L'arbitrage en droit de la propriété intellectuelle dans l'espace oapi( Télécharger le fichier original )par Charles Marcel DONGMO GUIMFAK Université de Yaoundé I - SOA - Master 2 en Droit de la propriété intellectuelle 2009 |
b - L'incertitude sur l'action en validité des titresL'arbitrabilité des litiges de la propriété des titres est généralement admise, sauf dans les cas où il existe une relation de travail. La question de l'arbitrabilité des différends relatifs à la validité des titres reste quant à elle posée. La question de la validité ou nullité d'un droit de propriété intellectuelle peut se poser dans le cadre d'une procédure arbitrale dans de nombreuses circonstances, telles la situation où un donneur de licence initie une procédure afin de réclamer le paiement de royautés dues conformément à un contrat de licence de brevet ou de marque. Dans ce cas, le preneur de licence formera par exemple une action reconventionnelle ou invoque une objection, en contestant la validité du droit de propriété intellectuelle dont le donneur de licence se prétend titulaire. Les arbitres ont-ils le pouvoir de déclarer qu'une marque ou qu'un brevet sont nuls ? Le problème ne se pose pas de la même façon dans tous les pays : De nombreux états invoquent l'ordre public pour réserver au système judiciaire étatique la compétence exclusive de décider de la validité d'une marque ou d'un brevet. Dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis, les litiges portant sur la validité de droits de propriété intellectuelle sont arbitrables, mais les sentences ne peuvent être exécutées qu'inter partes. La thèse classique qui est défendue en ce domaine affirme qu'il est inconcevable que des personnes privées, fussent-elles investies de la confiance des parties à un litige, tranchent sur la validité d'un titre délivré par l'autorité publique. Ainsi, en droit français, pour les litiges concernant la validité du brevet, certains auteurs se prononcent pour l'exclusion de l'arbitrage149(*), faisant valoir qu'il n'appartient pas à un tribunal non étatique de prendre parti sur la validité d'un titre délivré par l'Etat. On peut dire que, de manière générale, ce qui fait douter de la possibilité d'arbitrer les différends de propriété industrielle c'est, que les titres sont délivrés par des autorités publiques d'une part, ce qui, probablement par référence à l'origine historique du brevet (héritier du privilège royal), suggère l'idée reçue que le droit des brevets est « empreint d'ordre public »150(*), d'autre part que les décisions d'annulation ont souvent un effet erga omnes. Antoine KASSIN relève à propos de l'arbitrabilité en matière de propriété industrielle, que « les Professeurs GOLDMAN et GAILLARD notent certaines sentences distinguant les litiges relatifs à l'existence ou à la validité du titre de propriété intellectuelle inarbitrables, et ceux arbitrables concernant l'exécution des contrats, notamment de licences, portant sur les droits de brevets ou de marques, ou la responsabilité contractuelle découlant de l'inexécution des obligations des parties, qui sont arbitrable s»151(*). Il est vrai que suivant l'article 18 de l'ABR, la décision d'annulation du brevet a effet erga omnes. Or, personne ne songe à donner pareil effet à une sentence arbitrale, ne serait ce que parce que l'arbitrage a un caractère fondamentalement contractuel et bilatéral. Contre cette thèse, les travaux de Jean-Marc Mousseron établissent de façon convaincante que la délivrance par l'autorité administrative n'affectait pas la nature du droit de brevet qui est un droit de propriété152(*) et que l'autorité qui a délivré le titre n'a aucun intérêt propre à son maintien153(*). Avec les critiques élevées contre la thèse de l'inarbitrabilité, on voit paraître, dans un grand nombre de pays, un courant de pensée très favorable à l'arbitrage de la validité des brevets ou plus précisément de la validité «interpartes», de l'opposabilité, de 1'»enforceability» du droit de brevet. Ceci est admis maintenant dans un certain nombre de pays, des sentences arbitrales en ce sens, signées de plumes éminentes, commencent à apparaître. C'est le cas du droit suisse qui admet que les arbitres puissent connaître de l'action en nullité du titre et de l'action en contrefaçon154(*). Cette dernière solution est également admise en droit allemand où, de façon générale, sont arbitrables toutes les actions ayant leur cause dans l'exploitation du droit de propriété industrielle155(*). En droit italien, le principe est que sont arbitrables tous les litiges qui peuvent faire l'objet d'une transaction. On en déduit que l'action en contrefaçon et tous les différends relatifs à la gestion des droits de propriété industrielle sont arbitrables, et même, bien que ce soit discuté, l'action en nullité du brevet lorsque cette nullité est soulevée par voie d'exception. Bien plus, aux Etats-Unis, l'arbitrage jouit d'une grande faveur. L'arbitrabilité des litiges relatifs aux brevets est largement admise aux Etats-Unis depuis l'intervention des lois fédérales de 1983 et 1984 amendant la federal patent Law156(*). En effet, non seulement les litiges relatifs aux différents accords commerciaux portant