conclusion : Ç incende quod odorasti
È
Ç Il n'y a pas Ç le livre È. Il y eut des
livres218. È
Il y a dans les réécritures bibliques une double
dimension d'attraction-répulsion par rapport à la source. Les
pages de l'Ïuvre de Pascal Quignard sont pleines de cette attraction, de
cette attirance presque incontrôlable, presque réßexe vers
ce texte. Il est le socle de la culture de l'écrivain. Il est à
l'alpha de la littérature. C'est une source inévitable.
En même temps, le travail de réécriture
qu'effectue Pascal Quignard constitue un travail de mise à distance, un
repositionnement idéologique. Il y a par rapport au dogmatisme biblique
une répulsion elle aussi réßexe par moments. Le texte
biblique est rejeté en ce qu'il constitue l'origine des religions et
donc la source de certains aspects intransigeants de la foi.
Mais l'écriture quignardienne ne se veut pas
idéologique. Ce phénomène d'attraction-répulsion se
retrouve sur le plan littéraire. Le livre qu'est la Bible exerce une
attraction en tant que tel, une attraction littéraire. En tant que tel,
en tant que Ç le Livre È, en tant que livre unique, il exerce
aussi cette répulsion, ce rejet de l'unique.
218 Petits Traités, op. cit., XVIIème
traité, Ç Liber È, Paris, Gallimard, [1990], coll. Folio,
1997, p. 316
Entre ces deux tendances, Pascal Quignard, par le biais de la
réécriture, opère un travail de prise en compte et de
remise en question.
1 . attraction biblique
Le nombre et la diversité des références
à la Bible dont nous avons fait l'examen dans cette étude
attestent de l'indéniable attraction exercée par la source
biblique sur l'écriture et l'imaginaire de Pascal Quignard. Elle
s'explique par des raisons biographiques culturelles, la Bible est le fondement
de la culture catholique dans laquelle a été élevé
l'écrivain. Elle est à la source de la littérature
européenne aussi, de toute la culture judéochrétienne.
source
La Bible attire, intéresse, fascine parfois en tant que
source culturelle. Elle est à la clé de la culture
européenne et de la littérature en particulier. La Bible,
manuscrit le plus copié, premier livre imprimé, livre le plus
vendu et le plus lu, reste aujourd'hui le livre commun à toute la
culture européenne. A travers les siècles qui Þrent notre
humanité, elle a toujours eu un rTMle clé, un rTMle majeur.
Elle a été et reste une source majeure
d'inspiration pour la littérature, La Légende dorée,
source affectionnée par Pascal Quignard, qui fait le récit de la
vie de centaines de saints, en est la première preuve. La place
occupée par les épisodes et les personnages bibliques dans
l'Ïuvre de Pascal Quignard en est la preuve la plus récente. La
Bible est une source majeure de la littérature.
Pour Pascal Quignard elle est, nous l'avons vu, le terreau
propice à l'imagination ; à partir de détails
l'écrivain glose, invente et crée des histoires, des contes.
origine
Ces histoires et ces contes sont tous dirigés par une
question, la question majeure de l'entreprise quignardienne, celle de la
recherche des origines. L'écriture de Pascal Quignard est une
écriture à reculons, une écriture à rebours, elle
se tourne, se retourne, agit par tours et détours. Toujours elle se
dirige vers l'avant, l'ante, vers l'origine.
La Bible est à ce titre une source clé. En elle
se concentrent des aspects de l'origine du monde, de l'origine de l'homme, de
l'origine de la langue, de l'origine de l'écriture, de l'origine de la
littérature enÞn.
A cette source, Pascal Quignard puise le matériau le
plus large possible, afin de toucher au plus grand nombre d'aspects de
l'origine possible. Aussi son attitude par rapport à ce texte-source est
diverse. Dans le travail de réécriture, Pascal Quignard adopte
des formes différentes, de la citation à la traduction, nous
l'avons vu. Elles se font aussi sur différents modes que nous voulons
envisager à présent.
L'entreprise de réécriture des textes
sacrés, qu'ils soient du canon ou apocryphes, constitue en soi une
désacralisation. Nous avons vu dans les réécritures des
livres de Jonas et d'Elie que la dimension divine est évacuée au
profit de la nature. C'est elle dont la colère doit être
apaisée par le sacrifice de Jonas, c'est elle qui venge Elisée
dont les enfants du Carmel se sont moqués. Le traitement scientifique de
la création, l'acquisition de l'écriture quignardienne aux
thèses darwinistes achève de prouver que le divin est
évacué, rendu obsolète.
Ainsi la Bible est une source dans la quête de
l'origine, mais elle n'est en rien une fin, en rien une réponse. Elle
n'est qu'un outil dans l'entreprise de l'écrivain. Elle est
utilisée et dépassée.
Le regard de Pascal Quignard est celui d'un lecteur, comme il
se définit lui-même, et d'un écrivain. Son entreprise est
littéraire, ainsi la Bible est-elle utilisée comme source
littéraire, ce qui semble constituer l'étape
supérieure de cette désacralisation. La Bible,
non seulement privée de sa dimension divine, est livrée à
la lecture des profanes, elle n'est plus un livre de foi mais un objet
littéraire. C'est bien ce à quoi semble nous inviter les contes
que réécrit Pascal Quignard, à relire la Bible comme un
grand recueil d'histoires merveilleuses, avec des héros, des personnages
bienveillants, d'autres malveillants, des aventures et de la magie. Une
entreprise de la ·cisation en somme.
Car Pascal Quignard remet fortement en question cette source
majeure qu'est la Bible. Le texte sacré, si l'écrivain y puise
largement, est fortement critiqué, et pas seulement sur des aspects
théologiques.
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