Section 2 - L'interprétation bilatérale
par accord secondaire
L'interprétation des termes d'une convention fiscale
par leurs auteurs, de manière concertée, est une procédure
souvent utilisée en pratique 39 et qui semble être la
solution existante la plus satisfaisante au regard du Droit international
public et de l'adage Pacta sunt servanda (les conventions doivent
être respectées). En effet ces conventions lient les États
entre eux et leur interprétation unilatérale peut faire craindre
qu'ils tentent de s'affranchir de certaines obligations contractées
envers l'autre État partie et à destination de ses
résidents, notamment en interprétant de manière trop
extensive certaines clauses anti-abus, leur refusant ainsi le
bénéfice des dispositions conventionnelles.
Indispensable à l'application effective des clauses
anti-abus conventionnelles, l'assistance administrative entre États
contractants peut se manifester de trois manières : la procédure
amiable 40, l'échange de renseignements concernant la
situation financière de contribuables et l'assistance au recouvrement
d'impôt par delà les frontières. Seule la première
intéresse la problématique de l'interprétation puisqu'elle
consiste, pour les États signataires d'une convention fiscale, à
s'entendre sur le sens ou les modalités d'application des dispositions
conventionnelles, contrairement aux deux autres composantes de l'assistance
36 Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE,
Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la
fortune, Juillet 2008, article 25 § 5.
37 B. CASTAGNÈDE, Précis de
fiscalité internationale, Paris, 2e éd., PUF,
coll. Fiscalité, 2006, p. 264.
38 COMMISSION EUROPÉENNE, Droit
communautaire et conventions fiscales, 2005, p. 16.
39 B. CASTAGNÈDE, Précis de
fiscalité internationale, Paris, 2e éd., PUF,
coll. Fiscalité, 2006, p. 264 et D. GUTMANN,
Tax Treaty Interpretation in France, p.115. In : M.
LANG Ed., Tax treaty interpretation, Pays-Bas,
Kluwer Law International, coll. Eucotax, 2001.
40 « Les autorités compétentes des
États contractants s'efforcent, par voie d'accord amiable, de
résoudre les difficultés ou de dissiper les doutes auxquels
peuvent donner lieu l'interprétation ou l'application de la Convention.
» Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE,
Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la
fortune, Juillet 2008, article 25 § 3.
administrative qui elles concernent exclusivement la mise en
oeuvre pratique de l'imposition vis-à-vis d'un contribuable.
Les autorités compétentes pour conduire cette
procédure amiable ne sont pas définies au sein de chaque
convention mais déterminées par des règles internes.
Ainsi, en France, l'autorité compétente pour connaître des
demandes des contribuables tendant à l'ouverture d'une procédure
amiable est le Ministre chargé du Budget (en pratique la demande est
à adresser à Monsieur le Directeur Général des
Impôts , Direction de la législation fiscale , Sous-Direction E ,
Télédoc 503 , 139, rue de Bercy , 75572 Paris cedex 12)
41.
Cette procédure aboutit soit à
l'élaboration conjointe d'un nouvel accord international, sous forme de
protocole additionnel ou d'échange de lettres 42, soit
à celle d'un arrangement administratif ; ainsi l'interprétation
qui en résulte n'est pas judiciaire puisque la révélation
des termes obscurs ne se fait pas en application de méthodes
dictées par le Droit, en un jugement stricto sensu.
Alors que le nouvel accord international est un acte de
souveraineté et un accord de volonté au même titre que la
conclusion d'une convention, qui de la même manière crée du
Droit plus qu'il ne révèle rétroactivement la
signification d'une disposition conventionnelle, l'arrangement administratif ne
vaut que pour la situation litigieuse individuelle qui a donné lieu
à la procédure, tant que l'administration fiscale ne le publie
pas. En effet si celle-ci le faisait, l'interprétation devenue formelle
retenue à cette occasion pourrait être invoquée par la
suite par les autres contribuables 43 ; c'est sans doute pour cette raison que
ces arrangements sont très rarement publiés.
Les États saisis par un contribuable sont libres
d'entreprendre ou non une telle procédure mais peuvent également
le faire de leur propre initiative ; le pouvoir des autorités
compétentes en la matière est discrétionnaire. Dans les
deux cas, ils seront libres de prendre en compte tout élément
qu'ils jugeront pertinent, de droit, d'équité ou même
d'opportunité, mais il semble que la valeur juridique des solutions
varie selon l'initiateur de la démarche.
Si c'est le contribuable qui a demandé l'ouverture de
la procédure amiable, l'accord conclu entre les autorités des
deux États peut être accepté ou refusé par celui-ci
et ne s'impose pas au juge. Bien entendu, dans le cas où il l'accepte,
il doit se désister de toute action
41 DIRECTION GÉNÉRALE DES
IMPÔTS, Instruction n°26 du 23 février 2006 (BOI 14
F-1-06 n°34 du 23 février 2010), article 65.
42 Voir par exemple supra. n° 27.
43 Articles L 80 A et L 80 B du Livre des Procédures
Fiscales.
contentieuse portant sur la question ayant été
tranchée grâce à la procédure, ainsi le juge n'est
pas en mesure de contrôler l'accord en faisant prévaloir
éventuellement son interprétation ; la procédure amiable
crée donc un arrangement administratif à portée
individuelle.
En revanche si c'est l'un des États contractants qui en
a l'initiative et que la solution, tendant à préciser le sens de
dispositions de manière générale et non plus individuelle,
est adoptée sous la forme d'un acte de caractère international
(protocole ou échange de lettres) par les parties, celui-ci doit
recevoir la force exécutoire d'un tel acte introduit dans l'ordre
juridique interne et s'imposer au Juge comme au contribuable,
conformément à l'article 55 de la Constitution du 4 octobre
1958.
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