I) L'ISLAM DANS LES MEDIAS : UNE THEMATIQUE QU PREOCCUPE
:
Ainsi, avant d'entrer dans le vif du sujet, il paraît
évident, et surtout nécessaire, de poser les bases de ce qui va
suivre et donc de faire le point sur la représentation actuelle de
l'islam dans les médias français. Ce premier chapitre est
là pour poser les fondations des chapitres suivants, en
démontrant en quoi il est légitime, aujourd'hui, de s'interroger
sur le traitement médiatique de l'islam en France.
Pour cela, quatre questions essentielles forment la trame de cet
état des lieux.
La première question abordée est évidemment:
le traitement médiatique de l'islam est-il différent de celui
réservé aux deux autres grandes religions ?
La deuxième question porte sur la présence du
sujet de ce mémoire dans la sphère publique : des personnes
ont-elles déjà abordé le sujet du traitement
médiatique de l'islam en France ? Ce sujet fait-il l'objet
d'interrogations tant chez les spécialistes que chez de simples citoyens
? En bref, le sujet de ce mémoire a-t-il une existence suffisamment
forte pour être régulièrement évoqué et objet
d'interrogations?
La troisième question cherche à déterminer
si le traitement médiatique de l'islam en France fait l'objet d'ouvrages
littéraires poussés et documentés ?
La quatrième et dernière interrogation va chercher
du côté des principaux intéressés puisqu'elle se
demande ce qu'en pensent les musulmans eux-mêmes.
1) Musulmans, juifs et chrétiens, tous
égaux face aux médias?
« L'islam, dont la pratique "
socialement repérable " est une aubaine pour les médias,
semble encore loin de son " intégration médiatique ".
» Maria Lafitte, journaliste.
S'interroger sur une inégalité de traitement
médiatique entre les religions c'est toucher un point sensible. Avancer
que les médias n'offrent pas de traitement égalitaire des trois
grandes religions peut en choquer plus d'un. Cette réaction est bien
légitime, puisqu'à première vue il semblerait que le
christianisme soit autant critiqué que l'islam ou le judaïsme.
Quand on a en tête les sketches des Guignols de
l'info sur Canal+ ou les caricatures de Plantu dans Le Monde, on
peut avoir l'impression que « tout va bien » en la matière et
qu'il n'y a pas une religion qui se fasse plus critiquer, ou plus
encenser, qu'une autre. Pourtant, beaucoup de professionnels et de particuliers
ressentent un malaise concernant la couverture médiatique de l'islam en
France. Beaucoup en sont convaincus : l'islam est majoritairement
représenté de manière négative dans les
médias. Mais peu arrivent concrètement à définir ce
qui leur fait ressentir ce malaise. Et ce n'est pas étonnant car, quand
l'on s'y intéresse, l'on s'aperçoit vite de la subtilité
du phénomène, observable uniquement à travers les choix de
termes, d'images et de sujets effectués par les journalistes.
En effet, ce n'est qu'en étant attentif, et non passif,
face à l'information que l'on remarque les incohérences, les
approximations et les défauts dans le traitement médiatique de
l'islam. Nombres d'analyses pertinentes et documentées sont d'ailleurs
disponibles en la matière (NDA : cf. partie I) 2-1 et I) 3 du
présent mémoire) mais les exposer toutes ici serait inutile
et prendrait trop de temps. C'est pourquoi nous allons plutôt nous
attarder sur quelques exemples particulièrement emblématiques.
Le premier exemple, exposé par Pierre Tevanian dans
La République du mépris, met en parallèle la
couverture médiatique de deux faits divers et illustre parfaitement le
comportement qu'ont majoritairement les médias vis-à-vis des
actualités impliquant des musulmans.
En juillet 2003, un fanatique juif, prénommé
Raphaël Schoeman, menace de mort treize personnalités qu'il juge
trop « pro-palestiniennes ». Il prétend agir au nom de tous
les juifs, mais aucun journaliste ne donne crédit à ses
élucubrations. Personne ne l'associe à « tous les juifs
». A juste titre, l'intéressé est qualifié d'individu
isolé, irresponsable et délirant. A aucun moment on ne
considère qu'il représente vraiment l'ensemble des juifs.
En revanche, quand un jeune musulman orléanais menace
de mort M. Redeker (NDA : un professeur de philosophie toulousain qui avait
publié une tribune assez controversée intitulée «
Face aux islamistes, que doit faire le monde libre ? » dans
l'édition du 19 septembre 2006 du Figaro) par mail en septembre
2006, les médias semblent (en majorité) se
désintéresser de sa personnalité et considérer,
qu'effectivement, il agit au nom de l'islam et des musulmans, notamment puisqu'
« une fatwa [aurait] été prononcée ". Pourtant,
jusqu'à ce jour, aucune autorité musulmane n'a jamais
appelé au meurtre de Robert Redeker.
