Section 2 - L'interprétation juridictionnelle
française
En France c'est donc le juge qui est chargé de
l'application mais également de l'éventuelle
interprétation préalable des conventions fiscales de lutte contre
la double imposition en cas de procédure contentieuse. Le recours
à l'avis du ministre est désormais facultatif et ne lie pas les
juridictions.
La compétence du juge en la matière signifie non
seulement qu'il est le seul à pouvoir désormais
révéler le sens et la portée des termes obscurs contenus
dans les conventions, mais également qu'il est tenu de le faire, sans
quoi il se rendrait coupable de déni de justice 55. Au
delà de cette incrimination, le tribunal qui refuserait
d'interpréter une disposition conventionnelle quand cela serait
nécessaire, encourt la cassation. L'interprétation étant
une question de droit, l'opportunité d'interpréter ainsi que le
résultat obtenu relève du contrôle des juridictions
supérieures, Cour de cassation ou Conseil d'État.
Lorsqu'un contribuable s'estime imposé à tort
sur le fondement d'une disposition nationale qu'il considère non
conforme à des mesures conventionnelles, il dispose de la faculté
de former un recours contentieux devant le juge français, tendant
à faire reconnaître la méconnaissance du traité par
l'administration fiscale qui entend l'imposer. Conformément au principe
de subsidiarité des conventions fiscales, le juge saisi devra, avant de
contrôler la conventionnalité de la mesure contestée et de
sa base légale, regarder si le droit interne ne suffit pas à
éliminer la double imposition alléguée 56. Si
ce n'est pas le cas il devra, aux fins de résolution du litige,
révéler la signification de chacune des normes, tout d'abord pour
voir si il y a conflit entre les deux, puis pour déterminer la
disposition qui prévaut au cas d'espèce.
L'interprétation des clauses anti-abus conventionnelles
devant le juge français est donc désormais purement juridique ;
elle ne s'attache qu'à des considérations de Droit et non plus
d'opportunité politique ou diplomatique, bien qu'en pratique la
jurisprudence fasse preuve
55 Art. 4 du Code civil et 434-7-1 du Code pénal.
56 « Il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il
est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se
placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si,
à ce titre, l'imposition contestée a été
valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle
qualification. » CE. Ass., 28 juin 2002, Sté Schneider
Electric (n° 232 276).
d'une modération qui semble prendre en compte les
intérêts économiques des opérations du commerce
international 57.
En France, bien que les procédures
d'interprétation se soient homogénéisées avec la
fin du recours au ministre des Affaires étrangères, le
contentieux fiscal international n'en est pas pour autant confié
à une seule juridiction. Le contribuable désirant effectuer un
recours contentieux doit donc identifier celle qui est compétente,
judiciaire ou administrative, afin de faire droit à sa demande.
Cette répartition de compétence complexe est
prévue à l'article L 199 du Livre des procédures fiscales,
qui dispose que « en matière d'impôts directs et de taxes
sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, les décisions
rendues par l'administration sur les réclamations contentieuses et qui
ne donnent pas entière satisfaction aux intéressés peuvent
être portées devant le tribunal administratif » et que
« en matière de droits d'enregistrement, de taxe de
publicité foncière, de droits de timbre, de contributions
indirectes et de taxes assimilées à ces droits, taxes ou
contributions , le tribunal compétent est le tribunal de grande instance
».
Les réclamations portant sur les impôts directs
et les prélèvements parafiscaux assimilés ainsi que sur
les taxes sur le chiffre d'affaires (taxe sur la valeur ajoutée)
relèvent de la compétence des tribunaux administratifs. Les
impôts directs sont ceux qui sont payés et supportés par la
même personne, il y a ainsi identité entre le redevable et le
contribuable. Les impôts sur le revenu, sur les sociétés,
ou encore de solidarité sur la fortune ainsi que la taxe d'habitation et
la contribution sociale généralisée en font partie.
