b . les apocryphes
Pascal Quignard fait référence à la Bible en
syriaque, dite pshitta, signiÞant Ç simple È en syriaque
car elle fut
traduite directement à partir du grec par Rabbula en
586 à Zagba en Mésopotamie (Petits Traités XVIIème
traité p. 349). Cette version illustrée attire l'attention de
l'écrivain qui est allé l'observer dans la bibliothèque
Laurentine de Florence. Elle est en usage chez les Chrétiens de Syrie et
d'Irak. Dans un travail de mise en ab»me, Pascal Quignard décrit
l'un des folios illustrés de cet évangile sur lequel est
représenté Matthieu portant un livre sur ses genoux,
peut-être rédigeant son propre évangile selon les
suppositions de l'écrivain.
Manifestement amateur d'évangiles apocryphes, Pascal
Quignard convoque celui de Thomas (Ab»mes chapitre LXXXV p. 245),
découvert en Egypte à Nag Mammadip par Mohammed Al el-Sammam en
1945 sous la forme de treize codices en copte du IVème siècle. Il
est constitué de 114 logia ou citations de Jésus, comme dans la
tradition évangélique canonique, mais ni la mort ni la
résurrection du Christ ne sont racontées, ce qui lui vaut
d'être exclu du canon.
Il évoque indirectement aussi celui de
Nicodème (Les Paradisiaques chapitre XXXVII p. 140) lorsqu'il fait
référence à la Ç prostituée de la
cité de Jérusalem qui s'appelait Véronique È.
C'est elle qui épongea le visage du Christ avec un suaire sur lequel
ce visage est resté comme imprimé. Le Ç saint suaire
È, dont font mention
les évangiles canoniques (Matthieu 27 ; 57-60, Marc 15
; 42-46, Luc 23 ; 50-54 et Jean 19 ; 38-42128), ou la Ç
sainte face È, est ce supposé linge qui porte la marque du visage
du Christ, il a été conservé à Edesse en Syrie vers
30 et est aujourd'hui à Turin. Le plus ancien témoignage de
l'existence de ce voile de Véronique se trouve dans le livre de
Nicodème qui date du VIème siècle. Si Pascal Quignard
s'amuse de cette croyance, Ç l'unique image est celle d'une tête
de mort (épongée de sa sueur par la main d'une prostituée
È, l'étymologie convoquée vient expliquer l'idée
que cette image, prise par Véronique, pourrait être celle du
Christ : en latin vera icona signiÞe image vraie, ou encore le
mélange du latin et du grec verum eikon signiÞe vraie image.
Cette évocation du suaire et de Véronique
intervient dans le récit de la vie d'Alexis qu'entreprend Pascal
Quignard dans Les Paradisiaques129, réécriture de l'un
des premiers textes de la littérature française, poème
hagiographique du XIème siècle.
Pascal Quignard fait également référence
à l'Ecclésiastique ou Siracide (Petits Traités
LVIème traité p. 645), un livre de sagesse connu mais non reconnu
par le
128 TOB pp. 1435-1436, 1463-1464, 150715-09, 1541-1544
129 op.cit., chapitre XXXVII, Ç Alexius Þls
d'Euphemianus È, Paris, Grasset, 2005, pp. 140-144
canon biblique, rédigé vers 180 avant notre
ère par le rabbin Ben Sira. Ce texte mêle la tradition du proverbe
issue du livre des Proverbes, de très nombreuses phrases courtes
constituent des Ç conseils È pour trouver la Ç sagesse
È, et des développements circonstanciés destinés
à convaincre le lecteur de la grandeur du patrimoine religieux et
culturel du Juda ·sme mis en péril par l'expansion de la culture
hellénique. S'il n'est pas considéré comme inspiré,
le texte du Siracide reste une source privilégiée des
écrits talmudiques qui le citent beaucoup. Son appellation
traditionnelle d'Ecclésiastique rend compte de l'importance que lui
accordaient les premiers Chrétiens qui l'utilisaient pour l'instruction
des néophytes.
Pascal Quignard semble citer un vers : Ç La sagesse est
l'Euphrate, dit l'Ecclésiatique, XXIV, 3 È mais la
référence est fausse (TOB, p. 1335). Faire appel à ce
livre demeure cependant une preuve de la précision des connaissances de
l'écrivain.
Pascal Quignard évoque l'histoire de Suzanne, femme de
Joakim, en décrivant un tableau de Rembrandt représentant la
jeune femme au bain avant que deux vieillards ne s'en prennent à elle
(Sur le Jadis chapitre XXXIV p. 88 ; Daniel grec, 13, TOB pp. 1388-1990). Ce
livre est un livre supplémentaire présent dans un midrash
comme treizième et dernier chapitre du livre de Daniel
et comme livre à part entière dans la Septante entre
Ezéchiel et Daniel. Il est présenté dans la TOB au
chapitre des livres apocryphes. Ç Sousanna È, ou l'image d'une
femme qui se dénude et qui est accusée avec abus d'être
adultère, des thèmes très quignardiens en somme.
Ces références apocryphes viennent comme levier
à la pensée religieuse. Elles sont convoquées non pas dans
un esprit dogmatique, ni même dans un esprit de remise en question du
canon, mais dans une démarche intellectuelle de découverte et
d'interrogation. Elles sont pour l'écrivain l'occasion d'interroger la
diversité de la culture humaine, de montrer au lecteur qu'elle va
au-delà des dogmes religieux. La littérature a des sources
indifféremment religieuses ou la ·ques nous dit Pascal
Quignard.
Nous voulons à présent étudier une source
exceptionnelle de l'écriture quignardienne, la Septante, la Bible
d'Alexandrie, la première version grecque de la Bible, lieu qui
concentre de nombreuses problématiques quignardiennes.
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