On peut donc remarquer que, dans deux situations similaires,
la question de l' « incarnation " religieuse ne se pose pas de la
même manière. Quand un jeune homme juif, isolé et
dérangé, profère des menaces de mort, le fait qu'il soit
représentatif de tous les juifs n'effleure l'esprit de personne. Il n'en
va pas de méme concernant un jeune musulman. En quoi pourtant ces deux
personnes sont-elles différentes ? En quoi le fanatique musulman
serait-il plus représentatif de sa communauté religieuse que le
fanatique juif ?
Pour Pierre Tevanian, qui commente l'affaire Redeker, les
choses sont claires : on est passé « du combat contre un
individu de vingt-cinq ans, qui a eu le tort de proférer des
menaces de mort, à un combat contre l' " islamisme " et contre la
complicité passive " des musulmans " dans leur ensemble. "
A propos de l'affaire Redeker, on remarque également,
si on la place en parallèle avec l'affaire Dieudonné (NDA :
cet humoriste français, musulman, est assez controversé pour
ses prises de position provocatrices et antisémites qui lui valent
depuis les années 2000 une réputation sulfureuse qui a fait
chuter sa carrière jusqu'au quasi point mort) que, là
encore, il y a une différence de traitement médiatique entre
l'islam et le judaïsme. En effet, quand les propos anti-juifs et
antisionistes de Dieudonné suscitent un tollé et une
réprobation générale, les propos anti-musulmans de
Redeker, pourtant tout aussi extrêmes, sont vus comme une «
manifestation courageuse " et « politiquement incorrecte » de la
liberté d'expression, parfois même ils sont admirés.
De son côté, Alain Gresh, directeur adjoint au
Monde diplomatique et auteur de plusieurs livres sur le Proche-Orient,
fournit dans son article, « A propos de l'islamophobie ", une
analyse intéressante de l'inégal traitement médiatique
entre islam et christianisme. Après une brève introduction sur la
liberté d'expression, il écrit « D'autres publicistes
s'indignent : on aurait le droit de critiquer le pape Jean-Paul II et l'islam
serait au-dessus de tout jugement !
Mais cela est-il vrai ? Bien sûr, on peut trouver
des caricatures insultantes du pape, mais l'image globale qui se dégage
du personnage est-elle vraiment négative ? On a
célébré récemment le vingt-cinquième
anniversaire du pontificat de Jean-Paul II et les éloges ont très
largement dominé ; pourtant, au même moment, un documentaire de la
BBC révélait que des envoyés spéciaux du Vatican
envoyés en Afrique expliquaient aux populations que le
préservatif ne protégeait pas contre le sida ! Imaginons un
instant l'inverse : un haut dignitaire musulman ayant envoyé des
missionnaires pour tenir le même discours ; peut-on imaginer un instant
que les médias français donneraient de ce personnage,
indépendamment de ce prêche, une image positive ? ".
Cet extrait illustre parfaitement en quoi l'inégal
traitement médiatique des religions, en France, est difficilement
évident pour l'esprit. Et en effet, celui-ci relève tellement de
subtilités et de choix dans la mise en exergue de telle ou telle
information qu'il est difficile de le percevoir concrètement dans sa
mise en action.
Ici, Gresh compare religion chrétienne et musulmane et
constate que la religion musulmane souffre clairement d'un traitement
médiatique négatif et différencié, mais la
comparaison est transposable avec la religion juive. Par exemple, imaginons un
instant un reportage sur un groupuscule extrémiste juif qui se serait
établi dans une banlieue quelconque. Si à un moment le reportage
sous-entend que ledit groupuscule, du haut de sa cinquantaine
d'adhérents, constitue une menace à la sécurité
nationale, il est probable que nombre de téléspectateurs se
diraient « - Ce journaliste exagère, il monte quelque peu son sujet
en épingle ". Pourtant, concernant l'islam et les musulmans, nombre de
sujets similaires fleurissent dans les JT et tout le monde semble prendre cela
au sérieux. Aussi, c'est en procédant à ce genre de
comparaison que l'absurdité du traitement médiatique de l'islam
saute aux yeux.
