous pouvons
logiquement essayer de dire, c'est que le conte de façon traditionnelle
reste vivant surtout dans les campagnes. Or il se fait que dans ces campagnes
vivent des paysans, des agriculteurs. Pour ces agriculteurs, la journée
est le moment de travail (la journée est ici l'espace de temps qui
s'écoule entre le lever et le coucher du soleil), le moment où
tout le monde doit aller au champ. Organiser des séances de contes au
cours de cette tranche du jour reviendrait à empêcher les uns et
les autres de vaquer à leurs occupations. Si le conte est dit dans la
journée, il drainerait alors du monde et les travaux
82 Pierre K. N'DA, op. cit. p.25.
champêtres seront donc perturbés. Ce qui aura
à long terme comme conséquence, le non rendement des
récoltes et par la logique de cause à effet, entrainerait la
famine. N'est-ce pas là le malheur auquel font allusion ces peuples ? Ce
raisonnement fonctionnaliste tiendrait si seulement les Lokpa n'en donnaient
pas une autre explication.
Pour les Lokpa chez qui nous avons mené nos recherches,
le conte se dit surtout la nuit car il est un moyen de divertissement, de
cohésion sociale et d'échange des idées. Il est dit la
nuit pour permettre à tout le monde d'y assister. Il peut aussi
être dit à n'importe quel moment de la journée mais
là tout le monde n'y prendra pas part. Mais si le moment ne paraît
pas très important, la période de l'année où le
conte doit être dit reste formelle. Il y a une période où
le conte est autorisé et une autre au cours de laquelle il est dangereux
de faire des contes.
Des séances de contes peuvent se tenir après les
chasses : c'est-à-dire la période allant des premières
pluies ou táhà??l? en
Lokpa (fin Avril début mai) jusqu'à la fin des récoltes
qui était traditionnellement sanctionnée par la fête des
moissons (ou t5?ônt? en Lokpa)
et annonçait généralement le début de la chasse
(Lák?). Quand la chasse commence, il est formellement interdit de faire
des contes. Selon les Lokpa, les animaux se métamorphoseraient en
humains et se rendraient au marché pour y faire comme les hommes le
marché. Lorsque pendant une séance de conte les hommes
dévoilent les techniques qu'ils utilisent pour chasser, ces espions
allaient rapporter aux leurs la conduite à tenir pour ne pas se faire
tuer. Alors quand on dit des contes pendant la période de chasse, on a
de forte chance de rentrer bredouille de la chasse. Il faut aussi comprendre
ceci car comme nous l'avons dit, le conte peut-être dit partout et
surtout sur la place du village où chacun peut écouter et conter
à son tour. Des inconnus pourront ainsi facilement infiltrer les
séances.
Pour nous résumer, le conte peut se dire à tout
moment. Cependant le moment idéal de la journée pour une
séance de conte reste la nuit. Pour avoir des gibiers au cours de la
saison de chasse, il est donc conseillé de ne plus organiser des
séances de contes. La période propice de l'année
s'étend de fin Avril jusqu'à Décembre.
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