sur l'exploitation des brevets peuvent être soumis à l'arbitrage, mais également les questions concernant la validité des brevets ou la violation des droits qui en découlent.157(*) On va ainsi vers un domaine plus large de l'arbitrage et de l'arbitrabilité des différends dont un aspect intéresse l'ordre public. La considération que l'arbitrage est un mode de règlement des litiges bien adapté aux différends opposant des parties venant d'un milieu professionnel très homogène, qui ont un fonds culturel commun doit, à l'avis de Pierre VERON, prévaloir sur l'idée quelque peu dépassée maintenant, que le brevet est essentiellement un titre public158(*). Il faut toutefois noter qu'un arbitrage en cette dernière matière pourrait poser en fait quelques difficultés d'exécution. Pour prendre un exemple, le préposé au registre du commerce accepterait-il de modifier une raison sociale sur simple communication d'une sentence ? L'inscription d'une modification due à une sentence n'est pas exclue pour autant. Ainsi, lorsque la partie tenue de modifier sa raison sociale devrait requérir pareille modification ne le fait pas, une sentence définitive pourrait tenir lieu de déclaration de volonté. En France, il a été suggéré, pour surmonter la difficulté de l'arbitrabilité, de limiter la décision des arbitres sur la validité du titre aux rapports entre les parties, sous la forme d'une sentence de non-opposition159(*). L'idée est intéressante, même s'il peut en résulter des conséquences regrettables, par exemple lorsqu'une juridiction étatique vient annuler un brevet que le tribunal arbitral avait jugé valable160(*). Christian Le STANC s'interroge alors s'il ne faut pas « souhaiter un aménagement législatif consistant à décider que les litiges impliquant brevets ou marques sont pleinement arbitrables dans tous leurs aspects ? A la condition sans doute néanmoins que l'annulation arbitrale d'un titre de propriété industrielle ne puisse n'avoir d'effets qu'inter partes »161(*). Donner compétence à l'arbitre de statuer sur la validité d'un titre pour éviter les contradictions du genre rencontrée dans l'affaire Deko ne semble pas résoudre complètement le problème, du moins pour ce qui concerne l'espace OAPI. La solution pourrait être le sursis à statuer par l'arbitre lorsque se pose incidemment la question préjudicielle de la validité d'un titre. Cette solution nous parait plus appropriée en ce quelle ne fait pas entorse au caractère d'ordre public du titre, et que la nullité du titre aura toujours un effet erga omnes et sera facilement acceptée par l'Office de propriété intellectuelle. En tout état de cause, dans la mesure où certains pays, tels que ceux de la zone OAPI, ne reconnaissent pas l'arbitrabilité des questions liées à la validité des droits de la propriété intellectuelle, les parties à l'arbitrage doivent être conscientes qu'une sentence favorable pourrait être impossible à exécuter là où le droit de propriété intellectuelle considéré est enregistré. Finalement, en France comme dans la zone OAPI, aucun précédent pour l'instant ne consacre la possibilité d'un arbitrage «interpartes». De plus, le problème semble résolu dans l'espace OAPI par le critère de la matière contractuelle de l'arbitrage OHADA. La délivrance du titre n'étant pas une matière contractuelle, n'est donc pas arbitrable. Au demeurant, aucun fonctionnaire de l'OAPI ne se souvient avoir inscrit de sentence arbitrale portant sur la validité des titres. Qu'en est-il de la propriété littéraire et artistique ?
* 149 J. Azéma et J.-C. Galloux, op. cit., n°519. - G. Bonet et Ch. Jarrosson, op. cit., p.66. - B. Oppetit, L'arbitrage en matière de brevets d'invention après la loi du 13 juillet 1978 : Revue de l'arbitrage 1979, p.90. * 150 A.-C. Chiariny-Daudet, Le règlement judiciaire et arbitral des contentieux internationaux sur brevets d'invention, Bibliothèque de droit de l'entreprise, n°71, Litec, 2006, n°526. * 151 Antoine KASSIN, L'autonomie de l'arbitrage commercial, l'Harmattan, 2006, n°317, p.188. * 152 A.-C. Chiariny-Daudet, op. cit., n°594. * 153 Idem, n°673. * 154 F. Perret, L'arbitrabilité des litiges de propriété industrielle, droit comparé (Suisse/Allemagne/Italie), in Arbitrage et propriété intellectuelle, préc., p.73-82, à la p.77. * 155 F. Perret, op. cit., p.78. * 156 Jean Jacques ARNALDEZ, Yves Derains, Dominique HASCHER, Sentences arbitrales de la CCI, Amazon Frank, 2003, p. 43. * 157 Howard M. Handbook on commercial Arbitration, United States, 1992, P. 10 - V. également Paul D. Carmichael, Arbitration of patents disputes, the arbitration journal, Mars 1983, Vol. 38, N°1. * 158 Me Pierre VÉRON, Arbitrage et Propriété Intellectuelle Conférence donnée le 2février 1994 devant le Groupe Rhône Alpes de Propriété Industrielle (GRAPI), inédit. * 159 A.-C. Chiariny-Daudet, op. cit., n°699. * 160 V. par ex. CA Aix, 24 juin 1999 : Com. com. électr. 2001, comm. 130, note C. Le Stanc. * 161 Christian Le STANC, Arbitrage et contrat de licence : expérience française, in Creative ideas for intellectual property : the Atrip papers 2000-2001, sous la direction de François Dessemontet, CEDICAC, 2002, p. 252. |
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