Les réclamations portant sur les impôts et
prélèvements indirects à l'exception de la TVA sont donc
de la compétence des tribunaux civils (ce sont les tribunaux de grande
instance qui statuent en premier ressort). Les impôts indirects sont ceux
qui sont versés à l'État par des personnes mais
supportés financièrement par d'autres, c'est le cas de la taxe
intérieure sur les produits pétroliers, des droits de succession,
de donation et d'enregistrement.
En pratique, la majorité des litiges en la
matière relève des tribunaux administratifs 58 et ceci
pour deux raisons. Tout d'abord les conventions de lutte contre la double
imposition concernent le plus souvent les impôts directs : impôt
sur le revenu et sur la fortune. Les
57 J N. THOMAS, Le contrôle fiscal des
opérations internationales, Paris, L'Harmattan, coll. Finances
Publiques, 2004, p.276.
58 P. DEROUIN, L'application et
l'interprétation des conventions fiscales internationales par les
tribunaux français, Revue de Jurisprudence fiscale, 1979/12, p.
402.
impôts indirects, eux, font moins souvent l'objet de
tels traités : droits sur les donations, sur les successions et
d'enregistrements 59. Ensuite, la matière des impôts
indirects, amputée de la TVA, ne constitue qu'à peine 10% des
recettes fiscales nettes perçues par l'État 60.
Le contribuable doit donc identifier le type d'imposition
auquel il est soumis et qu'il entend contester en vertu d'une convention de
lutte contre la double-imposition, afin de former son recours efficacement
devant l'un ou l'autre des ordres juridictionnels, tribunal administratif ou
tribunal de grande instance.
Comme un même traité peut concerner plusieurs
types d'imposition différents, l'interprétation d'une clause
anti-abus générale, c'est-à-dire délimitant le
champ d'application d'une convention (par exemple la clause de résidence
qualifiée), pourra être effectuée par les deux ordres de
juridiction, selon que la disposition spécifique en cause soit relative
à l'un ou l'autre des types d'impôt, et aboutir à des
solutions divergentes.
En effet l'interprétation autonome du juge interne
signifie non seulement que le juge interprète selon les règles de
son pays, mais également qu'il obéit aux procédures et
méthodes propres à sa juridiction. Il est vrai que les
différences de procédure entre les deux ordres se sont
estompées lors de l'abandon du recours à l'avis du ministre pour
interprétation, mais il n'en demeure pas moins que des
différences de méthodes existent, notamment du fait de la
signification discordante que peut avoir un même terme pour le juge
administratif ou le juge judiciaire.
C'est la raison pour laquelle, après avoir
déterminer les organes compétents, il convient de
s'intéresser aux méthodes mises en oeuvre par ceux-ci lors de
l'interprétation des clauses anti-abus conventionnelles.
59 Ainsi il existe 108 conventions visant l'impôt sur le
revenu et 55 visant l'impôt sur la fortune, contre 36 visant les droits
de successions, 16 pour les droits d'enregistrement et 12 pour les droits sur
les donations. Source : DIRECTION GÉNÉRALE DES
FINANCES PUBLIQUES, Instruction du 16 avril 2010 (BOI 14 A-1-10
n° 45 du 27 avril 2010).
60 9,2 % pour 2008.
Titre 2 - Les méthodes de l'interprétation
juridictionnelle française, ou principes de fond
Les juges français sont désormais pleinement
compétents pour interpréter les conventions fiscales
internationales et donc leurs clauses anti-abus. Ils sont également en
mesure de faire prévaloir celles-ci sur la Loi, et non plus seulement
sur les actes administratifs, depuis 1975 pour la Cour de cassation
61 et 1989 pour le Conseil d'État 62. Ce
contrôle de conventionnalité qui leur est dévolu permet de
faire respecter la hiérarchie des normes telle qu'elle ressort de la
lecture de l'article 55 de la Constitution.
Comme il n'existe pas de principes généraux
d'interprétation du droit fiscal conventionnel, le juge, afin de
dégager le sens et la portée des clauses anti-abus, se
réfère à plusieurs instruments normatifs, de valeur
variable, pour guider son raisonnement. Ce sont ces outils qui seront ici
étudiés, avant de voir comment le juge les utilise.
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