2. Rapport entraineur entrainé
Introduction
La relation entre un athlète et son entraîneur
est unique, complexe et à diverse facettes. Les études montrent
que la qualité de ce rapport joue un rôle déterminant dans
l'aboutissement du succès sportif comme dans son échec. Cette
relation si particulière, intéresse chercheurs et même
médias qui tendent souvent à s'incruster dans leur
intimité. Les athlètes, eux-mêmes, se voient parfois en
difficulté à trouver les mots justes pour expliquer ce lien
unificateur (Smith et Smoll, 1996).
Divers termes nous viennent à l'esprit ;
« couple », « dyade »,
« coéquipier », « partenaire »,
supposant l'existence non seulement d'une relation "professionnelle",
basée sur la technique, mais aussi d'une relation affective entre deux
êtres. L'entraîneur souvent désigné comme
simple technicien, ou pire comme calculateur de performance, soutient un
statut intriguant que nous qualifierons de paradoxal, et difficile à
assumer ; où la crainte, l'incertitude, le non control de la performance
et des détours négatifs de la compétition le rumine et
affectent à leur tour le rapport si particulier qu'il entretient avec
son athlète (Najah, 2007).
Jowett et ses collaborateurs (Jowett et Cockerill, 2003 ;
Jowett et Meek, 2000), définissant cette relation comme un vecteur d'un
ensemble d'émotions, de pensées et de comportements, ont
travaillé avec un groupe de nageurs, pour analyser le rapport
entraîneur-entraîné, afin de mieux comprendre sa dynamique
et ses éventuelles répercussions sur la performance. À
partir des entretiens semi-directifs (guide d'entretien basé sur celui
de Jowett et Meek, (2000)), auprès de cinq nageurs de haut niveau, ils
ont pu relever qu'au niveau du but d'optimisation de la performance, la
qualité des relations interpersonnelles est une priorité à
développer. Les nageurs qui entretiennent une relation avec leurs
entraineurs, alimentée de confiance, de respect, d'affection,
d'échange, de mise en commun des objectifs, d'acceptation et de respect
des rôles, leur offre un développement psychologique mature
(Jowett et al, 2003).
Huget et Labridy, (2004), ont tenté via une
étude de perspective clinique analytique d'étudier la relation
entraîneur-entraîné. Elles ont constaté que ce
rapport contient différentes modalités transférentielles,
se mettant en perspective, en fonction de la structuration familiale du
sportif. L'objectif de cette recherche était de repérer si la
relation à l'entraîneur introduisait une continuité ou une
discontinuité par rapport à la structuration familiale initiale.
Les entretiens cliniques effectués auprès des athlètes de
haut niveau et le recueil de chaque histoire singulière, ont pu relever
l'énonce d'une structure identifiable : la rencontre de
l'athlète d'un autre, dans ce rapport à l'entraîneur
répond à un manque, ainsi que l'existence d'un désir
(inconscient) particulier d'entraîner à travers les dires de
l'entraîneur.
Dans cette même optique, Inchauspé et Dubier
(2008), travaillant également auprès d'un groupe de nageurs de
haut niveau, ont essayé d'associer quatre types d'entraineurs avec
quatre types de nageurs, en affirmant que c'est l'attitude de l'entraineur qui
affecte celle du nageur, de la relation entre eux, et par conséquence la
performance. Ils évoquent le rapport triangulaire que le sportif
détient, et la manière dont l'entraineur, peut être en
dehors de ce rapport ou prendre la place d'un des parents. Ils classent la
relation entraineur-nageur en quartes catégories : (1)
L'entraîneur qui se situe sur l'axe
chaleur-autoritarisme, développant chez le nageur, un
comportement de soumission, (2)l'entraîneur sur l'axe
autoritarisme-hostilité, face à qui le nageur aura
tendance à se renfermer et à internaliser ses sentiments laissant
émerger une auto-agressivité, comme de la timidité ou de
l'anxiété, (3) l'entraîneur sur l'axe
hostilité-encouragement, partenaire d'un nageur qui,
à la fois ne respectera pas les règles de fonctionnement et ne
fera aucun compromis et enfin (4) l'entraineur sur l'axe
encouragement-chaleur, créatif et actif, le nageur
devient à son tour créatif et actif et demandera lui-même
des exercices nouveaux. Il apprend à prendre des initiatives et à
être indépendant.
