2-2) Une profession hermétique et peu
représentative de la société française :
Un homme, blanc et cadre supérieur : voici le portrait
robot du type de personnes qui occupent plus de 80 % du temps de nos programmes
télévisés.
Ges résultats, obtenus par le GSA suite à une
étude portant sur plus de 600 heures de programmes diffusés aux
heures de grande écoute (toutes chaînes gratuites confondues) sont
accablants.
Dans le monde de la télévision, tout est
disproportionné et rien ne représente la réalité.
En effet, seulement 13 % des personnes visibles à l'écran sont
considérées comme « non-blanches », il n'y a que 36 %
de femmes et 13 % de la population n'est pas cadre supérieur.
Le monde des médias, et plus précisément
du journalisme, est un milieu souvent pointé du doigt pour son
homogénéité sociale assez prononcée. Interviewant
plusieurs spécialistes du monde musulman à l'occasion des «
Veillées du Ramadan " (organisées en août 2010 à
l'Institut des cultures d'islam à Paris), Frédéric
Taddeï pose la question « Quelle est l'image de l'islam dans les
grands médias français ? ". En réponse, Nabila Ramdani,
journaliste indépendante, avance qu'« il y a très peu de
diversité dans les grand médias, ce qui fait que l'on a un point
de départ qui est tout à fait biaisé et non
représentatif de la diversité de la France [alors qu'en Grande
Bretagne par exemple] c'est tout à fait différent ". Elle
décrit le milieu du journalisme français comme «
extrêmement fermé ", « élitiste " et «
représentatif du même groupe social », expliquant qu'au cours
de sa carrière, en tant que musulmane, elle a eu beaucoup de mal
à s'y intégrer.
S'exprimant juste après elle, Véronique Rieffel,
directrice de l'Institut des cultures d'islam, constate que « la
représentation de l'islam dans les médias est une
représentation blanche " mais ajoute que pour elle, « rien de
nouveau » puisqu'au 21ème siècle, « on est
toujours dans ce que l'on appelle l'" orientalisme ", c'est-à-dire la
construction de l'Orient par l'Occident ".
Plus généralement, elle considère que
« l'islam traité par les médias » est un « islam
imaginaire qui se construit et s'alimente lui-même ». Goncernant les
musulmans de France, elle reprend une citation de Marx qui pour elle exprime
parfaitement leur "situation médiatique" : « Ils ne peuvent pas se
représenter eux-mêmes alors ils doivent être
représentés. »
Pour finir, elle avance que les journalistes aux noms à
consonance arabe sont en réalité utilisés comme «
sorte de caution » de ce « discours orientaliste ».
Les musulmans eux-mêmes ressentent également
fortement cette tendance, cette carence de mixité. C'est d'ailleurs ce
que nous confirme un sondage réalisé par le site Internet
Fleur d'islam en août 2001, révélant que 64 % des
musulmans considèrent que c'est à la télévision que
la présence musulmane fait le plus défaut (14 % pour la presse
écrite, 10 % pour la radio et 7 % sur Internet).
Ces nombreux constat d'échec de la diversité
à la télévision ne restent pas lettre morte. Gertaines
instances et organisations tentent tant bien que mal d'y remédier. Le
CSA notamment, a mis en place des programmes pour intégrer de la
diversité dans le recrutement et instaurer une certaine «
égalité des chances » dans l'accès aux concours des
écoles de journalisme (notamment en faisant des partenariats avec des
zones d'éducation prioritaire (ZEP)). En effet, les barrières
à la diversité socioculturelle dans le milieu professionnel
journalistique sont, selon le GSA, les frais de scolarités
élevés et l'inégalité des chances. Ont donc
été mises en place certaines mesures pour tenter de limiter
l'actuelle homogénéité socioprofessionnelle chez les
journalistes. En partenariat avec certaines écoles de journalisme, le
GSA a également fait intégrer dans les programmes des modules
portant sur la banlieue, l'immigration et l'histoire urbaine afin
d'améliorer le futur traitement médiatique de ces zones.
Pour sa part, le célébrissime sociologue Pierre
Bourdieu propose une analyse éclairante de ce phénomène
que cite Pierre Tevanian dans Le Voile médiatique : « Les
grands médias, explique-t-il, peuvent très bien dire tous la
même chose, ou du moins promouvoir la même vision du monde social,
sans se concerter.
Ils peuvent très bien relayer servilement la vision des
dominants sans recevoir d'ordres, de consignes ou d'argent pour cela,
simplement parce qu'ils y sont poussés par une série de logiques
sociales, parmi lesquelles : l'homogénéité sociale et
"ethnique" dans le recrutement des journalistes qui se traduit par une
homogénéité des habitus, des préjugés, des
références culturelles et politiques ; le formatage
idéologique réalisé par les écoles de journalisme ;
l'urgence de l'agenda médiatique, qui rend difficile le temps de la
réflexion, de la remise en question des préjugés ou de la
vérification des « informations " et de leurs sources ; et enfin
les logiques de marché : [...] recherche de l'audimat, [...]
sensationnalisme, [...] mimétisme et [...] surenchère ».
Finalement, l'information que relaie le journaliste n'est donc
pas neutre puisque sélectionnée et anglée. Ensuite elle
peut s'empreindre des préjugés de celui qui la communique. Enfin
elle s'exprime au travers d'un univers absolument pas représentatif de
la population française. Le cheminement que réalise l'information
« brute » jusqu'à l'oeil du spectateur est donc long et
semé d'embüches. De plus, une fois cette information
diffusée, il reste encore la part d'analyse qui y est consacrée
et, là aussi, nos médias ont parfois tendance à
pécher par négligence.
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