WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le conte et l'éducation chez les Lokpa du Bénin

( Télécharger le fichier original )
par Akéouli Nouhoum BAOUM
Université d'Abomey- Calavi (Bénin ) - Maà®trise en lettres modernes 2010
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

1.3.4 La morphologie du conte africain selon Denise PAULME

Partant des difficultés de classification, des classifications hasardeuses, très peu scientifiques observées dans l'approche classificatoire du conte africain, Denise PAULME tente une nouvelle méthode. Les travaux de Propp, ayant établi des ressemblances entres les contes, n'ont pu montrer leurs différences. Comme elle, d'autres chercheurs s'étonnent de l'échec du Russe. PAULME le constate en ces mots : «Plusieurs auteurs, notamment en France Cl. LéviStrauss et Cl. Brémond, A. Dundes aux Etats-Unis se sont interrogés sur les raisons de cet écheci70 Pour ne pas être confrontée au même blocage que les autres chercheurs, PAULME prend pour appui la fonction telle que Propp la définit. Elle se garde cependant de reproduire l'ordre consécutif des séquences comme Propp le soutient. Pour elle, les séquences n'ont pas toujours l'ordre de cause à effet. Elle dit « l'ordre dans lequel se suivent les séquences n'est pas immuable : ainsi la rencontre d'un médiateur n'est pas toujours indispensable ; si elle a lieu, elle se fait aussi bien avant qu'après l'énoncé d'une épreuve qui peut elle-même avoir disparu.»71 Il est clair que PAULME remet ici en cause le caractère arbitraire de la succession des séquences narratives telle que prônée par Propp. Tare que va combler Paulme.

69 Communications, 8, 1966. Recherches sémiologiques : l'analyse structurale du récit.

70 Denise PAULME, La mère dévorante, Gallimard, 1976, p.22.

71 Idem., p.23.

Elle se démarque également de la limitation du nombre de séquences dans un conte. Elle précise à cet effet la possibilité d'avoir des récits dans le récit. Car « il arrive qu'une séquence élémentaire, sinon plusieurs se gonflent jusqu'à former une histoire indépendante à l'intérieur de la narration. Ces récits dans le récit (ce sera par exemple celui des différentes tâches que le héros se voit imposer) obéissant eux-mêmes à certains arrangements qui ne sont pas en nombre illimité, mais forment des sortes de moule où se coule la narration.»72 Ce deuxième principe vient désavouer Propp qui soutient que le conte a une narration assez simplifiée ; nous entendons ici par narration, la structure générale du récit. Cette distance prise par rapport à certains principes « proppiens » permet à Denise PAULME d'approcher le conte sur deux dimensions : structuraliste et ethnologique. Elle part de la notion de manque. Pour elle le héros du conte cherche toujours à combler un manque qui peut se présenter sous plusieurs formes : la faim, le manque d'affection, le manque de connaissance de soi, le manque d'amour, etc. Elle établit alors une nouvelle classification du conte africain. Selon elle, il existe sept (07) types de conte :

- Le type ascendant : le héros part d'un manque, arrive à une amélioration, puis parvient à combler le manque.

Le conte n°9 de notre corpus répond partiellement à ce type. Nous disons partiellement, car si selon PAULME, le personnage part d'un manque qu'il comble à la fin de son aventure, notre conte théoriquement suit cette logique. Le crabe, comme tous les autres animaux, parvient à se faire construire par Dieu. Mais le crabe, étant le personnage principal, n'arrive pas à obtenir la tête et le cou, conséquence de sa paresse.

Schématisons :

- Manque : le néant, pas d'êtres vivants sur la terre.

- Amélioration : Dieu décide de créer les êtres vivants. Déclenchement du processus de création.

- Manque comblé : tous les êtres vivants sont créés avec toutes leurs facultés et toutes les composantes du corps, sauf le crabe qui manque de cou et de tête et qui se retrouve avec ses yeux placés sur ses épaules.

Théoriquement le manque est comblé, mais dans les faits, le crabe, personnage principal, est pénalisé. Il vit en tant qu'être créé mais avec des malformations. Ceci est fait exprès par le conteur pour faire passer son message (Voir le chapitre sur La satire de la paresse à la page 79).

- Le type descendant : le héros part d'une situation normale, puis assiste à la détérioration de sa situation, et finit dans le manque. Aucun conte du corpus ne répond à ces critères. Le conte n°8 pourrait répondre à ces critères, mais jusqu'à la fin du conte rien ne montre que le hérisson a perdu l'amitié de l'escargot.