Ces différentes études nous montrent
l'importance de cette relation, et signaler l'inexistence unique d'un seul et
modèle relationnel. La relation, qui est en elle-même une
rencontre entre deux êtres, devrait être explorée dans son
versant affectif et autour des diverses facettes touchant les multiples
déterminants et régulations de cette alliance que nous pouvons
parfois même qualifier de passionnelle. La passion en elle-même se
diversifie d'un couple à un autre en fonction des particularités
conscientes et inconscientes (fantasmatiques) du couple, nous menant ainsi
à nous interroger sur les types de rapport entraineur -entrainé
2.1. Les quatre catégories de rapport
entraineur-entrainé, en fonction de la dimension fantasmatique de
l'entraineur :
Marc Léveque (1992), psychologue clinicien, ancien
athlète et entraineur, dans son travail intitulé
« la relation entraineur-entrainé. Perspective dynamique
affective », affirme que l'entraineur est un agent de
représentations, relaie et prolonge l'emprise sur l'athlète, en
tentant de le persuader et de lui inculquer un ensemble de valeurs. Sa parole
pour l'athlète, paraît comme l'unique vecteur crucial de
persuasion. Considéré par cet auteur, comme emblème de
significations, nous pouvons dans notre travail et suivant notre optique
théorique (psychanalytique) le qualifier
d'« Autre » tout puissant ou Autre barré, ou encore
de « Surmoi », dépendamment de la force de son
Emprise (Lacan, 1949). En restant dans l'approche de Léveque,
tirée de celle de Labridy (1990) (surtout que nous allons nous baser
dans notre travail méthodologique sur certains points qu'ils ont pu
développer) et en analysant les diverses études cliniques que
ces deux auteurs ont pu mettre en place dans des équipes de tennis de
table, de volley Ball, de Ski, de Boxe et autres, nous constatons que via
l'analyse de la « dimension fantasmatique » de
l'entraineur quatre catégories le désignant on été
déterminées: (1)
l'entraineur modèle sur ordonnance, où
le rapport entraineur-entrainé s'affiche sur « un mode de
mère phallique omnipotente et autarcique »
(Léveque, p 18), et étouffe la singularité de
l'athlète. Ce type d'emprise intense et uniquement dans un registre
duelle empêche toute possibilité de triangulation.
L'athlète perçoit son entraineur comme l'unique bon objet et
devient mauvais objet à la moindre résistance. Dans
l'incapacité d'exprimer son malaise le sportif risque de retourner son
insatisfaction contre lui-même sous forme d'abondant. (2) le
formateur-entraineur, insatisfait de ne pas être totalement
réalisé comme athlète, par déni, peut couvrir
cette blessure narcissique avec une attitude de toute puissance et
d'autosatisfaction. Peu soucieux des nécessités de son
athlète en tant que personne, il en manifeste un total
désintérêt et produit via ce dernier sa propre histoire
personnelle et sportive. L'athlète ne s'affiche plus dans ce rapport et
devient inexistant. (Léveque, 1992). (3) l'entraineur
dominant, se présente sur un mode de
fantasmatique anale, tournant autour d'un accrochage au plaisir pris dans la
maîtrise, le façonnage et le modelage du sujet. Un moulage selon
le désir du maître, ou plutôt une jouissance du pouvoir.
« Si tu fais (techniquement) comme ça, soit sur que tu
gagneras (...) si tu continues à rester comme ça c'est fini pour
toi ». Ne pouvoir gagner que dans la
« dépendance » et la
« soumission » aux directives de l'entraîneur, le
joueur se réduit à n'être qu'un exécutant technique,
dépossédé de sa part de succès, menacé
d'échec à la moindre désobéissance. Cette tendance
peut sous tendre ainsi des excès. Comme l'indique KAES (1976), les
fixations anales du formateur ont pour correspondance des positions
régressives orales du sujet en formation (Najah, 2007)
Quant à la quatrième catégorie, que nous
ciblons d'ailleurs dans notre travail, est ;
(4) l'entraineur
inépuisablement généreux, disponible sans
limite, répondant à tout désir de son athlète,
traduit un enthousiasme et une conscience professionnelle intense à
l'égard du projet sportif. Ces comportements nous font penser à
la mère généreuse, et illimitée dans sa
bonté. Déclenchant chez l'entraîneur un comportement
surprotecteur et souvent, intrusif dans la vie privée de
l'athlète. Il devient incapable de « lâcher »,
de se séparer ou d'assumer la perte d'un objet libidinalement
surinvestit, engendrant une attitude de possessivité alimentée
encore plus par la sollicitude de l'athlète, vu qu'un athlète
handicapé, présentera une sollicitude autant plus forte qu'elle
ne favorisera pas son l'autonomisation. L'athlète est maintenu en
conséquence en état d'immaturité. Le rapport dyadique est
fusionnellement intense, idéalisé où toute
émancipation de l'athlète est empêchée ; de
bonne intention dans un seul et unique but se conformer à cet
idéal de mère généreuse. L'entraineur oubli ainsi
de renvoyer à son athlète des « feed back »
autres que protecteurs et maternants (Léveque, 1992).
Toujours dans cette quatrième catégorie, et
mentionnant que dans notre recherche nous ciblons une activité sportive
particulière, le lancé en général, le
caractère « individuel » de cette pratique, rend le
rapport entre ces deux acteurs de plus en plus étroit. L'entraineur
certainement s'occupe d'un groupe d'athlètes, mais la variable handicap,
le mène souvent, à s'en occuper cas par cas, accentuant par
conséquence l'intimité du rapport ; un lien direct les
unit, sans qu'aucune structure d'équipe ne fasse écran entre eux.
Ils deviennent des interlocuteurs immédiats. Pratiquant ainsi en
solitaire, le seul partenaire de l'athlète devient son entraineur
(Léveque, 1992).
La nature du handicap joue également un rôle
très important, sa gravité, ses degrés, les circonstances
de son déclenchement, mais surtout tout ce qu'elle détient de
remaniement psychologique spécifique à elle, module à son
tour tant la dimension fantasmatique de l'athlète que de celle de
l'entraineur.
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