2) Un sujet qui fait parler de lui :
« L'islam est posé chez nous comme
un problème » Roland Pfefferkorn, sociologue.
Loin du simple fruit d'une réflexion personnelle ou
isolée, la question du traitement médiatique de l'islam en France
contemporaine interroge de plus en plus spécialistes comme citoyens.
2-1) Journalistes, sociologues, penseurs et chercheurs se
passionnent :
« L'islam est posé chez nous comme un
problème », « Islam, médias et bidonnages ou
la vision monolithique fantasmée », « Monde musulman,
médias et préjugés », etc., voici quelques
titres, parmi de nombreux autres, introduisant des travaux de professionnels
des médias ou des sciences sociales.
L'apparition, assez récente, de cette question comme
objet d'étude dans plusieurs corps de métiers laisse penser que
le traitement médiatique de l'islam est une problématique qui
prend de l'ampleur. Débordant sur quasiment toutes les sphères de
la vie publique, sociale et politique, cette thématique passionne nombre
de professionnels. Sociologues, chercheurs et autres penseurs semblent y
prêter une attention accrue ces dernières années. Certains
en ont même fait leur cheval de bataille.
C'est le cas de cet aumônier musulman, Abdelhak Eddouk,
qui déclare lors d'un débat (Valeurs Actuelles,
édition du 20 janvier 2011) que les musulmans sont mal perçus
dans leur ensemble par la faute des médias qui « n'évoquent
l'islam qu'à travers des situations problématiques ou dramatiques
» et « qu'on ne présente [...] l'islam qu'à travers les
thèses d'une minorité radicale, qui ne représente pas du
tout la communauté musulmane. »
De son côté, Marc Cheb Sun, journaliste
autodidacte, explique à de nombreuses reprises dans ses articles que les
analyses livrées par les grands médias concernant l'islam et les
musulmans, manquent de discernement. Pour lui, il y a beaucoup d'amalgames, de
confusions et, de manière générale, il y a création
médiatique d'une catégorie de musulmans uniforme et «
enfermante ".
Mais il n'y a pas que les musulmans eux-mémes qui
s'intéressent à la couverture médiatique de leur religion.
Roland Pfefferkorn par exemple (chercheur au sein du laboratoire «
Cultures et sociétés en Europe " au CNRS et enseignant en
sociologie à l'Université) dénonce avec vigueur et
conviction les facteurs qui mènent à cette « méfiance
" envers les musulmans.
Pour lui, plus qu'un simple phénomène
médiatique, l'« islam est posé comme un problème " de
manière générale dans la société, et en
particulier par la classe politique et le gouvernement actuel. Ses recherches
démontrent « une alliance politico-médiatique, qui va bien
au-delà de la France, pour alimenter un sentiment anti-musulman et
anti-arabe.".
Partant de cette même impression tenace mais
difficilement « prouvable » que l'islam n'est pas un objet
médiatique comme les autres, plusieurs colloques et débats sont
organisés chaque année. A l'image du 4ème
colloque du célèbre Institut Avicenne de sciences humaines (IASH)
de Lille qui réunit les 7, 8 et 9 juin 2010 plus de deux cent
spécialistes afin de chercher des solutions pour corriger l'image
dégradante de l'islam et des musulmans dans les médias.
Journalistes, chercheurs, islamologues, théologiens, imams,
académiciens. .tous s'accordent à dire que « l'heure est
grave " en la matière. De ce colloque l'on retient un constat
unanimement partagé : les médias européens font des
islamistes « une chaude matière à forte valeur
ajoutée politique [et] commerciale à servir à leurs
lecteurs ".
Laurent Muchielli, chercheur au CNRS, partage ce constat dans
La violence des jeunes : peur collective et paniques morales au tournant du
20ème et du 21ème siècle. Il y
explique que le fruit de ses recherches l'amène à affirmer que
les médias sont complètement à incriminer, si ce n'est
dans l'origine, alors dans le développement et l'amplification de la
peur par rapport à l'islam. Mais, selon lui toujours, cette «
incrimination est [...] trop générale et trop exclusive pour
être satisfaisante [car] elle invite à tort à
considérer " les médias " comme un univers clos, quand il s'agit
au contraire d'un monde social perméable, influençable voire
même manipulable. " Subtil dans son analyse, ce chercheur touche
là un point capital : le traitement médiatique de l'islam est un
phénomène extrémement complexe car il s'inscrit dans
plusieurs sphères (politique, sociologique, religieuse,
médiatique, etc.).
Ce postulat, tout bonnement essentiel à la
compréhension du sujet est cependant souvent occulté. Pourtant,
il permet d'intégrer un paramètre majeur du traitement
médiatique de l'islam : sa complexité.
Il permet de comprendre que, sans analyse attentive, il est
difficile de percevoir en quoi les médias participent à une
certaine stigmatisation, malsaine, de l'islam et des musulmans. Aussi,
comprendre que l'islam dans les médias ne se résume pas
qu'aux médias c'est faire un grand pas. Car chercher à
expliquer le traitement médiatique de l'islam en ne parlant que des
médias revient finalement à tenter de résoudre une
équation à dix variables en n'en utilisant que deux, c'est
absurde.
Dans la même lignée, Mouna Hachim (femme de
lettres, écrivaine et chroniqueuse marocaine docteur en
littérature française) pense qu' « A tort ou à
raison, de manière implicite ou manifeste, tous les sujets sensibles
mènent désormais à l'islam dans les médias »
et que l'on assiste à une « simplification outrancière des
phénomènes religieux et culturels [...] aboutissant au
renforcement des stéréotypes et des amalgames ».
Pour elle aussi, les médias français
contemporains procèdent à une « mise en oeuvre
journalistique réductrice » qui jongle avec les extrêmes dans
un style racoleur.
Ces quelques exemples de professionnels,
dénonçant un traitement médiatique contestable de l'islam,
sont disponibles par centaines et tendent à augmenter chaque jour un peu
plus. Or si un nombre, aussi important, aussi croissant, de spécialistes
critiquent le traitement médiatique majoritaire actuel de l'islam, c'est
bien qu'il y a effectivement un problème.
Ce constat très largement partagé par ces
experts, permet d'enterrer définitivement la thèse selon laquelle
la stigmatisation de l'islam dans les médias est une simple vue de
l'esprit, ou encore que les musulmans ont tendance à se placer en
sempiternelles victimes.
D'ailleurs ces conclusions, les experts ne sont plus les seuls
à les partager. De plus en plus de particuliers, anonymes et autres
bloggeurs les expriment. Autrement dit, le constat effectué jusque
là par une élite privilégiée (qui a le temps
d'analyser, de décortiquer et de réfléchir) est
désormais de plus en plus partagé par les citoyens.
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