- Le type cyclique : dans ce type de conte, le héros part d'un manque, il parvient à améliorer sa situation, puis comble son manque. Mais sa situation se détériore à nouveau, puis il se retrouve dans sa situation initiale de manque ou de manque comblé s'il était parti d'une situation normale.

Le conte n°3 convient à ce type. Le personnage principal arrive à capturer le poisson qui venait détruire son champ après des tentatives vaines. Mais le poisson usant de ruse lui échappe pour toujours.

- Le type en spirale : c'est un type de conte pas facile à repérer selon l'auteur. Dans ce type de conte, le héros est souvent aidé pour sa bonté envers d'autres personnages ; souvent ce sont des animaux. Ils l'aideront plus tard et le sortiront des situations de vie ou de mort dans lesquelles il se retrouvera. Le conte part ainsi d'un manque du héros, puis d'une amélioration suivie du comblement du manque. Le héros se voit trahi par un traitre, puis il tombe à nouveau dans le manque, aidé, il améliore à nouveau sa situation, et comble définitivement son manque.

Le conte n°2 semble très proche du type cyclique. Mais dans ce conte, ce ne sont pas des personnages, des alliés animaux, comme le dit PAULME, qui aident le héros mais plutôt trois conseils appliqués à trois situations différentes ont permis au héros de résoudre ses problèmes et de réussir sa mission.

- Le type en miroir : dans ce type de conte, deux personnages partent pour une même quête. Soumis aux mêmes épreuves l'un réussit grâce à sa conduite exemplaire, mais l'autre échoue pour s'être mal comporté. Pendant que l'un revient à la maison avec du trésor, l'autre revient avec le malheur.

Le conte de type en miroir s'identifie au conte n°5 où la terre et le ciel, ayant partagé les deux oeufs découverts par la terre, se retrouvent à égalité : chacun ayant emporté son oeuf chez lui. Mais la terre mange tôt son oeuf. Le ciel garde le sien qui éclot et donne une femme. Le ciel a réussi sa mission ; mais la terre a échoué à cause de sa gourmandise.

- Le type en sablier : ce type de conte met également deux personnages en scène : le héros et l'antihéros. Contrairement au type en miroir, les deux personnages partent avec des situations opposées au départ. Le héros a un manque, pendant que l'antihéros

jouit d'une situation normale. A la fin de l'histoire, l'antihéros se retrouve dans le manque, et le héros voit son manque comblé.

- Le type complexe : comme l'indique le nom de ce type, l'on retrouve parfois dans certains contes la combinaison de plusieurs types. Le conteur pour faire passer son message combine plusieurs thèmes et parfois plusieurs contes mettant en pratique ce qui est « la logique des possibles narratifs » chez Claude Bremond. C'est le cas du conte n°1 de notre corpus.

Dans ce conte, un peul se voit privé de la femme de sa vie (manque) puis avec l'aide des tortues, il réussit à reprendre sa femme (manque comblé et en même temps nouveau manque chez son rival qui pourrait être ici notre antihéros). Le conte aurait pu s'arrêter à ce niveau. Mais non ! Le conteur poursuit. Le peulh donne un boeuf en récompense aux tortues. Elles ne savent pas comment faire pour tuer le boeuf (manque). Le lièvre propose son aide et le boeuf est tué (manque comblé pour les tortues). Mais le lièvre, ayant aidé les tortues, prend avec stratégie possession de toute la viande du boeuf (manque pour les tortues). Elles, les tortues, s'y opposent et proposent un partage équitable. Le lièvre accepte (manque à nouveau comblé). Le conte aurait pu aussi prendre fin à ce niveau. Mais c'est sans compter avec l'ingéniosité du conteur. Le lièvre propose de ramener la marmite chez le roi avec, bien entendu, un peu de viande à l'intérieur. Il se fait arrêter par les épouses du roi pour avoir cassé la marmite. Il est ligoté au bord de la route (manque pour le lièvre. Il est privé de sa liberté). Le conteur aurait pu s'arrêter aussi à ce niveau pour punir le lièvre pour sa gourmandise. Le conte se poursuit. Le lièvre parvient à échanger sa place avec le singe (manque comblé pour le lièvre, mais nouveau manque pour le singe) Le singe sera battu par les femmes du roi. Il arrive à s'échapper grâce à la corde qui se brise (manque comblé, liberté acquise). Là encore le conte continue, alors que le conteur aurait pu s'arrêter à ce niveau et donner une leçon au singe et à ceux qui se comporteront comme lui. Mais contre toute attente, il continue. Le singe, assis sur un rocher en train de se plaindre des douleurs atroces causées par les coups des épouses du roi, entend une tortue pouffer un rire. Il décide de manger la tortue en compensation des coups reçus (manque comblé chez le singe car il peut se venger en mangeant la tortue, mais un manque, un problème pour la tortue). Plus tard aidée par le chien, la tortue échappe à la mort (manque comblé pour la tortue) mais le singe est à nouveau dans la tourmente car pourchassé par le chien (un nouveau manque pour le singe). Le singe et le chien brisent la meule de l'hyène dans leur course folle. L'hyène, plus forte que le singe et le chien, exige qu'on répare sa meule (manque pour le chien et pour le singe). Le singe use de ruse, et fait croire à l'hyène que le chien pourrait réparer la meule (situation difficile pour le chien, donc manque. Le singe