Il existe nombre de groupes religieux extrémistes, dans
chaque religion, et, à juste titre, personne n'en fait état dans
l'actualité. Mais concernant les religieux extrémistes musulmans
c'est une toute autre histoire. Comme si finalement, les minorités
religieuses musulmanes avaient plus de propension à s'avérer
dangereuses que les minorités religieuses juives ou
chrétiennes.
En matière de religion dans les médias
français on a affaire à une fausse impression
d'égalité. C'est ce que confirme d'ailleurs un sondage Ifop,
réalisé au lendemain du 11 septembre 2001 qui démontre
que, de méme qu'il y a dix ans, les adjectifs à connotation
négative restent majoritaires dans le discours médiatique sur
l'islam. La seule différence étant qu'aujourd'hui les adjectifs
semblent « moins choisis ".
Un autre phénomène, tout aussi symptomatique que
les précédents, est l'inégalité de traitement
médiatique des actes à caractère raciste selon qu'ils
touchent des victimes juives ou musulmanes.
En effet, depuis le début des années 2000, les
profanations de sépulture, incendies de lieux de culte et agressions
physiques de juifs et musulmans se multiplient. A ce propos, la Commission
nationale consultative des droits de l'homme parle d'ailleurs d'une
véritable « intolérance à l'égard de l'islam
".
De son côté l'Etat français semble
réagir de manière assez inégale selon que l'agression
concerne juifs ou musulmans. C'est ce que rapporte un article intitulé
«Antisémitisme, islamophobie l'inégal traitement
médiatique " (SaphirNews, 7 juin 2004), où Nadia
Ben Othman écrit qu' « à l'inverse de la ferveur et de
l'empressement qui caractérisent les manifestations de solidarité
à l'égard de la communauté juive lorsqu'elle est victime
d'actes racistes, une sorte d'inertie, de laxisme, voire d'omerta plane sur le
monde politique lorsqu'il s'agit d'évoquer les mémes incidents
qui touchent les musulmans. " Selon elle les réactions gouvernementales
sont tout bonnement « quasi inexistantes [ou] timides et discrètes
" alors qu'elles « sont nombreuses et promptes à s'exprimer
lorsqu'il s'agit d'expulser un imam ou de stigmatiser le foulard. [...] ".
Ce comportement, concernant ici la classe politique, est assez
similaire finalement à celui qu'ont les médias, ce qui laisse
encore une fois penser que les religions ne bénéficient pas
toutes du même traitement médiatique dans la France d'aujourd'hui.
Et effectivement, il semblerait que les musulmans, contrairement aux juifs ou
aux chrétiens, fassent régulièrement l'objet dans les
médias, de questionnements concernant leur « allégeance ",
leur « sédition " ou encore leur citoyenneté. Cette remise
en question quasi permanente de la citoyenneté des musulmans, pourtant
français au même titre que tout un chacun, peut certainement
être qualifiée comme procédant d'une certaine
stigmatisation. Certains comme Pierre Brechon et Jean Paul Willaime
n'hésitent d'ailleurs pas à parler d'« une certaine
diabolisation de l'islam " (Médias et religions en miroir).
A la lumière de ces exemples caractéristiques,
l'on peut émettre de très sérieux doutes quant à
une soi-disant égalité de traitement entre les différentes
religions dans les médias français. De manière assez
systématique, l'islam est plus enclin à faire l'objet d'amalgames
et à être vu comme une religion monolithique dont les adeptes
auraient tous plus ou moins la même pensée et les mêmes
envies.
Evaluer le traitement médiatique des religions n'est
pas chose aisée, certes, mais un regard critique couplé à
une attention toute particulière au vocabulaire et au choix des sujets
permettent d'y voir plus clair. L'inégalité se trouve alors tant
dans la qualité que dans la quantité. Si la religion juive semble
assez peu présente en termes de quantité dans les médias,
les articles et reportages qui la concernent sont en revanche assez positifs.
La religion chrétienne, plus présente médiatiquement,
affirme majoritairement sa présence médiatique à travers
des émissions dédiées comme la messe du dimanche matin
retransmise en direct. Son temps de présence médiatique est donc
majoritairement positif, puisque c'est elle-même qui s'exprime
directement. La religion musulmane, en revanche, bénéficie de la
plus forte couverture médiatique en termes de quantité dans les
actualités, mais les sujets abordés sont très largement
négatifs à son encontre.
Ce constat, d'un islam médiatiquement à part
comparé aux autres religions, est actuellement partagé par de
plus en plus de monde. Particuliers, professionnels s'interrogent de plus en
plus sur ce que beaucoup n'hésitent déjà plus à
qualifier de « stigmatisation » de l'islam.
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