se sent tirer d'affaire, alors manque comblé). Mais la joie du singe est de courte durée. Le chien usant aussi de ruse exige la peau d'un singe et du miel pour coller la meule. Voyant que l'hyène lui décoche toute la peau, le singe va fuir poursuivi par l'hyène. Le chien recouvre sa liberté pendant que le singe perd complètement la sienne (manque comblé pour le chien, situation complètement instable chez le singe).

Schématisons :

- Manque : le peul s'est vu arracher sa femme, il souffre sans l'affection de celle-ci. - Amélioration : rencontre du peulh avec les tortues qui proposent leur aide.

- Manque comblé : les tortues sont parvenues à lui ramener sa femme.

- Manque : Pour les tortues qui manquent de moyen pour tuer leur boeuf.

- Amélioration : le lièvre propose son aide pour abattre le boeuf.

- Détérioration de l'acquis : le lièvre use de ruse pour s'emparer de toute la viande.

- Amélioration : les tortues refusent le partage du lièvre et le lièvre accepte de partager équitablement.

- Manque comblé : la viande est partagée équitablement.

- Manque : le lièvre est privé de sa liberté par les femmes du roi.

- Amélioration : l'arrivée du singe et son envie de prendre la place du lièvre - Manque comblé : le lièvre recouvre sa liberté en mettant le singe à sa place. - Manque : le singe se trouve pris au piège du lièvre.

- Amélioration : la corde se brise.

- Manque comblé : le singe recouvre sa liberté et s'en fuit.

- Manque : le singe veut manger la tortue. Celle-ci est dans l'impasse.

- Amélioration : les chiens s'intéressent à la situation de la tortue et proposent de l'aider.

- Manque comblé : le singe est pourchassé par le chien. La tortue est libre.

- Nouveau manque : le singe et le chien brisent la meule de l'hyène qui exige réparation - Amélioration : le singe a usé de ruse pour faire croire à l'hyène que le chien est issu

d'une famille où l'on répare les meules brisées.

- Détérioration de la situation : le chien usant aussi de ruse accable le singe en disant qu'il a besoin de la peau de singe pour réparer la meule.

- Manque comblé : le chien échappe à l'hyène. Mais le singe profite d'une liberté précaire car poursuivi par l'hyène.

Nous avons dans ce conte une combinaison de types ascendants et descendants. Puis si nous considérons la séquence du singe comme personnage principal, nous voyons qu'elle est de type cyclique : le singe part d'un manque (ligoté) puis comble ce manque (il se libère et s'en fuit), mais au lieu de savourer sa liberté et de vivre normalement, il décide de manger la tortue. Il finit par perdre définitivement sa liberté (manque pour toujours) à cause de l'hyène qui cherche à se venger. La séquence du singe commence sur un manque et se termine sur un manque.

Ce conte que nous pensons pouvoir classer dans la catégorie des contes de type complexe illustre bien la complexité du type. Les personnages ne sont jamais restés les mêmes. Les sujets traités aussi ont varié selon la séquence. Nous avons au total cinq séquences dans lesquelles nous assistons à l'apparition d'un nouveau personnage qui tient le rôle principal. Le conte est conçu comme une pièce de théâtre ou un feuilleton dans lequel les personnages apparaissent et disparaissent.

La classification de Denise PAULME trouve son originalité dans le fait qu'elle prend en compte tous les contes. Le récit des contes est, soit simple, soit complexe. Et lorsqu'un récit est très complexe, il peut tout de même être classé dans la dernière catégorie.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry